Transfert subjectivité fin d'analyse 

Fin du transfert narcissique et émergence subjective..[1]
 
L'hypothèse : le risque d'être humain
 
Pour s'y retrouver dans la question de la fin de la psychanalyse, nous avons donc été obligés de différencier deux types de transfert : le transfert narcissique, mu par le symptôme, qui est à proprement parler celui auquel on a affaire durant une psychothérapie ou une analyse (au sens d’un processus narcissique interrompu par le symptôme qui appelle sa poursuite dans la cure, comme nous l’avons proposé dans le chapitre précédent), et le transfert du sujet advenu, au sens de la relation fondamentale à l'autre telle que Levinas peut la décrire par exemple, lié au risque d'être un humain singulier parmi les autres, auquel on peut espérer parvenir au terme de la cure. L’hypothèse que je soutiendrai ici est que ce dernier procède d’un mécanisme d’émergence[2] à partir du développement ultime du premier
Le transfert narcissique est conséquence d'un blocage morbide, le subjectif est le risque d'émergence d'un désir vivant.
 
 
Le paradoxe central de la structuration psychique
 
Il faut tout d’abord revenir à la théorisation des logiques subjectives, dont le transfert est la partie émergée consciemment. J’avais introduit ce terme il y a quelques années pour isoler cette partie de l’appareil psychique qui reste indissociable de la présence de l’autre[3]. Il s’agit d’un sas entre soi et l’autre en quelque sorte, précisément l'espace d'interlocution, dont la fonction est de participer au développement et au changement de l’appareil psychique, tout au long de la vie. On se souvient qu'il y en avait de 2 sortes principales, les logiques subjectives de contiguïté, et celles de dépendance, dites axiomatiques. Celles de contiguïté sont de simples développements des structures de l'appareil psychique, les secondes en sont les fondements, comme en mathématique les théorèmes sont les développements d'une théorie, alors que les axiomes en sont les fondements.
S'il y a moins de difficulté de remaniement des premières, qui recouvrent ce qu'en psychanalyse on appelle le préconscient, c'est tout autre chose des secondes, qui impliquent l'identité. En effet, il arrive souvent que des contradictions profondes se manifestent dans la formation des logiques axiomatiques (dites aussi de dépendance) de l'appareil psychique. C'est à l'origine de la plupart des troubles psychiques graves de l'humain. C'est ainsi qu'un secret de famille, par exemple, va souvent être à l'origine d'une telle difficulté, puisque la dépendance intrinsèque à la famille et donc à son secret va impliquer une large dissociation avec cette autre nécessité axiomatique de se situer dans une continuité de récit chez l'humain. C'est aussi ce qui est opérant dans la toxicité psychotisante du double lien contradictoire repéré par Gregory Bateson[4]. Celui-ci n'est pathogène que pour autant que la relation en cause est référentielle, indiscutable, axiomatique...
 
Dans les deux type de logiques subjectives, le point commun est que le lien constant de l'appareil psychique à l'autre va proposer une articulation diversement adéquate, hétérologue, selon les interlocuteurs et les circonstances entre altruisme et l'univers personnel. Nous avons déjà vu que le signifiant au sens lacanien est précisément cette interface, au cœur des logiques subjectives.
 
Gérer cette difficulté d'être suffisamment soi, de rester pour une part au centre de son être, indépendamment et avec la présence réelle de l'autre, de son amour et des diverses autres dépendances qui y sont liées, symboliques ou sociales, est une condition forte du plaisir d'existence, dont le défaut est la source principale de psychopathologie. Ceci explique en particulier la raison pour laquelle les enfants se révolte contre les parents, aussi pourquoi les parents médecins, psy, pédagogue, n'ont jamais raison dans leur propre famille lorsqu'ils tentent d'y appliquer leur art. C'est très bien comme ça, et cela garantit le vrai plaisir d'être de leurs enfants et petits-enfants, permettant de ne pas réduire leur complexité, donc leur être, à une compréhension unifiante, externe, réductrice des subjectivités. C'est aussi d'ailleurs la raison logique pour laquelle aucun analyste ne peut prévoir la fin d'une cure, ni comprendre totalement ce qui s'y est passé.
 
Le problème, c'est que ces rééquilibrages de l'être ne se produisent que dans une subjectivité qui parvient à être efficace face à la présence réelle de l’autre, sans éviter le risque de conflit. L'obstacle est que cette relation à l'autre est précisément ce qui structure une part importante de l'appareil psychique et de l’identité. Être soi, c’est donc aussi risquer une part de son identité, et on comprend que ce soit si rare et si difficile.
Ces logiques subjectives sont donc fondamentalement hétérologues, mais cependant organisées selon les deux grands axes dont nous avons parlé, fort différents dans leurs effets, des deux transferts à l'œuvre. Le transfert est précisément ce sas de l'intersubjectivité décrit plus haut.
 
Hétérologie structurante et objet transitionnel
 
Ainsi, ce qui structure (le symbolique, externe par définition) risque de déstructurer (la sphère proprio-affective sur laquelle il s'applique), et ce qui déstructure (le symptôme essentiellement) peut restructurer (la réorganisation symbolique de la cure), dans les deux sens. C'est dans ces paradoxes de l'existence que se montre et se justifie le plus nettement la dimension de l'hétérologie. Autrement dit, subjectivité et transfert sont les dimensions hétérologues, donc souvent contradictoires. C'est l'assomption dynamique et conflictuelle de cette contradiction native, déjà lisible à l'origine de l'objet transitionnel, dont nous allons parler plus loin qui signe la fin du processus narcissique.
On se souvient de la reprise[5] que j'avais faite du travail de Lupasco, sur l'intérêt des logiques contradictoires, puisqu'il y mettait la genèse de l'énergie psychique, ce que nous appelons pour nous le désir. L'assomption (risquée!!) par le sujet des paradoxes internes qui sont au coeur de son être est un des buts de la cure.
 
C’est aussi, pour parler d'un autre plan, mais sur le même mode, qu'une autre hétérogénéité profonde, celle qui existe entre réalité psychique et réalité sociale, est à l’origine d’une pulsion particulière, une pulsion mi-biologique mi-culturelle, qui est une autre composante du désir humain. L'objet transitionnel à l'œuvre ici est la fiction théâtrale, qui est universelle aux sociétés humaines, et joue le même rôle entre le sujet et la société que pour l'enfant entre ses désirs et les exigences de l'éducation. Si cette théâtralité des
 
Le travail de cette double hétérogénéité commence tôt, en fait dès le départ de la vie. L'image du corps, qui est un des éléments de la sphère narcissique, dépend de la façon dont la motricité est articulée avec celle des parents. La manière dont l'expression motrice est accueillie, dénommée, entre ou non en dialogue avec les adultes, est le vrai début de la subjectivité. Il existe une théorie de l'hallucination, que je trouve convaincante, qui l'explique par l'absence trop massive de la motricité volontaire imposée dans l'enfance. L'appareil psychique finit par ne plus différencier alors ce qui est interne, de l'être, et externe, de l'autre. Autrement, l'objet transitionnel (souvent absent dans la clinique hallucinatoire d'ailleurs..) se met en place pour supporter cette aliénation structurante entre les dimensions personnelles et altruiste. Il est l'ébauche du signifiant avec ses deux faces.
S'il fait défaut, la rencontre reste vouée à la violence spéculaire et à la confusion entre soi et l'autre. S'il est en excès, l'enfant est voué à l'errance anxieuse. L'hypothèse que l'objet transitionnel peut être abusivement investi est identique en psychanalyse à ce qui se présente comme excès de sublimation, surmoïque, qui du coup risque de faire l'impasse sur le corps et les conflits structurants ainsi refoulés.
Il est beaucoup de points communs entre le transfert narcissique, symptomatique et l'objet transitionnel. L'un et l'autre semblent indispensables un temps, pour s'oublier ensuite.. C'est qu'ils ont servi à construire des outils indispensables au processus narcissique, et n'ont plus leur raison d'être ensuite.
 
Ainsi pour entrer dans le symbolique, il faut suffisamment de conflits entre plaisir et de déplaisir, les relations entre réalité et imaginaire doivent continuer à s'articuler souplement pour que rien ne se fige.
On voit ainsi que la question de la sortie d'une cure analytique n'est pas tant le lien social d'abord que de basculer du désir de l'exploration bloquée de la souffrance à celui de la construction contradictoire (entre soi et l'autre, puis le social) du plaisir désirant..
Le symptôme est le témoin d'un outil de l'appareil psychique qui a fait défaut dans la construction des logiques relationnelles hétérologues qui mènent à la subjectivité adulte.. C'est sa reconstruction qui est l'objet du transfert!!!
 
 
 
La nécessité interprétative pour la reprise du processus narcissique.
 
Il est besoin pour sortir de cet enfermement narcissique symptomatique de présence et d'interprétations de la part de l'analyste. Car il faut que les structures se modifient, que l'identité bouge, que se changent les références conscientes, que s'introduise une nouvelle axiomatique inconsciente de pensée si on veut mobiliser autrement la souffrance du symptôme. La pensée se refonde dans le transfert, donc les fondements précédents se refoulent, par définition. Et des deux côtés, analyste et patient, l'autre devient autre... Ceci procède d'une crise, crise identitaire que provoque d'abord le symptôme, puis l'interprétation de l'analyste, et qui ne peut se produire sans cette intervention. En effet, l'intervention de l'analyste se fait sur les fondements axiomatiques mêmes de la production de pensées du patient : impossible logiquement que le patient trouve cela tout seul, contrairement à une hypothèse souvent entendue qu'il suffirait que le patient parle librement pour que la prise de conscience s'effectue. Cela peut se produire pour des cliniques qui ne portent que sur les logiques subjectives de contigüité, le niveau préconscient de la thématique freudienne, mais pas au niveau fondateur même de la pensée, au niveau des logiques axiomatiques, de dépendance, le ça freudien, qui sont le plus souvent affectées en pratique, la clinique s'étoffant en pathologies narcissiques.
Nul ne peut penser les fondements de sa propre pensée, ce mouvement ne peut être qu'extérieur, avec le tact, la prudence et le temps que demande l'instauration du transfert pour que ces mouvements soient possibles et sans trop de risque.
Cette intervention sur les certitudes identitaires du patient, donc fondée sur le déroulement de son discours, et non projetée depuis le corpus théorique de l'analyste, s'appuie sur une double inconnue : le patient ne sait pas d'où il produit ce qu'il dit de son impasse, car il s'appuie dessus pour penser, et de son côté l'analyste ne sait pas ce que ça va produire, puisqu'il n'intervient que sur la structure du symptôme, que sur le blocage du désir, et non sur ce dernier lui-même. C'est pour cela que l'analyse ne sait pas, ni le patient, ce qui va se passer au détour d'une interprétation, et heureusement, puisque cela concerne alors la singularité même du patient. C'est là le mécanisme même de l'émergence...
Le transfert narcissique, symptomatique, s'il permet la résolution du trouble, empêche aussi tant qu'il est présent l'émergence subjective, comme la chrysalide permet la transformation, mais empêche l'éclosion tant qu'elle n'est pas détruite, pour reprendre la métaphore précédente.
La remise en route du désir du patient se fait alors dans une direction imprévisible, par définition, et donc presque toujours sans rapport avec les goûts et désirs de l'analyste.. On voit que si l'analyste prend le moindre appui narcissique sur ses patients, c'est le désir même de ceux-ci qu'il va interdire inconsciemment, fermant ainsi l'issue de la cure, pour recréer exactement les conditions d'une nouvelle névrose...
Lorsque cette reconstruction a eu lieu, le désir, et donc la compétence sociale surgissent par émergence, sans qu'il ne soit besoin de s'en soucier, il suffit simplement de prendre acte de ce moment.
L'étape finale de la reconstruction de l'appareil psychique est donc la mise en dialogue de ce désir avec la réalité au-delà de l'appartenance narcissique.. Il s'agit alors que se risque la relation pour poser et parfois opposer son désir.