Clinique de l’enfant
Josette Beneteau, Psychanalyste à Toulouse.


 

«   Que diriez-vous d’une consultation pour le Petit… H? »

 

Argument :

 

Le passage de la psychanalyse « des » enfants à la psychanalyse « avec » les enfants, c’est un long cheminement qui commence avec le fondateur de la psychanalyse et le petit Hans quand Freud, travaillant avec le père, accompagna le dénouement d’une formation symptomatique de l’enfant de celui-ci : une phobie du cheval.

L’objectif de cet exposé est double : celui d’interroger les conditions de la pertinence de la psychanalyse « avec » un enfant et de relire le Petit Hans en supposant qu’il ait bénéficié d’entretiens préalables.

 

 

J’ai hésité avant d’intervenir à propos de la clinique de l’enfant. Qu’ avais-je à transmettre  qui n’ait été déjà transmis? Puis j’ai pensé que ce que j’avais à transmettre n’était pas une question de contenu et d’ailleurs, que ce que je pensais transmettre m’échapperait et qu’il ne serait retenu de ce que je dirais que ce qui serait « entendu » ; et qu’entre ce que je pense dire, ce que je dis et ce que vous entendez, dans cet écart abyssal, c’est cela qui serait retenu, donc un rien qui pourra faire réagir ou penser en silence.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet quelques réflexions préalables :

- La visée d’une cure n’est pas l’adaptation d’un individu à la société. La recherche, en revanche, doit progresser avec son temps, s’adapter en tenant compte de l’avancée des sciences sachant que le but n’est pas de découvrir la Vérité avec un grand V. Même si la psychanalyse n’est pas une science exacte puisque les vérifications ne sont pas, la plupart du temps, possibles, puisqu’on ne peut vérifier expérimentalement l’effet d’un acte clinique comparé à un autre, pourquoi ne pas la classer parmi les sciences humaines ? Du reste la Science avec un grand S, qui n’existe pas, peut-elle vérifier chacune de ses hypothèses ? Les chercheurs bâtissent des théories et il se trouve que parmi elles, quelques unes vont pouvoir se trouver confirmées tandis que d’autres seront abandonnées et apparaîtront avec le temps comme des délires. C’est l’avenir qui en décide. Ce qui répond à la question de Michel Lévy : que deviennes nos théories ? Il y a celles qui résistent au temps et les autres..


 

-Freud, de même, nous dit qu’il laisse à l’avenir le soin de décider si ses théories tiennent la route comparées aux théories de Schreber. «  Je laisse à l’avenir décider s’il y a plus de délire dans ma théorie que je n’aimerais le reconnaître, ou s’il y a plus de vérité dans le délire de Schreber que les autres ne sont préparés à l’admettre. 1»

Il dit aussi une chose très importante pour notre sujet sur la clinique que ce n’est pas l’observation clinique qui est première mais l’hypothèse théorique. Beaucoup de détails « dans la structure du délire de Schreber, dit –il, s’entendent comme des perceptions endopsychiques de processus dont j’ai postulé l’existence dans un précédent article. Je pourrais cependant citer un ami et confrère pour témoigner que j’avais élaboré ma théorie avant d’avoir pris connaissance des contenus du livre de Schreber ». 2

 

-Un nombre certain d’énigmes concernent la recherche psychanalytique, même si elles n’entrent pas directement dans son champ de recherche, comme celle de l’arrivée de l’homme, de l’apparition du langage et de l’écriture… sans parler de celles qui concernent directement son objet : l’organisation psychique. Est-ce que cette organisation émerge de la structuration de l’appareil neuro-cérébral ? Quelle est la nature psychique des maladies mentales ?… Ces questions poussent à inventer des théories explicatives qui peuvent devenir mythiques si elles sont reprises par d’autres, sans recul.

 

Le sort du mythe œdipien :

 

Freud avec le mythe œdipien s’est extrait de sa problématique personnelle en retrouvant dans le mythe des points communs avec : et ce qu’il éprouvait sans doute et ce qu’il remarquait dans l’expérience clinique auprès de ses patients pris dans leur culture. Il a, ce faisant, participé à universaliser le mythe œdipien qui est devenu une référence de bon nombre d'observations cliniques psychanalytiques.

J’ai choisi de parler de la clinique infantile pour interroger nos références théoriques : celle du mythe oedipien, celle du concept d’objet ainsi que celle des modalités d’intervention auprès des enfants en ce qui concerne les entretiens préalables à partir d’une relecture du Petit Hans.

 

Est-ce qu’aujourd’hui je travaille avec les enfants  avec ce mythe en tête ? J’en tiens compte comme élément culturel. Je remarque parfois un attachement excessif du garçon à sa mère parfois aussi d’une fille à sa mère et je perçois une pointe d’agressivité des garçons surtout vis à vis du père, des vœux de mort à peine voilés… Comme dans le mythe oedipien en quelque sorte. Je constate assez souvent aussi qu’un attachement excessif à l’un des deux parents père ou mère, garçon ou fille, une sorte de fixation « amoureuse » à l’un d’eux entrave les enfants dans leur développement … Ceux qui aiment trop sont empêchés, limités en quelque sorte dans leur progression, dans leur structuration psychique si ce qui les mobilise n’est pas ailleurs.

Cet ailleurs, qu'est-il? Est-ce l’objet ? Le Désir ? Le désir sans objet ?

 

La fonction symbolique.

 

Certes, l’enfant a besoin d’une niche écologique, des bras et du sein de sa mère ou d’un substitut parce qu’il est particulièrement immature quand il vient au monde. Vous remarquerez que je parle de besoin et pas de désir, il a besoin d’une « mère suffisamment bonne » comme dit Winnicott. Dès qu’il est repu et apaisé le bébé a une préférence pour ce qui parle, pour la voix qui sort de cette zone corporelle privilégiée qui bouge sans cesse quand ça parle… Et cette préférence peut se manifester par le refus de nourriture, comme si, très tôt, le bébé pouvait dire « non, c’est pas ça ! »

Les enfants qui n’entendent pas, peuvent voir les mouvements des lèvres, la gestuelle et peut être que cette primitive observation active la capacité neuro linguistique de ceux qui naissent sourd grâce à l’action des neurones miroir. Il suffit, par exemple, de regarder quelqu’un faire du sport pour que les zones correspondantes du cerveau du voyeur s’activent comme s’il faisait lui même cette activité. Est-ce que l’observation du mouvement des lèvres et des gestes suffit à provoquer une activation de la zone neuro cérébrale du langage, qui ne rend pas nécessaire d’être entendant ? ( D'où l’intérêt des langues signées). Cette hypothèse, si elle était vérifiée, pourrait peut être expliquer que la fonction symbolique soit active indépendamment du fonctionnement auditif ?

 

Ce que l’on perçoit est là, virtuellement en place dans notre système neuro cérébral et s’active et est activé dès avant la naissance et bien sûr après, sans que l’enfant puisse distinguer alors et pendant quelques temps, l’intérieur de l’extérieur.

J’ai parlé de bébé apaisé tout à l’heure parce que l’apaisement du bébé ne va pas de soi. Pour avoir une idée des difficultés d’un bébé à trouver un apaisement, il faut avoir lu Mélanie Klein et observé un nourrisson, même en bonne santé, pour se rendre compte que les tentatives d’apaisement d’une mère ou de son substitut échouent à certains moments : rien n’arrive à calmer ce bébé qui pleure et se contorsionne, on dirait de douleur alors qu’il peut exprimer ainsi tout aussi bien sa détresse et sa souffrance psychique. Quel autre moyen a celui qui ne parle pas encore ?

Je ne vous parlerai pas des sentiments de persécution dont Mélanie Klein fait l’hypothèse ni de la phase schizo paranoïde que traverse l’enfant, ni de la phase dépressive qui s’en suit parce que vous savez cela ; je voudrais simplement rappeler que l’élaboration de la position dépressive pour Mélanie Klein est centrale pour le développement normal de l’enfant. Cette élaboration dépend des modifications subies par les mécanismes antérieurs, à la suite des changements intervenus dans les relations du moi à ses objets. Elle dépend surtout du succès de l’action réciproque des positions et des mécanismes dépressifs maniaques et obsessionnels… Cet éclairage, celui de Mélanie Klein m’a permis de comprendre autrement les adultes en analyse qui revivent pendant leur cure des états similaires à ceux des enfants ou comment la dépression renvoie certains à des passages paranoïaques.

 

La relation d'objet

 

La clinique psychanalytique avec les enfants nous confronte à la question de la relation d’objet, l’objet pour Mélanie Klein est interne et relève du fantasme. Et comme le souligne Alain Ehrenberg dans la société du malaise, (P 80) la relation aux objets est pour d’autres, dont Anna Freud, centrée sur l’environnement. Je n’entrerai pas dans ce débat.

les objets qui entourent les enfants sont importants comme objet fantasmatique : l’objet est un autre sujet qui éprouve des sentiments de haine, de jalousie, d’amour et qui est actif : il attaque, persécute, défend… L’enfant attribue aux objets des qualités : bons et mauvais, bons ou mauvais quand le clivage est installé. Les objets externes sont une métaphore des objets internes. C’est à Mélanie Klein que nous devons cette découverte de l’importance primordiale des objets internes qui seraient primitivement convoités à l’intérieur même du corps de la mère. Les objets kleiniens sont multiples, protéiformes et fonctionnent par paire. La fuite défensive vers les bons objets extérieurs pour calmer l’angoisse peut aboutir à une attitude servile à l’égard des objets et à la faiblesse du moi.

j’ai eu l’occasion d’ observer un bébé de quelques mois à l’âge où ceux-ci portent tous les objets à la bouche et auquel il était dit, « oui, c’est bon » « non pas ça c’est pas bon », rejeter violemment, un soir, tous les objets que l’on avait mis à sa portée sur une table et après cet acte s’écarter de la table et s’entourer de ses bras (alors qu’il arrivait à peine jusque là à frapper dans ses mains), comme s’ il voulait se protéger de l’intrusion de ses mauvais objets qu’il venait d’éliminer avec forte agressivité.

Sans ce concept d’objets fantasmatiques, bons ou mauvais, j’aurais eu du mal à percevoir ce qui se passait et peut-être même me serai-je penchée pour remettre en piste les objets rejetés, puisque jusque là c’était la quête de cet enfant de jouer à éloigner et à ramener les objets ? Cf la bobine de Freud, le For Da. Le concept précède l’observation.

 

 

Le petit Hans

 

Concernant la psychanalyse avec un enfant, le premier cas analysé non pas par Freud mais par Max Graf, le père de l’enfant, nous permet de retrouver à travers les observations de ce père, les théories de Freud concernant la sexualité infantile et l’œdipe : l’attachement de Hans à sa mère, sa quête de câlins auprès d’elle, sa rivalité au père, sa jalousie à l’égard de sa sœur, ses fomentations mythiques pour expliquer la naissance de celle-ci.

Le père « imbu » des théories freudiennes dirige les entretiens avec son fils à partir du savoir d’un Autre, ce que Freud avance comme problème dans le commentaire qui suit le compte rendu de l’analyste de l’enfant.3 Cependant, il est surpris et conforté de retrouver les hypothèses théoriques construites à partir des analyses d’adultes  et de son auto-analyse.

Freud est un ami de la famille Graaf, il a eu en analyse la maman de Hans . Mr Graf, critique musical viennois, fréquentait le premier cercle freudien qui se tenait  au domicile de Freud  tous les mercredis. La situation de la phobie d’un jeune garçon de quatre ans y fut discutée. S’agissait-il du petit Hans? Probablement. Ce fait est confirmé, au demeurant, par le père dans un article inédit publié aux éditions Eres.

 

On peut remarquer dans l’ exposé des entretiens du père et de l’enfant qu’il s’agit d’un travail qui ne respecte pas le jeu de l’association libre et que l’enfant répond parfois aux associations d’idées de son père ou à ses préoccupations qui se raccrochent à ce qu’il sait de ce que Freud lui a transmis, et cela d’autant plus qu’il a de quoi se perdre dans le discours tantôt fantasmatique tantôt mythique de son fils. Max Graf, le père était séduit par la personnalité de Freud et par ses élaborations théoriques sans avoir pu au préalable fabriquer ses propres élaborations. Il était fidèle au maître du sérail et en position marginale dans cette première communauté analytique, loin du statut d’un collectif…

 

Il est important de dater l’histoire de ces événements. Nous sommes en 1900, Freud vient de publier « L’interprétation des rêves » et la mise en place du protocole d’une cure est en recherche. Le travail avec le petit Hans est du registre d’une psychothérapie, centré sur la disparition des symptômes de l’enfant. Freud en fait va travailler avec le père de l’enfant.

 

La question des entretiens préalables ou préliminaires, qui est l’objet entre autre de cette intervention ne se pose pas, ni celle de la possibilité d’une psychanalyse avec un enfant qui attendra le débat entre Mélanie Klein et Anna Freud dont la querelle révèle  deux conceptions différentes par rapport aux relations d’objet et le fait que « l’acte analytique confronté à un enfant subvertit la théorie qui tend à se constituer comme dogme » (je cite Marc Lebailly dans un article publié dans le cadre de « l'invention freudienne »). Cette question a subverti la théorie freudienne concernant la triangulation oedipienne comme indispensable à la structuration psychique ainsi que le concept de pulsion originelle de la sexualité. Pour Mélanie Klein, la pulsion originelle est d’agressivité. 

Revenons à la lecture du Petit Hans ;

Le père et son contrôleur sont au fait de la situation familiale de Hans. Ils connaissent l’environnement de l’enfant, son histoire avant sa naissance, l’histoire de ses parents, leur rencontre, l’ensemble des éléments d’anamnèse qui sont généralement abordés dans les entretiens préalables en cours de consultation. En revanche, on ignore ce que sait exactement Hans des circonstances de sa venue au monde, de l’histoire de ses parents, de ses grands parents : qui sont ses grands parents maternels ? Il est pris dans leur histoire et dans la culture de sa famille et l’on peut supposer que ces coordonnées flottent dans le registre de l’insu pour l’enfant.

On peut supposer que des entretiens préalables, si l’enfant avait participé à ces entretiens, auraient permis de redistribuer les cartes au niveau des places. Le père a tendance à s’effacer derrière le savoir de Freud et dans ses réponses sur son implication dans la venue au monde de son fils, à se mettre au second plan. Il met en avant l’importance de la mère de Hans p.154. Il ne serait pas surprenant qu’il laisse aussi beaucoup de place à sa propre mère, entre parenthèse, la grand mère paternelle de Hans avec qui Hans l’invite à se marier. p.162

Si Hans cherche à déloger son père, ce dernier lui ouvre la voie. Voilà ce que m’inspire une analyse clinique sommaire du point de vue de la réalité sociale.

Quand Hans interroge sa mère sur l’existence chez les femmes d’un fait-pipi, celle-ci répond par l’affirmative. « J’ai seulement pensé » conclut-il afin de clore les questions qui commençaient à émerger et à bousculer ses certitudes. Hans ne prend pas au sérieux la pensée qui lui vient à l’esprit : « il a seulement pensé », dit-il , on l’imagine soulagé que ce ne soit qu’une pensé. Le temps de découvrir ce qu’il vient d’entrapercevoir n’est pas .

On peut associer sur cette courte phrase de Hans qui nous fait penser ou plutôt imaginer une fin… Et si la mère avait répondu à la question latente de Hans, au lieu de répondre au pied de la lettre ? Vous savez bien qu’avec des «  si » on peut refaire le monde . Penser suppose en effet des mises en perspective qui doivent prendre en compte plusieurs dimensions et pas seulement des informations imaginaires, sans antécédents ni conséquences.

Josiane Prax dans un article  « Le petit Hans et sa famille : données historiques et bibliographiques »,dont le matériel est extrait d’un document issu des Archives de Freud restées inédites pendant quarante ans, précise que l’exposé de la situation familiale n’a pas été transmise par Freud  concernant entre autres, la mésentente conjugale des parents, l’univers tragique de la famille d’origine de la mère de Hans, ses troubles névrotiques, ses comportements peu sociables : « elle évitait de sortir car à l’extérieur elle était inquiète, dé sécurisée, mal à l’aise. Elle voulait rester à la maison… » ainsi que ses symptômes dépressifs. Cet article de Josiane Prax relève un certain nombre de faits qui méritent notre attention à condition de ne pas «  chosifier » ces données d’existence qui sont importantes mais qui ne déterminent pas le sujet.

Le problème vient du fait qu’elle ne pose pas d’hypothèse préalable à ses conclusions si ce n’est qu’elle sous-entend que c’est à cause de la mère et de l’histoire familiale que Hans en est arrivé là. Elle démontre que ce qui arrive à Hans peut s’expliquer phénoménologiquement par l’analyse des interrelations, des difficultés, des motivations, des personnalités des protagonistes familiaux.

Si l’on prend en compte ces éléments familiaux au cours d’entretiens préalables, c’est parce qu’ est faite l’hypothèse que ce qui est insu, su sans être su, risque de déterminer la répétition d’un agir provoqué par le discours familial ou par identification, parfois même, par imitation d’un membre de la famille, en lieu et place d’une réponse nouvelle, originale et singulière.

Ces entretiens ont pour objet de savoir dans quel système de valeurs les enfants se meuvent, comment ça se passe dans la lignée, comment l’histoire se répète entre les générations .

Des entretiens préalables sont l’occasion de parler de l’ histoire familiale ; c’est important en raison du recul, de l’accès à un autre point de vue que donne le fait de parler. La connaissance des us et coutumes, des rites, des valeurs de sa culture, des obligations et des interdits peut permettre à un enfant qui a les possibilités de structuration psychique, d’accéder à l’ordre symbolique culturel. Pratique initiatique qui facilite la transmission quand il s’avère que ceux qui sont en première ligne pour ce faire n’ont pu jouer le rôle de transmetteur auprès de leurs petits...

Je ne souscris pas aux conclusions que Josiane Prax tire de sa documentation… compte tenu de son parti pris pour dénoncer les erreurs et les distorsions de Freud qui fait coller dit elle sa théorie à la clinique. Pas de clinique sans postulat, comme l’indique Marc Thiberge, qui permette d’organiser les phénomènes en apparence hétérogènes, en une classification rationnelle. Comment observer des symptômes sans cadre de référence ?

Si les troubles affectifs venant de l’environnement peuvent affecter le fonctionnement psychique pré-conscient-conscient alors le travail des entretiens préalables aurait permis de mettre à jour les événements relatifs à l’environnement familial de l’enfant, certains non dits entendus par lui, (les enfants ont des oreilles !), certains points insus qui auraient pu éclairer le Petit Hans et, qui sait, limiter sa phobie. Qui sait ?

Si les entretiens préalables n’aboutissent pas à une résolution symptomatique et si des blocages de la structuration psychique persistent laissant apparaître des comportements, des manifestations cérébrales qui ressemblent à des troubles mentaux, si la souffrance d’un enfant est encore présente après ce type d’ intervention clinique, recevoir un enfant dans un registre psychanalytique peut être indiqué.

 

Quelques définitions sur ces deux expressions : entretiens préalables ou préliminaires.

A s’en tenir rigoureusement à la spécificité des termes, celui « d’entretiens préliminaires » s’applique strictement au cadre de la cure : « Est préliminaire ce qui prépare un acte, un événement important et préalable, qui a lieu, se fait, se dit, avant autre chose, dans une suite de faits liés entre eux. » Donc si l’on poursuit dans  la logique de la définition du Petit Robert le travail préalable précèderait les préliminaires qui préparent un acte si cet acte analytique est indiqué. Parfois les entretiens préalables suffiront à résoudre une crise s’il s’agit d’une crise bien sûr ! La question que l'on peut se poser en relisant le petit Hans c’est le statut de ces entretiens préliminaires qui seraient réservés à la cure alors que l’on ne sait qu’après coup qu’ils sont préliminaires.

Les entretiens préalables avec un enfant accompagné par ses parents, donc un jeune enfant, sont souvent associés a des entretiens avec les parents, la pratique n’est pas la même qu’avec un adulte . Il y a des praticiens qui n’ont pas cette démarche de concerner les parents. …

Les entretiens préalables sont dirigés, le transfert n’y est pas installé. Trop souvent l’étape des entretiens préalables est court-circuitée et les psychanalystes ont tendance à vouloir provoquer l’acte analytique en se référant aux entretiens préliminaires comme si cela pouvait être décrété à priori, or nous l’avons observé on ne sait qu’ils sont préliminaires qu’à posteriori.

 

Le processus d’accompagnement d’un patient jusqu’au point d’émergence de la possibilité d’un travail d’analyse, d’une adresse est long et complexe. Beaucoup de consultants restent dans la demande, demande de soulagement, d’aide, de soins, d’amour, de savoir…

Pour comprendre ces différences, se situer par rapport à la question de l’amour parce que cela nous concerne chacun ou nous a concerné quand on est «  tombé » amoureux, permet de saisir les nuances faites entre demande et adresse. Quand on tombe amoureux on est dans la demande, demande de réciprocité, si ce n’est exigence, celui qui tombe demande de l’aide et il n’est pas dans un temps où il peut s’adresser, c’est à dire « se » rencontrer, il a « besoin » de l’autre… pour se relever, pour survivre. Celui qui est dans l’adresse, il ne demande pas, il s’adresse à l’autre, il se parle en parlant.

Malgré le supposé savoir supposé de l’analyste, difficile d’ anticiper s’il s’agit au cours des premières rencontres d’ entretiens préalable ou de préliminaires, ce qui sera déterminant c’est ce que je viens d’indiquer et l’effet d’une éventuelle coupure subjective qui pourra métamorphoser la demande en adresse, la plainte en question. Elle dépend, je cite là Marc Thiberge, « de la position du psychanalyste qui permet de structurer les entretiens préalables autour de la détresse de vivre, de dégager l’instant inaugural de voir la détresse de vivre qui dévoile la  souffrance psychique » .

De plus, l’évolution de la demande psy est telle aujourd’hui que des entretiens préalables sont nécessaires autant pour le psy que pour le patient qui ne sait pas très bien ce qui pourrait l’aider face à l’offre de soins qui s’ouvre à lui, actuellement.  Il a entendu parler d’analyse mais il ne sait pas très bien ce que c’est, sinon que c’est long et qu’on en sort pas, pour peu qu’autour de lui il ait rencontré quelqu’un en cure depuis vingt ans et toujours au bord du désespoir.

C’est au psy d’être orienté, sensible à la question de la demande mais ouvert à l’adresse. Il ne s’agit pas de s’adresser un patient, c’est le patient qui s’adresse, ce qui implique d’être au fait de la différence entre psychanalyse et psychothérapie et d’en tenir compte. Sans cette étape du passage par des entretiens préalables, un certain nombre de situations qui mériteraient un abord psychanalytique échouent, ce qui alimente le lit des détracteurs de la psychanalyse. «  J’y suis allée trois fois, puis comme « il » ne disait rien, je ne suis pas revenu »… ou bien autre réflexion : « Est –ce que vous faites un travail dans l’interlocution ? » Témoignages de patients qui ont abandonné… pour avoir rencontré un psychanalyste pressé et silencieux avant l’heure.

 

Revenons à Hans.

Hans pâtit d’une phobie qui le limite dans ses déplacements, dans son élan de découvreur du monde qui l’entoure mais surtout dans son évolution psychique, du moins dans un premier temps, quand face à son angoisse, il ne trouve de recours que de revenir à la maison où se trouve sa mère, court circuit, n’est-ce pas ?

Si le petit Hans était venu en consultation aujourd’hui, il aurait bénéficié d’entretiens préalables avant que soit posée éventuellement l’indication d’une analyse ou d’un autre traitement. Ces entretiens ont pour objet de situer dans quel contexte, social, économique, religieux… dans quel système de valeurs les enfants se meuvent, comment ça se passe dans la lignée, comment l’histoire se répète entre les générations.

Les entretiens préalables tels que je les conçois ne sont pas des entretiens de recueil d’informations dont la visée à travers l’anamnèse est d’apporter des éléments qui serviront à préciser le diagnostic au cours de la synthèse de l’équipe pluridisciplinaire. Qu’ils servent à cela pour adapter le traitement pourquoi pas ! Ce n’est pas le but. L’objectif est de mettre un patient dans une disposition d’ouverture psychique telle qu’il va s’étonner, s’interroger sur ce qu’il dit et sur ce qu’il entend. Les patients qui ont l’habitude des entretiens non préalables justement, des entretiens qui visent l’information du thérapeute, racontent leur histoire comme un récit qui ne serait que de loin le leur, ce processus de défense vise à maintenir une distance avec l’affect, ce qui a un effet de fermeture. Cela arrive par exemple, quand des parents ont eu la malheur d’avoir un enfant handicapé et qui ont mainte fois consulté des spécialistes : ils connaissent par cœur nos questions,, auxquelles ils apportent ennuyés, résignés ou révoltés leur réponse prête à portée.

Le positionnement du clinicien qui suppose plus que l’application d’une technique, permet au patient de retrouver l’essence d’un traumatisme de l’histoire familiale et non le sens, le sens dit et redit à qui veut bien l’entendre sans que cela n’ait produit aucun changement subjectif. Les enfants quand ils sont présents au cours de ces rencontres vont pouvoir poser leur question, ils y sont autorisés alors que jusqu’alors ils n’osaient le faire sentant intuitivement qu 'il ne fallait pas s’approcher d’un point sensible, non élaborée, enfoui dans la mémoire de leurs aînés.

Il ne va pas de soi que l’on veuille se débarrasser d’un symptôme, et quand il s’agit d’un enfant, c’est encore moins évident qu’il le veuille lui, justement. On voit bien dans le cas du Petit Hans que le grand avantage de sa « bêtise », c’est de retrouver sa mère qui est à la maison pour faire câlin, d’autant qu’elle exerce sur lui de la fascination à cause de son « pouvoir phallique ». La lecture du Petit Hans nous enseigne sur le développement des enfants leur questionnement et leur croyance : la différence sexuelle n’est reconnue que lorsque l’enfant admet l’absence d’organe mâle chez la mère. Il ne suffit pas d’observer cette absence pour la reconnaître, s’il n’y a pas une maturation psychique qui le permette, s’il n’y a pas la mise en place d’une nouvelle structure qui reconnaît l’existence et la non existence d’une chose, sans quoi une chose et son contraire sont la même chose.

On ne peut pas dire que Hans soit pris comme un objet, bien qu’il soit pris comme objet d’étude, à la manière dont son père le suit dans ses fomentations mythiques ou fantasmes, quand il interroge la question d’où viennent les enfants. Mais au delà de ces interrogations sur la vie, la mort, l’amour, quand est-il de « sa détresse de vivre » ?

Une lecture petit Hans nous permet d’approcher ce qu’il en est des joies mais aussi des tourments de l’enfance, des croyances et des insights d’éclaircissement, des passages.

On voit Hans exprimer ses désirs de grandir, de grimper : (j’aimerai tellement grimper) p125 comme les autres et ne pas pouvoir le faire à cause de sa phobie des chevaux…, on y voit transcrit le désir et ces multiples visages… son souhait de jouer avec les autres enfants ici et maintenant, trouver le lien avec les autres dans la joie de l’expérience partagée. Le jeu « comme expérience de se mouvoir librement », dit le dictionnaire ne lui est plus aussi accessible. Il ne peut plus déployer la polyphonie de son désir inconscient.


 

Conclusion

 

Si je me suis appuyée sur la lecture du petit Hans c'est pour tenter de soutenir des arguments qui vaillent en faveur de la psychanalyse avec un enfant et non pas de la psychanalyse des enfants, ce qui pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une autre psychanalyse quand il s’agit des enfants alors que je pense que ce n’est pas le cas.

L’enfant est un analysant à part entière bien qu’il ne soit qu’un enfant.

Ceci ne veut pas dire que je sois d’accord avec la place de partenaire, de mini adulte que l’on donne aujourd’hui aux enfants dans les familles et dans la société

L’analyse se déroule sur une autre scène et durant son travail d’analysant justement, il va rencontrer les castrations orales, anales, oedipiennes, narcissiques -pour parler comme Dolto- données par les parents ou par l’environnement social et il sera accompagné dans sa cure pour accéder à d’autres niveaux de structuration psychique.

Je n’ai pas repris le débat de Mélanie contre Anna et vice versa. Nous sommes en 2011 et depuis nous avons avancé. Nous avons posé d’autres postulats que nous ne confondons avec des preuves. A chacun de préciser les postulats sur lesquels s’appuyer.

 

Le petit Hans pour en revenir à lui, parce que c’est une étude précieuse quand on s’intéresse à la clinique de l’enfant quelque soit d’ailleurs la clinique.Elle peut intéresser les psychiatres, les psychologues, ceux qui interviennent auprès des parents : "si le petit Hans était venu en consultation , je me serais occupé des parents", m’a dit une collègue… Quand aux psychanalystes au vu des nombreuses références qu’ils font à cette situation, ils y trouvent matière à penser et à élaborer. Et puis avec Hans, même si nous connaissons aujourd’hui sa véritable identité, Herbert Graf né à Vienne en 1903… nous n’avons pas à craindre de dévoiler une situation dans laquelle il pourrait se reconnaître et à qui nos propos pourraient faire du tort.

 

En ce qui concerne les entretiens préliminaires ou préalables, je vous ai donné au fur et à mesure du déroulement de l’exposé mon point de vue.

Peut-être avez-vous envie de savoir ce qu’est devenu le Petit Hans ?

Max Graaf raconte que la publication de l’ouvrage relatif à la phobie de Hans avait provoqué une vive polémique et que l’on ait psychanalysé un enfant de quatre ans paraissait une chose monstrueuse… On a dit dans les revues médicales qu’il s’agissait d’un enfant gravement névrosé dont on ne pourrait jamais rien tirer de bon" 4 ! Or, il était musicologue et devint directeur d’opéra !

 

1 S Freud Cinq psychanalyses : remarques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa

2 S Freud Cinq psychanalyses : remarques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa

3 S Freud : les cinq psychanalyses : «  Le père de Hans pose trop de questions et pousse son investigation d’après des idées préconçues, au lieu de laisser le petit garçon exprimer ses propres pensées. » p. 137

 

 

4 Figures de la psychanalyse, numéro 18: l’objet en psychanalyse, Eres