Michel S Levy mslevy@laposte.net Merci de vos critiques et remarques

PULSIONS

 

 INTRODUCTION : L'astructure du pulsionnel

 

Définitions

 

Il convient là de définir certains des termes que nous allons employer, en essayant de se donner les moyens de la simplicité, c'est à dire du langage commun lorsque cela est possible. Mais avant de parler de pulsion, il faut dire un mot de la structure, pour autant qu'en fin de compte elle s'en déduira.

 

 

Structures et processus

 

Entre les termes de structure, d'organisation, de système, les synonymies apparentes laissent passer des différences tout à fait fondamentales.  Ainsi, si "structure" et "organisation" sont très proches, "système" lui, témoigne d'une finalité. La structure peut être du côté du réel, pas le système, qui  incline quant à lui vers l'intentionnel, et donc, dans cette mesure implique une dynamique, un processus. Les structures psychiques sont ainsi évidemment du côté des systèmes.

 

Or, ce qui importe ici, c'est qu'il n'existe pas d'adéquation entre structure et processus, dans aucun domaine du vivant. Entre un système vivant et son mouvement, son évolution, au sens dynamique et génétique du terme, pas de corrélation absolue. Dans la structure du dialogue, pour prendre l'exemple de la thèse de Francis Jacques[1], dans "Dialogiques", l'analyse fine de ce qui s'y passe débouche vite sur le constat que le déroulement de ce dialogue (le processus) vient sans cesse limiter toute définition stable de ce dialogue (la structure).

 

Ce qui s'avère pertinent dans un domaine du langage l'est dans bien d'autres, y compris biologiques, surtout biologiques même. Un récent congrès sur la "Phylogenèse de l'individuation" a clairement fait le point de ces questions.[2]

 

Pour notre domaine qui est celui des psychothérapies, un repérage est possible selon ces axes. Ainsi le cognitiviste va tenter de passer d'une structure à une autre, il prend parti pour elle. L'analyste, lui, s'essayera à privilégier le processus désirant face à une structure répétitive. Les deux démarches, dans ces définitions, passent à côté de ce que serait la réalité pulsionnelle, à mon sens plutôt à trouver justement du côté de cette inadéquation même entre désir et structure.

 

Ainsi, la définition proposée pour la pulsion fait-elle jouer un différentiel d'information, différentiel présent entre les informations dues à la structure elle-même et celles qui viennent de l'interface structure/réel. La pulsion serait l'inadéquation dynamique liée à cela, l'objet de la pulsion centrale de l'être humain étant ainsi cet espace entre le désir et le réel.

 

 

Pulsion

 

Lacan s'approchera d'ailleurs de très près de ce que je vais avancer, en montrant que la pulsion, qu'il désignait comme la mise à plat du sujet dans  des représentations psychiques investies d'une énergie constante, trouve son essence dans le saut sans transition des images les plus hétérogènes les unes aux autres.

 

Il rappelait aussi que la pulsion fait le tour de l'objet plutôt qu'elle ne l'atteint. Fonction de circulation entre deux plans au moins, ici celui du sujet et de l'objet. Il ne posait là, dans cette définition, qu'une pulsion.

 

Évidemment, poser la question des automates permettra par l'absurde de cerner beaucoup mieux cette affaire du pulsionnel, et de commencer à entrevoir  qu'elle a plutôt à voir avec la limite même du concept de structure, ce qui donne quelques indications sur l'impasse relative qu'il rencontra à  tenter de cerner une structure mathématique  de la pulsion désirante.

 

 

L'automate

 

Turner[3]

 

L'étude des automates, du système logico-informatif, entre dans un cadre qui est celui de la structure, et non du processus. Évidemment, une pensée contenue uniquement dans la structure serait d'ordre insensée, ce à quoi on peut penser que vont aboutir les recherches sur les machines intelligentes. Une première confirmation de ceci vient que le premier psychiatre turnerien, si je puis dire, (c'est à dire la première simulation d'un dialogue diagnostique avec une machine en place de psychiatre) ne serait capable que d'identifier la structure paranoïaque, elle-même seulement logique, faute d’un corps humain siège des résonances métaphoriques.Il n'est certainement pas absurde de penser qu'un système fermé ne peut en reconnaître qu'un autre, lui-même. Mais la limite reste là claire.

On comprend aussi en passant que c’est nécessairement le corps qui reçoit les signes des logiques insues (inconscientes) qui fondent ensuite les éléments pulsionnels.

 

 

Traduire

 

Si le système informatif du langage est la pensée, ce qui est l'enjeu non dit, parfois non reconnu de ces tentatives d'intelligences artificielles, alors traduire une pensée ne devrait pas poser plus de problème que traduire une langue, langue et pensée devenant équivalentes. Si la traduction automatique était possible sans faute, la machine à penser serait inventée. Et la machine à penser, les psychiatres savent ce que cela donne. Dans une machinerie logique, pas d'espoir qu'il n'y réside une quelconque pensée. C’est un bon aperçu ici de la différence entre l'énergétique et le pulsionnel. L'automate nécessite de l'énergie, le vivant du pulsionnel. L'énergie est du côté des systèmes homéostasiques, le pulsionnel du versant du vivant. Traduire une langue demande à s'engager, à faire dans l'à peu près, à prendre des risques sur le sens, ce qui renseigne sur la vraie nature du langage, et son inadéquation à être un rapport aux choses. Il existe un au-delà à toute logique, y compris celle du langage et c’est le domaine de la pulsion.

 

 

La logique inconsciente

 

Heidegger

 

Un exemple de la logique de l'inconscient se révèle assez claire dans la philosophie d'Heidegger, dans cette logique voulant que l'être se soutienne de l'étant et que l'étant se soutienne de l'être. C'est la logique du tourniquet, qui parle donc d'inconscient, au sens premier du terme soit ce qui n'est pas explicite dans le discours, mais l'organise cependant. L'axiome et la faille d'une logique sont souvent en étroite relation. Que le fondement de la philosophie d'Heidegger soit une contradiction montre quelque chose de précis, ce que j'appelle l'inconscient, ce que Lacan appelait les accidents du discours, et qu'il convient à mon sens de généraliser aux accidents de la logique de structure. Ici, l'accident apparaît dans cette équivalence tautologique entre l'être et l'étant, c’est-à-dire dans l'aplatissement de la dimension temporelle, générationnelle, complètement absente curieusement de ce travail sur l'être et le temps. Est-ce une tentative de fonder la philosophie sur l'éviction de la notion temporelle, même s'il ne faut pas oublier au passage que cette oeuvre introduit les mouvements d'éclipse subjective qui seront repris ensuite par d'autres.

 

Cette pensée complexe d'Heidegger peut être montrée par quelques citations.

 

"Le parler courant n'est qu'un poème oublié dévasté par l'usage[4]" a-t-il pu ainsi écrire. Jolie phrase, qui donne cependant une idée de l'absolu (donc intemporel) après lequel il courait.

 

"Jamais nous ne pouvons être introduits à la parousie (entendue comme l'avènement de l'illumination, retour messianique, absolu) à partir de quelque ailleurs." Autrement dit, comme disait Lacan, il n'existe pas d'autre de l'autre. Heidegger en tirant une conclusion opposée à l'expérience de l'analyse, c'est à dire pour lui du côté de l'absolu. Pourtant, ce qui est tout de même le b-a ba du transfert, c'est qu'il n'y  a pas d'absolu qui tienne. sans accident. Il ne reste qu'un tour de force logique à tenter de sa part : "Le retournement de la conscience sur elle-même en son apparaître, permet l'accès à l'expérience. Cela commence par l'extrême violence de la volonté de la parousie. Par l'extrême aliénation de l'absolu en son apparaître. Il faut  pour cela écarter nos opinions et nos idées, la vérité de la certitude étant la conscience de soi se sachant soi-même. La certitude se perd dans la vérité."

 

En fait, ces états dynamiques de l'être, où quelque chose apparaît du mouvement même de son existence, ne sont compréhensibles que si l'on ajoute au texte de Heidegger une notion qui en est absente, et qui est précisément la pulsion. Entre l'être et l'étant, se situe un espace irréversible, accidenté, celui du pulsionnel, qui fait qu'aucun être n'est sans le temps de son contexte, lequel transforme inévitablement ce qui croit se saisir. Car le temps est toujours une rencontre, donc toujours une surprise, une altération de ce que les philosophes traquent sous le terme d'absolu. Et c'est bien cette altération de la logique qui crée le mouvement de la pulsion de comprendre dans les textes de Heidegger, à son insu. Qui y échoue, serait-il plus juste de dire.

 

 

La jouissance : la perte du temps

 

Ainsi, nous avons vu qu'il existe chez Heidegger la même nécessité que chez Bachelard de penser l'instant, chez lui l'instant de l'apparition. Ce qui aboutit à une manière intéressante de disséquer le concept de temps ponctuel en absolu, qui va vers la structure pour l’un, l’instant pour l’autre, mais qui mène plutôt en réalité au processus, à condition donc de ne pas faire disparaître cet instant en éclair de pureté éternel, comme Heidegger. La recherche de pureté et d'absolu est le fruit d'une démarche qui tente d'échapper a l'assignation temporelle du domaine signifiant et symbolique. Signifiant et signifié se rejoignent dans la jouissance de l'absolu, la barre saute, le temps s'abolit. Il convient de noter d'ailleurs que le terme de jouissance, pas plus que celui de pulsion, n’existent dans ce que j'ai lu des textes de Heidegger, puisqu'il mêle cela à l'absolu. En fait, dès lors, mettre l'absolu du côté de la volonté, pour lui, revient à quitter tout matérialisme, à revenir à la pulsion qui ne serait plus bousculée par ses objets. Ce qui est une pensée heideggerienne avant d'être lacanienne et amène à la jouissance d'une logique absolue.

 

 

La faille conceptuelle

 

Cette tentative uni-modale tient-elle la route, est-elle "raisonnable"? Certes non, si l'on constate que les tourniquets tautologiques pullulent dans ces raisonnements, indiquant largement les failles conceptuelles.

On comprend sans doute mieux pourquoi toute tentative de fondement logique d'une pulsion absolue va buter sur des phénomènes de jouissance, d'autant plus irréductibles que la logique en question va être soutenue fermement. L'exemple douteux de Lewis Carroll vient là à l'esprit, entre autres fort nombreux.

Ainsi, pas de transcendance chez Heidegger, faute de saut logique possible, faute de temps. La pulsion se transforme alors en ordalie, pourquoi pas sanglante, la suite de l'histoire l'a montré abondamment.

 

 

Le hiatus du langage : le dialogique

 

"L'effort de pertinence se poursuit tout au long du dialogue. Rien n'assure qu'il soit jamais acquis. Même dans le cas où l'issue du dialogue est positive, la confrontation épistémique débouche sur une figure instable. Deux feuillets orientés différemment ne laissent pas de bâiller."[5] 

En effet, les deux plans du dialogue ne sont pas totalement congruents, ils ne s'épaulent que partiellement. C'est précisément de cet élément partiel de leur recouvrement que naît un conflit, une difficulté précieuse. C'est là certainement que le langage s'appuie, le langage comme élément intermédiaire entre le réel et l'information. Là encore, on retrouve ce hiatus, qui faisait dire à Lacan que le langage était là ce qui faisait trou dans le réel, critiquant les positions qui en faisaient un élément informatif, voire un organe informatif (Chomsky). Le langage est en effet en partiel désaccord avec le corps, en distance avec le réel, sans rapport de contiguïté avec l'autre. Et pourtant ça marche. C'est même précisément pour cela que ça marche ! Il est très évident de constater que ça commence à aller mal, très mal, quand un accord se forme entre le langage et l'un de ces plans, le corps, le réel, l'Autre. "L'expérience est le médiateur entre la conscience et la science.", disait Heidegger. A condition qu'il n'y ait pas d'accord dans cette médiation du langage est ce que j'ajoute.

 

 

La suture philosophique

 

Ce précieux hiatus, opérant dans l'ombre, fut longtemps pourchassé, singulièrement par les philosophes. Sans multiplier les exemples, prenons Platon.

 

Son abandon du langage comme représentant les Idées, du fait de son imperfection, lui fait faire une faute logique, puisqu'il le garde pour en inventer une version désincarnée, la philosophie, sorte, dès lors, d'espéranto de la vérité. Une langue sans sens, telle est en effet le plus souvent cette philosophie, victime de son souci de fermer le sens à ses extrémités logiques. C'est l'effet de suture, dont parlait Lacan, conséquence du vertige bien compréhensible de ces grecs qui, traquant la vérité, débusquaient avec irrévérence les divinités, pour les recréer sous une autre forme. Ils avancèrent tout de même pas mal, sans doute en raison de la place de la langue, justement, dans leur société. Elle avait en effet débusqué le sacré, à cette époque, lui fixait une limite, la rhétorique, véritable alternative au pouvoir religieux ou militaire, moment très rare de l'histoire, de ce point de vue. Ainsi, quelque chose d'incroyablement créatif naquit, là-bas, dans une société aux prises avec des croisements multiples de plans référentiels divers et parfois incompatibles, mais coexistants, ne pouvant s'exclure les uns les autres, malgré les tentatives de suture.

 

 

L'un et le multiple, situation du débat

 

La question de la multiplicité, de la dualité ou de l'unité du pulsionnel, vieux débat psychanalytique, débat encore plus ancien du coté de la théologie, et facteur commun de toute tentative philosophique un peu musclée, est une affaire dans laquelle on est à peu près certain de reprendre des arguments dont la nouveauté ne tiendra qu'à la limite de la culture de l'auteur.ou du lecteur. Entre le mono et le polythéisme, Aristote et Platon, Dieu et le diable, le bien et le mal de Manès, Leibnitz et Spinoza, et plus récemment Morin et Canguilhem, entre les structuralistes et les vitalistes, et, pour la psychanalyse, entre freudiens et lacaniens (à propos de la structure du moi), le débat se nourrit, se répète, plutôt.

 

 

Le Manichéisme

 

Principe unique ou multiple ? Poser la question en termes de divinité ou de pulsion n'est guère différent, et n'est qu'affaire d'époque (Freud dit d'ailleurs quelque part que la pulsion fait partie de nos mythes).

Sans doute la tentative de Manès est-elle exemplaire par sa simplicité. Elle montre où mène la tentative de promouvoir un principe du bien. Lequel ne peut évidemment se soutenir seul.

Commençons par noter que le bien serait du coté de la structure durable, à laquelle il est nécessaire d'ajouter le mal, du versant de la jouissance éphémère. On voit que cette définition partielle fait jouer au temps un rôle central. De même peut-on aisément voir que la structure de Dieu, du bien, est toujours complexe, si je puis dire, alors que celle du diable est réductible à une simple dictature de la jouissance instantanée. Le temps du diable est toujours plus court que le temps de Dieu, ce qui est en fin de compte leur seule différence réelle. Aussi n'est-ce qu'en termes de complexité que cette différence s'inscrit. De l'un au multiple, ici, en ce qui concerne les puissances du monde, on passe à l'aperçu de plusieurs modèles opposables de ces puissances, en termes d'organisations simplement plus ou moins complexes, et dont les objectifs ne sont pas toujours temporellement congruents, l'attente la plus longue étant bien entendu celle de l'invisible, de l'au-delà. C'est bien en raison du fait qu'il existe plusieurs perceptions du temps que ces concepts se différencient.

L'un et le multiple ne sont en fin de compte opposables que dans le rêve d'unité qui pour tout homme pourrait faire oublier le  temps, d'abord et avant tout mortel. Le manichéisme en donne là encore une bonne illustration, qui définit les trois temps de l'aventure humaine comme ceux de la chute de la naissance (où l'on se sépare du bien comme unité absolue), puis du mélange entre les dimensions, et enfin de la séparation, à nouveau, après la mort du parfait, entre le bien et le mal, l'âme remontant chez elle, hors du temps. L'aventure proprement humaine est un mélange des genres, un mélange des temps, un temps conflictuel.

 

 

L'invention religieuse

 

Que ce mélange qui fait le lit du trajet humain vienne à ne plus être repérable, symbolisable, et naît à ce moment une nouvelle religion, le prophète étant celui qui a saisi l'impasse conceptuelle qui livre les hommes d'un peu trop près au réel.

La réforme ne fut-elle pas la revisitation du dogme ébranlé par la diffusion des connaissances due à la naissance de l'imprimerie et à la nouvelle expansion des universités? Le christianisme ne surgit-il pas au moment où les échanges économiques européens prirent une telle ampleur que l'éthique économique ne pouvait plus s'appuyer sur la religion du rituel ni sur celle d'une cosmogonie tribale. Le christianisme est la première religion européenne. A nouvelle dimension réelle, nouvelle dimension spirituelle. Dès que le multiple réapparaît, se manifeste aussi la tentative humaine de le réunifier, de le comprendre, en fait. Tentative vaine, mais dont l'illusion fonde bien des avancées.

 

 

L'inconscient

 

 Le réel

 

La rencontre de la volonté unitaire de comprendre et du réel a donné un certain nombre de rejetons, comme la religion, la philosophie, la science ou la psychanalyse, entre autres. Chacun d'eux se définit d'une structure logique interne, avec son armada de postulats plus ou moins folkloriques, et les développements qui s'en déduisent avec plus ou moins de bonheur. Et dès lors soit on barbote tranquillement à l'intérieur du ou des systèmes choisis, soit on va tenter d'en explorer les limites. Il arrive aussi que les limites viennent toutes seules à soi, ce qui est aussi inévitable qu'est inaccessible la complexité du monde. C'est dans cette occurrence que je place la notion d'inconscient, dont on voit alors qu'elle désigne une rencontre plus qu'un concept, singulièrement la rencontre du réel. On voit aussi que cette définition est plus large que le champ de l'analyse.

Ce que j'appelle l'inconscient est donc ici un saut de logique, d'une nature inconnue, dont il est sans doute plus rigoureux après Lacan de dire qu'il est plus insu qu'inconscient, d'ailleurs, pour autant que la notion de savoir inconscient est clairement identifiée comme le préconscient freudien, système qui peut fort bien s'accommoder d'une logique interne, simplement contradictoire avec d'autres logiques déjà connues.

L'inconscient serait finalement, selon les auteurs ; soit le produit de la rencontre entre structure et processus, Lacan faisant partie de cette école ; soit l'analyse des effets du recoupement de certaines structures, comme les freudiens classiques s'y emploient, avec le développement de la problématique des instances psychiques ; soit il serait de l'ordre du hiatus lui-même, c'est à dire l'endroit où Lacan mettait le désir. C'est ce qui sera ici défendu.

Il faudra dire ce qu'on entend alors par désir, ce qui se déduira en fait facilement de la notion de pulsion à laquelle j'espère arriver. A savoir que si on déplace l'inconscient là où Lacan mettait le désir, la pulsion saute d'un cran, et devient événementielle, grain de sable dans la machine, irrégularité de surface, mettant en tension le ou les systèmes où elle se produit. Ce n'est pas tant que la pulsion soit sans objet alors, mais  plutôt qu'elle ne parvient pas à le réduire à un système, jamais. Et le désir naît de là, de ce que la pratique de l'objet de la pulsion n'est jamais réductible à une quelconque satisfaction éternelle de structure.

 

 

Le biologique

 

Du côté de la science actuelle, les questions ne sont guère différentes, en tout cas permettent de continuer de poser cette question de l'inconscient, de l'insu, dans un champ moins habituel pour nous. Selon un biologiste, A. Danchin, la vie est faite de quatre processus : le métabolisme, la compartimentation, la mémoire, la capacité manipulatrice. Mais le biologique, c'est aussi l'individu et l'espèce : double message, constitutif du pulsionnel, propriété du biologique. C'est à dire que le vivant serait donc de l'homéostasique qui se transmet, de la structure qui s’engage dans un processus.

Mais, là aussi, les processus et structures sont en conflit. Le transmis et l'identique ne sont pas dans un même rapport logique. Le temps compris comme un temps d'évolution finaliste n'est pas un critère suffisant dans l'analyse des caractères phylogénétiques. Ainsi, en phylogenèse moderne, l'ancêtre commun n'est plus nécessaire. Il est simplement lui-même traversé, parfois latéralement, par les traits qui font l'objet de l'étude. Ce n'est qu'imaginairement qu'il est à l'origine. Et encore, pour un temps qui ne peut être que celui de l'étude en cours.

L'étude du trait commun n'est arbitrée que par "le juge de paix de la découverte du fossile", comme disent les paléontologues, laquelle vient remettre en question les théories, comme la découverte du monde remet en question toute règle logique qui vient à sa rencontre.

 

 

L'inconscient biologique

 

Et il existe donc une autonomie de l’accident de rencontre par rapport à la stabilité de l'espèce. Le parallélisme est frappant entre transmission chromosomique et transmission symbolique.

 

Cette autonomie parle de niveaux logiques. Parler d'inconscient  ici peut paraître osé. En fait, la  capacité d'adaptation caractéristique de la vie, par rapport à la machine, vient de ce que les sauts logiques entre les instance (espèce-individu ; milieu interne-externe ; etc.) peuvent être générateurs de mises en tension dont certains événements, que j'appelle pulsionnels, peuvent être partiellement intégrés dans le mouvement de la vie. Des systèmes se rencontrent, se côtoient, inconscients l'un à l'autre, tant que la rencontre pulsionnelle n'a pas eu lieu. On voit que la notion d'inconscient se situe là en termes de niveaux, pour autant que soit le modèle de la poupée russe, soit celui de l'océan monadique semblent ici convenir aux intrications logiques présentes dans le monde. Rappelons ici que la conscience est en fin de compte un effet de surface d'un système constitué, lorsqu'on pousse un peu l'exploration de cette notion. L'inconscient ne serait rien d'autre que la déformation provoquée par une ou plusieurs autres surfaces, internes ou externes.

 

 

La sexualité

 

Il existe en effet une tension continuelle entre l'homme et l'espèce, qui ne se résout pas simplement par une quelconque théorie de la sélection (simplification), laquelle nécessite toujours la réalité de la complexité et de son retour. Il suffit pour cela de se remémorer les aléas des sélectionneurs génétiques, qui voient le plus souvent avec l'amélioration de tel ou tel trait singulier, apparaître des éléments imprévus et hautement gênants. Rien de tel qu'un bon corniaud pour sauver l'espèce. La sexualité est précisément cette copule entre la nécessité de protéger une espèce par sa répétition parthénogénétique (reproduire le plus identiquement possible, la logique du même), et la nécessité adaptative à une réalité changeante, accidentée. Ce qui amène à une sorte d'organisation de l'irrégulier, à une forme de contrôle de la mutation, soit la méiose et son inverse, la fusion des gamètes. La sexualité est une structure d'astructuration, du changement, une de ces logiques limites où la logique court le risque de se perdre elle-même (les accidents chromosomiques et les monstruosités sont les prix à payer de la logique adaptative.) : c'est une hétérologie. Ceci indique au passage que dans certaines perversions, la jouissance du même est tout sauf une sexualité. Précisément, il s'agirait plutôt d'une reproduction, paradoxalement, au sens ou toute reproduction n'est pas sexuelle.

 

 

Le minéral

 

Nous pouvons encore remonter plus loin, aux origines même de la vie, dans ce moment incroyable où le minéral et le vivant sont en fait indissociables, pour fonder au mieux la notion d'inconscient ici aussi au travers des nécessités pulsionnelles. A ce niveau les forces seront d'ordre thermodynamiques. Ce qui aboutira à une conclusion sur la théorie de l'information, l'inconscient n'étant ici finalement que cet intervalle entre l'information et le réel. Mais allons pas à pas.

 

L'étude thermodynamique des états d'organisation de la matière a montré ces dernières années une sorte d'anomalie locale au regard de la théorie générale de l'expansion continue qu'on appelle l'entropie. Ces structures dissipatives, où l'entropie serait "anormalement" croissante, sont celles qui génèrent l'auto-organisation. Elles sont le fait de systèmes loin de leurs points d'équilibre, et se génèrent autour de petites fluctuations, formées sur des irrégularités de surface. Cette structure est éminemment leibnitzienne, comme on peut le reconnaître. Les physiciens ne font pas grand cas de ces irrégularités, probablement à tort, et sûrement en raison de cette tentation homéostasique des systèmes à exister (j'assimile ici un physicien à un système qui veut exister). En effet, ces petites fluctuations sont tout simplement l'irruption de l'imprévu, de l'impensé, d'une logique insue. Que les petites fluctuations de l'espace servent de points d'appui à ces organisations naissantes n'empêche pas que parfois, ce sont ces organisations même qui se perturbent les unes les autres, générant ainsi d'autres organisations, qu’on peut dire à ce moment éco-organisations, dont le devenir dépendra des possibilité de compatibilité avec les systèmes environnants. On se prend à rêver sur les curieuses correspondances que l'on ne manque de retrouver dans ces théories et celles qui nous occupent. La moindre n'étant pas celle qu'on peut faire entre la créativité de la fluctuation de l'espace et la manifestation de l'inconscient dans les fluctuations de la parole.

 

Existe-t-il un inconscient minéral ? Je n'ai aucune peine à le soutenir, puisque les physiciens et les géologues sont des hommes. Mais, passant cette boutade, on peut voir que si les deux caractéristiques les plus nettes de la vie peuvent être définies comme la reproduction et l'adaptation de systèmes partiellement fermés (fermeture qui représente sans doute la définition minimum de la conscience.), tout est en place pour qu’une définition mécanique de l'inconscient s'y retrouve partiellement, hormis le sens, bien entendu, faute de symbolique. Le minéral reproduit des structures, qui s'adaptent à un contexte. Même si l'échelle de temps n'est pas la même, les accidents du minéral permettent une créativité de structure, une fluctuation entre le maintien du même et l’apparition du nouveau.

Cette métaphore minérale (fort limitée !!) permet cependant de voir que l'information lorsqu'elle se condense à contre-courant du flux entropique, fonctionne toujours dès lors comme une mise en tension dans le déroulement du temps. Peut-être convient-il là de séparer les choses, puisque deux types d'informations existent alors : celles qui s'intègrent dans la cohérence du système lecteur, et participent à son homéostasie qu'on peut appeler instinctuelles, et celles qui le perturbent et créent une mise en tension. Ce sont sans doute ces dernières qui représentent le pulsionnel, dans la mesure exacte où elles sont au plus près du réel. Finalement, on voit que la perturbation de la pensée vient permettre l'invention d'une structure de savoir, à condition de ne pas être trop à cheval sur la nécessité d'équilibre, ce qui n'est pas très loin, curieusement, du constat des thermodynamiciens. Là où l'information ne renseigne que sur une perturbation insue d'un système de pensée, se situe certainement cet intervalle entre réel et savoir, où la pulsion de comprendre dérange les certitudes.

Une information pulsionnelle est un élément du réel inaugurant une perturbation permettant dans le meilleur des cas un gain d'énergie potentielle. Ce qui la différencie de la simple communication, ou du simple lien.

 

Il n'est pas impossible que la pulsion soit précisément cette prise en compte de l'informatif nodal (créant un noeud entre le réel et le système) dans la dissipation énergétique d'un système homéostasique. La pulsion et la vie ne sont ici qu'une seule et même chose.

 

 

La préhistoire

 

Bien évidemment, le rapport entre ceci et la question de la transcendance, divine ou pas, est étroit, et le débat philosophique vieux maintenant de 2600 ans entre essence et substance, transcendance et immanence, spiritualisme et matérialisme, et maintenant entre sciences et croyances n'en est que le continuum repérable. Il faut repartir un peu plus en arrière, à la limite de ce qui s'aperçoit de l'homme, et une introduction par les fascinations de la préhistoire peut illustrer ce propos.

C'est qu'il n'est pas pensable que les peintures rupestres des cavernes ne témoignent pas au moins d'une chose : un langage organisé. On sait d'ailleurs que l'anatomie pharyngée de ces hommes était morphologiquement compatible avec un langage complexe du point de vue phonologique. Ces peintures ne sont sans doute que le premier reflet de l'autonomie de la langue, et il est assez plausible de soutenir que ces figures ne sont que des représentations de mots abstraits, en quelque sorte une première écriture. Dès que le langage devient complexe, certains mots ne représentent plus aucune chose…Ils existent par eux-mêmes, et deviennent alors représentables. Face à la logique sensorielle immédiate du monde, une autre logique était apparue, celle des signes développés par les hommes, avec ses nécessités internes, ses points de rencontre avec le monde, et surtout son autonomie, sa différence. Le symbolique crée bien ici l'imaginaire, et c'est sans doute la première trace de ce processus que l'on retrouve dans ces premières oeuvres humaines.

 

La question de l'essence, de la forme, et de la substance est nécessairement présente dès ce moment de l'histoire de l'humanité, moment où se dessinent jusqu'à nous les traces de ces désirs émergeants. En effet, si l'on réfléchit un instant au processus que l'on peut supposer à ces peintures, tout y est : le monde sensible et son opacité charnelle, le monde symbolique et sa clarté désincarnée, et cette trace déjà désirante au sens humain du terme, dans l'exercice de ces représentations picturales, ni mots ni bêtes, compromis en quelque sorte. Symptôme déjà pointant de la condition humaine, tentative de lier le réel et l'imaginaire au-delà du symbolique langagier, démarche artistique, bien entendu, au sens où l'art est le monde du symptôme tel qu'il nous est en fait indispensable à tous pour cheminer dans ces logiques irréductibles des mots et des choses. Une force tirait du côté du monde, et une autre commençait à poindre du côté des mots, et de cette disjonction sont peut-être nés les premiers dessins du désir humain.

 

 

Leibnitz[6], le philosophe hétérologue

 

S'il est un philosophe qui s'est le plus approché de la thèse ici soutenue, c'est cependant Leibnitz.

Il fut le contemporain de Spinoza, avec qui il passa tout un mois de discussion, ce qu'il nia d'ailleurs ensuite, eut égard à la réputation sulfureuse de son "ami". C'est sans doute pour cela que le vrai travail de Leibnitz ne fut pas publié de son vivant, et se présente plutôt de manière ésotérique par rapport au reste de son oeuvre. A la thèse du hollandais, que rien de fini n'existe en soi, qu'il n'est que Dieu ou la nature, Leibnitz répond, secrètement il est vrai ( et prudemment étant donné l'époque.) par l'idée que ses monades, loin d'être organisées de haut par un Dieu seul possesseur réel du libre arbitre, comme il le soutenait officiellement, existent ou non en raison simplement de leurs relations logiques respectives.

Citons Bertrand Russel, dans Histoire de la philosophie occidentale[7] « Entre certaines choses possibles, quelques unes ne peuvent venir à l'existence, car elles ne sont pas "compossibles" avec les autres. Seules existent celles qui le sont. Il peut être possible que A existe, il est aussi possible que B existe, mais il est impossible que A et B existent ensemble. Dans ce cas A et B ne sont pas "compossibles".Leibnitz parait avoir imaginé une sorte de guerre dans les Limbes, habité par les essences, qui, toutes, tentent d'exister. Dans cette guerre, les groupes de "compossibles" s'unissent, et le plus grand groupe gagne, exactement comme le ferait le groupe le plus fort dans un débat politique ».

 

C'est cet aspect du travail de Leibnitz que Deleuze reprendra dans son ouvrage Le pli[8].

Il développe dans l'espace philosophique de Leibnitz, entre les monades logiques l'idée du pli, concrètement présente dans la mathématique de celui-ci, et qui l'a sûrement aidé dans ses découvertes en calcul infinitésimal. Et c'est sans doute ce concept de pli qui représente le mieux l'inconscient, probablement de façon plus générale celui d'accident de surface. Difficile cependant de fonder une logique de l'accident ou de l'aléatoire… C’est pourtant la plus productive ! Disons pour suivre Leibnitz dans son histoire de "compossibles" que du point du vue du plan, de la monade qui voudrait se comprendre elle-même, tout pli est incongru. C'est donc difficile et, en outre, dérangeant, chaque logique ayant tendance à justifier d'elle-même, ce en quoi elle échoue toujours, naturellement. La répétition est là, dans l'homéostasie de la structure, répétition qui ne s'aperçoit pas tant qu'elle réussit dans son but, qu'elle se trouve des alliés compossibles et qui se montre lorsqu'elle échoue dans sa tentative de traiter l'inconnu avec le connu. Par extension, on peut même poser que la structure ne se montre qu'autour et grâce à ses accidents de surface. L'inconscient est aussi la condition de la conscience, de ce point de vue. (D'ailleurs, les hommes de structure, les monomanes d'un système de vérité, ne paraissent pas toujours encombrés par la conscience, autre nom générique de la culpabilité.)

 

 

L'hétérologie

 

Situation générale du problème

 

Nous avons vu que la pluralité pulsionnelle, est une nécessité non pas logique, mais hétérologique. Si l'on se fonde sur l'unité pulsionnelle pour comprendre le vivant, on est vite dans l'impasse, et on doit au moins inventer une deuxième dimension. Dieu et le diable, l'être et l'étant, la structure et le processus, etc. Les mathématiciens prennent généralement de l'avance sur tout le monde grâce à la possibilité qu'à l'abstraction de ne pas être ralentie par le sensible. Les dimensions peuvent même à l'occasion être chez eux infinies, ce qui, probablement, les rapproche plus du réel comme le soutenait Lacan.

Ce qu'on appelle l'inconscient ne serait donc qu'un premier accident dans un niveau logique, indiquant qu'un autre n'est pas loin, dont rien n'indique qu'il soit dernier. Aussi n'existe-t-il probablement pas d'inconscient, au sens de structure, mais un processus de montée de niveau logique pour rendre compte d'une perturbation dans un système connu. C'est en ce sens logique que l'inconscient est indestructible, en tant qu'il est fondamentalement l'appel à un saut dans le savoir.

 

 

L'exemple névrotique

 

En clinique, ce type de problème  me semble extrêmement parlant.

 

Une des causes majeure de la névrose est parfois la confusion entre plaisir et déplaisir. Ce qui aboutit à l'impossibilité de choix et donc d'acte, et amène à garder un objet interne de plaisir mélangé qui interdit partiellement l'épreuve de réalité, laquelle, remplaçant la jouissance par du savoir-jouir, permettrait la sublimation. Mais qu'est-ce d'autre, sinon une confusion de niveaux logiques, dont l'indifférenciation dans le symptôme entraîne la répétition? C'est bien le transfert, chez l'analyste, qui va réveiller ces logiques inouïes du patient, la rencontre hétérologique prenant la forme de la logique de l'autre, du savoir de l'Autre, avant d'être tout simplement un autre savoir, toujours possible à condition de sortir de la demande d’absolu qu'est précisément toute demande transférentielle au départ.

 

 

L'extension de la psychanalyse : la question du social

 

La critique de Marc Thiberge, dans son séminaire déjà cité, sur l'autonomie du symbolique par rapport au social, chez Lacan, sa prééminence plus exactement, faisant de la théorie de l'inconscient une théorie de la représentation, est à mon avis un repérage de la disparition dans le chemin lacanien du concept d'hétérologie. On ne peut le lui reprocher. Alors qu'évidemment, elle apparaît dans sa théorie du sujet et du désir. Mais pas dans sa théorie de l'inconscient. Il ne pouvait en être autrement puisqu'il ne peut y avoir de théorie logique de l'inconscient, si celui-ci est seulement le signe qu'une logique en croise une autre..

Mais enfin, dire par ailleurs qu'il n'y a pas de rapport entre le sujet de l'inconscient et le social ne suffit pas, puisqu'on peut ainsi être tenté de fonder et l'inconscient et donc le social. Inévitablement, la tentative virera au social pur, puisque fonder l'inconscient s'avérera impossible. C'est ainsi que l'on voit parfois les sociétés d'analyse virer au microcosmes, sur l'échec du fondement de l'inconscient, et apparemment, de la pratique. Voilà pourquoi toute pratique de la motivation et de la volonté humaine vire au politique, micro-social ou non. Vieux débat en fait éternellement réactualisé entre l'intelligible et l'existant, entre Platon et Aristote, toujours eux. La découverte de l'inconscient passe entre eux deux, sur leur mutuelle exclusion qui est aussi une mutuelle nécessité.

 

Difficile de dire qu'entre le social et le sujet, nul rapport. Cela ne tient pas, et on doit ensuite s'encombrer de paradoxes inévitables, tels les concepts de résidus transférentiels, etc. Il serait plus clair de simplement poser qu'ils ne sont pas réductibles l'un à l'autre, qu'il n'existe pas de logique en quelque sorte tierce qui permettrait le lien clair entre ces deux champs, ce qui n'empêche alors pas que des liens soient repérables, à titre d’événements singuliers, et non de système logique de réduction de l'un à l'autre. Le social et le sujet sont dans un rapport hétérologique, c'est à dire une logique non géométrisable, non algébrisable. Entre le social et le sujet, nul rapport, mais il convient d'ajouter nul rapport logique.

Car il existe des rapports hétérologiques. Ils sont précisément ce qu'on appelle l'inconscient. En ce sens on ne peut plus soutenir que l'inconscient soit structuré comme un langage, ou même comme quoi que ce soit. L'inconscient est signe qu'une logique arrive à son terme. L'inconscient est un système aporétique, hétérologique, métalogique, a-structurel comme on préférera.

L'inconscient n'existe pas en soi. Il n'existe pas plus qu'une différence n'existe en soi, en tant que cause première.

 

 

Retour philosophique

 

Qu'en est-il de cette cause première, qui serait là aussi dernière? Qui permettrait d'entendre le mystère de l'un et du multiple ? Platon et Aristote, maintenant ensembles dans une tentative de critique commune et complémentaire des thèses Héraclitéennes sur la question de l'essence et de l'existence, permettront d'avancer un peu dans ce concept.

"Le conflit est père de toutes choses, roi de toutes choses.", avait avancé Héraclite. Et il n'est pas d'essence du conflit, bien sûr. Seul reste un mouvement, ce qu'il dénommait le UN. L'unité était un flux, rien d'autre que le temps, probablement.

Pour Platon le langage est un signe de réalité, mais en même temps il risque d'être un faux savoir. Il est sur le plan de l'équivoque. Or, Platon n'aime pas plus l'équivoque qu'Aristote. Ce qu'il résout par l'invention d'une fiction a-conflictuelle : si penser, c'est séparer, nommer, pas l'un, mais les multiples, alors le mot sera aussi la première ombre. Et si le sens préexiste au mot, c'est la première transcendance de l'être à l'apparaître. Le monde des Idées vient unifier non pas en une compréhension plus riche, mais en une croyance supplémentaire, fondée sur le concept d'essence, développé dans le monde des Idées.

 

Cette notion d'essence "cloue" le flux héraclitéen, appelée d'ailleurs par Platon la philosophie du "catarrhe"!

 

L'indifférence d'Aristote pour la singularité des individus confirmera qu'il est un philosophe de l'intelligibilité, de la structure, de la substance et non de l'existence essentielle. "Et si le ciel intelligible s'évanouit, il ne reste que le ciel visible des dieux sidéraux", naufrage de la raison devant les croyances singulières. Confronté au simple réel, l'homme perd la raison. Ceci peut d'ailleurs rendre compte de notre époque actuelle, et du souci des gens à porter leur croyance sur le visible, au détriment évidemment de toute altérité, voire humanité, qui ne s'appuie que sur l'invisible, l'à venir. Si l'homme perd la transcendance pour l'un, l'intelligible pour l'autre, dans sa tentative de maîtrise logique du réel, c'est le drame de l'inhumain qui se rabaisse dès lors à peu de chose près à l'animal, dans le sens de la pulsion bestiale. Tout n'est plus que structure, à défendre ou à attaquer, ce qui est la même chose.

Ainsi, si Platon et Aristote, chacun par un bout différent, l'un par l'essence, l'autre par la substance, prennent soin de maintenir un domaine insu, les Idées pour l'un, les universaux parfaits pour l'autre, au-delà de la réalité visible, ils ne font ni l'un ni l'autre de place au concept héraclitéen de conflit. Lequel d'ailleurs, emporté par ce thème trop monologique lui aussi, était un homme de fichu caractère, assez porté à la guerre, et mauvais inspirateur de pacte social ou de système stable de pensée. Trois hommes, trois fondements de systèmes de pensée, trois échecs à chaque fois relatifs, bien entendu.

 

 Il apparaît en fin de compte clairement qu'il n'existe pas de philosophie une, si ce n'est le mot lui-même, son étude un peu précise  aboutissant à des hypothèses conflictuelles, incompatibles, hétérologiques. Car c'est bien cette confrontation, semble-t-il irréductible, qui fait l'intérêt de la philosophie, et non l'arrêt sur tel ou tel philosophe.

 

 

La psychanalyse

 

Pulsion de vie, de mort, une remarque préliminaire.

 

Il me semble utile de noter que contrairement à ses autres théorisations, Freud ne s'est jamais tant approché d'un raisonnement tautologique que dans cette question. En effet, alors qu'il constate une répétition incompatible avec son système de pensée, il en déduit simplement l'existence d'un axiome supplémentaire, et il faut le dire contradictoire avec son système de pensée précédent. Il faut en effet noter que cette affaire de pulsion de mort n'est absolument pas compatible avec son esquisse d'une psychologie scientifique. Elle en rend même le fondement caduque, c'est à dire le principe de la constance du niveau d'investissement, celui de la résolution des tensions énergétiques. Puisque la seule solution est de constater que pulsion de vie et de mort ont alors le même but. Et donc puisqu'elles sont équivalentes, la pulsion de mort, qui vient après, n'existe pas.

 

Au fond, Freud ne fait rien d'autre que d'inventer une tautologie, disant que si parfois la force morbide semble l'emporter, c'est à cause de la pulsion de mort..alors qu'ailleurs, ce sera la pulsion de vie si la vie l'emporte.

 

 

 

 

Le pulsionnel

 

Toute cette balade dans le pulsionnel reste malgré tout un peu abstraite, eut égard à ce qui est la préoccupation principale, la clinique. Car finalement, la thèse qui est ici soutenue est triviale et je n'ai fait que passer à la moulinette de certains chercheurs l'idée que l'humain désir se soutient de ruptures logiques, la spaltung lacanienne n'étant que l'une d'elles. La dialogique d'Edgard Morin[9] est une thèse très proche, pour ne pas dire quasiment la même, d'opposition dynamique de deux logiques, chez lui biologique et culturelle. Le même terme est utilisé par Francis Jacques, pour définir une logique du dialogue entre deux sujets, aboutissant aussi au constat du hiatus central nécessaire au déroulement de ce processus, derrière les pseudos-évidences de la compréhension. Il est vrai que j'ai proposé il y a quelques années le terme plus radical d'hétérologie pour désigner ce phénomène, ce qui évite au moins la tentation de ne s'y retrouver qu'à deux..

 

Mais il est clair que l'impact clinique de cette idée est plus subtil, et mérite des descriptions plus détaillées des arcanes où oscille sa présence. Une remarque ironique d'Henry Atlan sur la psychanalyse telle qu'elle est rapportée par Granoff peut introduire à ces développements, qui seront au fond les vrais justificatifs de ce travail.

"Quoiqu'il en soit, heureusement pour les patients, la nature bonne fille aidant, certaines cures réussissent sans qu'il soit indispensable que le thérapeute maîtrise les fondements théoriques de sa réussite. D'autres cures, malheureusement, échouent sans que cela infirme ni confirme le moins du monde la théorie de telle ou telle école. Les discours conscients, théorisations de certains psychanalystes, nous font croire qu'en ce qui les concerne, de toute façon, "ils ne savent pas ce qu'ils font". Pardonnez-leur, Seigneur? "

Comme d'ailleurs, et c'est assez curieux à remarquer, certains chercheurs de la théorie des réseaux neuronaux me faisaient la même réflexion : ils ne savent en effet pas toujours pourquoi leurs modèles informatiques marchent ou pas : ils organisent un programme, le lancent, et constatent que le niveau de complexité est tel qu'il est impossible d'analyser tout ce qui se passe. Ce qui les amène à travailler sur des réductions logiques de leurs modèles.

 

Alors, finalement, et à l'aune de cette pratique hétérologique qu'est l'analyse, il est plausible que l'analyste qui sait vraiment ce qui amène la réussite d'une cure a supprimé le désir que son patient était venu chercher, puisqu'il supprime aussi la possibilité d'autres logiques insues constitutives du sujet qui l'a visité. La claire guérison, éclairante de l'inconscient, comme a pu la rêver Freud, est ainsi probablement le pire de ce qui peut se passer dans une fin d'analyse, expliquant d'ailleurs que les analysants, ensuite, n'aient d'autre destin que de se regrouper pour défendre avec leur analyste cette fiction stérilisante, indépendamment de la réalité qui se poursuit autour d'eux. L'analyste a sûrement fort intérêt à se taire dans ces moments de clôture des cures. Surtout s'il imagine savoir ce qui se passe à cet instant, ce qui est heureusement toujours partiellement faux.

 

Par contre, il est clair aussi qu'une cure qui ne marche pas, voire qui échoue (pour l'analyste, en espérant que le patient aura le courage d'aller y voir ailleurs.) est la plupart du temps limpide. Et c'est sur cette limpidité que l'échec repose le plus souvent. L'analyste et son analysant ont vraisemblablement dans ces cas-là partagé une illusion de comprendre, ce qui suffit, lorsque cette croyance est assez assurée, à stopper le processus analytique. Verser dans une logique uni-modale, quelle qu'elle soit, fut-elle psychanalytique, est le meilleur moyen, on s'en doute maintenant, de basculer du coté de l'échec de l'analyse, de stériliser le pulsionnel qui est à la base du désir.

Lorsqu'on ne sait pas pourquoi exactement une cure fonctionne, ce serait plutôt bon signe, et il vaut sûrement la peine que le patient s'en aille sur ce silence intrigué de son analyste. Heidegger disait quelque chose qui s'accorde bien à cela, et indique sans doute le maximum de ce qui peut être saisi en commun entre l'analyste et son patient : "Une véritable explication ne comprend jamais mieux le texte que ne l'a compris son auteur ; elle le comprend autrement. Seulement cet autrement doit être de telle sorte qu'il rencontre le Même que médite le texte expliqué." Ce "même" est pour nous, on s'en doute, une pliure signifiante.

 

 Par ailleurs, il serait enfantin de penser qu'il suffit de soutenir cette position clivée quand à n'importe quel savoir pour avancer une analyse. Car pour sortir d'une logique, et parvenir à l'accident qui témoigne d'une autre, encore faut-il avoir les moyens de la parcourir : ce transfert si difficile à cerner, qui produit surtout un supposé savoir, dont on comprend mieux pourquoi il est non seulement illusoire mais carrément un obstacle au désir. Le transfert, n'est rien d'autre que la trace d'arrêts de plans logiques, figés faute que le développement subjectif et objectal l'ait permis. L'angoisse, n'est qu'une tentative de tout résoudre dans une logique uni modale, et est là le témoin d'une circularité qui s'est instaurée, nécessitant la patiente et lente reconstruction des objets de la pensée, outils qui permettront ensuite d'avancer vers une hétérologie soutenant le désir. Plutôt que de reparler là de la théorie des stades dans l'analyse, il serait plus juste de reprendre une théorie des plans, chacun ayant ses caractéristiques, fonctionnant dans une certaine logique, et permettant d'accéder à un certain nombre de moyens psychiques, lesquels à leur tour autoriseront à explorer un autre plan, les limites ou un accident du précédent étant ainsi atteints.

L'analyse serait ainsi successivement un processus de construction et de déconstruction, alternance dans laquelle persisterait le gisement même du désir, de la vie.

 

L'acte est alors précisément ce qui engage le plus souvent dans ces carrefours hétérologiques, tel l'acte d'Alexandre sur le noeud gordien, instaurant une autre logique, inouïe jusque là. L'acte analytique est de ce type, et ce qu'on appelle les acting (out ou in) en analyse indiquent aussi ces accidents de la pensée.

Le signifiant pulsionnel est cet élément qui  se situe en pliure, en intersection, fonctionnant ainsi en fait dans plusieurs dimensions, comme l'acte, dont il est le représentant dans le domaine du langage. Pourquoi pulsionnel ? Précisément en raison du fait qu'il est à l'intersection de plusieurs logiques, et par là-même porteur de désir.

Voici pourquoi je ne pense pas qu'il puisse se soutenir qu'il n'existe qu'une seule logique désirante, qu'une seule source pulsionnelle. J'avancerai plutôt qu'elles sont en nombre vraisemblablement infini. même si nous n'avons le pratique que des plus proches et des plus évidentes d'entre elles.

 

 

Un mot à propos de la dernière période des recherches de Lacan, celle qui concerne la théorie des noeuds borroméens. Lacan supposait que la mathématique pouvait rendre compte peu ou prou de l'expérience de l'inconscient. Et il se démenait comme un beau diable dans ses ronds de ficelle, à la recherche de la logique de cela, se plaignant d'avoir un mal fou à frayer son chemin, mettant cette difficulté sur le compte de l'âge. Je ne suis pas sûr, après coup, que ce problème était à mettre sur le dos de ses 74 ans, (on était en 75).

Après 68, il est clair qu'il avait offert, à beaucoup, un chemin difficile et profond, dont nous pouvions supposer un frayage lointain pour chacun de nous. La force des énigmes qu'il nous proposait était à la hauteur de l'espérance qui commençait déjà à manquer dans le social.

Le 18 Novembre 75, le séminaire sur le Sinthome[10] s'ouvre.  Il rappelle que le langage a pour effet d'exclure ce qu'il nomme, ce qu'il appelle un procédé logique. Bien entendu, il ne peut guère être contesté sur ce point. Si je dis " nature ", ce mot exclut qu'il puisse s'agir de la nature, comme Magritte pouvait inscrire sous l'image d'une pipe "Ceci n'est pas une pipe".

Qu'il n'existe pas de rapport sexuel tient alors aussi au fait qu'il est chez l'homme nommé. Ce qui implique bien entendu la fonction phallique, présente pour que ne cesse la faille garante de la castration. Notons tout de même que la castration, qui est coupure, se situe dans cette rupture logique entre la parole et la nature. Et que le phallus fait en quelque sorte saillie entre ces deux champs, garantissant et l'un et l'autre.

Il amène ensuite que le possible de cette castration c'est ce qui cesse, de s'écrire ce qui indique aussi la place d'une autre rupture, celle de l'écriture ici. Qu'Eve mythique soit inférée là, celle qui voulait savoir, celle qui saurait, indique bien en quoi elle ne peut ainsi exister. Qu'elle n'existe pas en tant que La Femme, en tant qu’idéal absolu.

Lacan effleure alors le fait qu'Aristote refuse de considérer le problème du singulier dans sa logique,  (dans la mesure où le singulier est la limite logique de la forme.) sans se rendre compte du parallèle qui commence à poindre là avec sa logique à lui. Puisque, après avoir posé toutes ces logiques qui ne peuvent se résoudre les unes aux autres, il va partir, c'est le cas de le dire, dans cette ultime tentative uni-modale que constitue sa théorie des noeuds. Qu'elle soit aussi irréfutable, infalsifiable que la logique aristotélicienne (qui a tout de même tenu 2000 ans.) ne vient que montrer leurs communes obscurités.

 

Et pourtant, lorsqu'il parlait clinique, Lacan était tout de même plus clair :

"Une interprétation est nécessairement équivoque, il faut que quelque chose y résonne. Soit créer une aspérité."

"La pulsion, c'est l'écho dans le corps du fait qu'il y a un dire". "L'oreille étant un orifice qui ne peut se fermer." Donc "c'est à cause de cette absence de fermeture que  répond dans le corps la voix."

 

La perte du sens est donc le fondement de cette recherche vers la question pulsionnelle, pour la psychanalyse. En effet, un sens, quel qu'il soit, est une vectorisation en fin de compte finaliste lorsqu'elle est appliquée à l'homme. Si le besoin est du coté de la structure, la pulsion du versant de la rupture logique, alors le sens rabat toujours du coté du besoin, puisqu'il n'est analysable et repérable que dans une structure. Fondamentalement le besoin d'exister pousse à la structure, et participe d'ailleurs au déséquilibre qui engendrera le désir pulsionnel, par la limite que cette structure rencontrera du simple fait de son existence. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de cette dénomination de signifiant pulsionnel que de souligner que le procès identitaire, s'il veut être au service du désir, mérite de se baser beaucoup plus sur ce thème de la construction-déconstruction qui est présente en ces signifiants. Ces accidents de la logique que sont les signifiants pulsionnels forment en fait ce que d'aucuns on appelé le style, c'est à dire l'homme dans ses vacillements. Pas dans le rien, le vide, l'intervalle pur, comme le soutenait avec angoisse Lacan, mais bien dans une singularité qui repose sur les limites des systèmes logiques qui ont constitués un sujet précis, et dont la parole met en avant les points de rencontre et de rupture.

 

 

 

Réduction symbolique

 

Cette réduction de la substance à la forme, pli leibnitzein de la matière où s'inclut l'âme, est inspirée par le souci de déterminer à la réalité un statut stable et identifiable. Ou, autrement dit, la structure fonde la réalité psychique, mais j'ajouterai pour moi que le processus de rupture fonde l'existence de la structure, qui n'existe que de son vacillement, que de son scintillement d'un espace à l'autre de disparition-réapparition. La substance serait du coté de l'accident, la forme du côté de la tentation du permanent. Aussi la réduction symbolique doit-elle rester inachevée pour que le désir persiste. Là encore, la notion hétérologique permet de passer par le pli signifiant pour que la circulation illogique, aporétique soit permise.

Il faut noter que fonder une logique illogique est là l'enjeu, reprise de la tentative lacanienne de la théorie des noeuds, échouant sur la grève du monomorphisme .

Cette réduction de la substance à la forme, c'est aussi une tentative de fonder un système stable de compréhension du monde, humainement bien compréhensible, et le fait de chacun, d'ailleurs, qu'il soit philosophe ou non, ce qui est bien entendu aussi perpétuellement mis en échec. Par exemple, si Aristote rend mieux compte dans son système de pensée du rapport de la connaissance et du réel, par l'usage qu'il fait de la relation entre la forme et le réel, et aussi par le fait qu'il est le premier à ébaucher une théorie du langage, par le biais de ses universaux qui ne sont autres que les adjectifs, (n'ayant pas besoin comme Platon d'une transcendance se passant de l'immanence, le monde des Idées, autre monde en quelque sorte) il échoue cependant comme lui à avancer sur la question de l'individu, et de la création, c'est à dire finalement dans son objectif de départ. Peut-on identifier l'intelligibilité des choses avec la singularité des existants ? Ceci est la question du biologique, transmission du vivant, et de l'analyse, transmission du désir du vivant. Dans ces deux domaines, l'impasse aristotélicienne est de mise pour reprendre la réflexion.

 

 On peut ainsi poser rigoureusement que le signe est le rapport de la chose à une forme, que le symbole est le rapport de l'homme au langage, et le signifiant le rapport de l'homme à l'irréductibilité logique de l'identité. C'est à dire qu'il est en fait un représentant pulsionnel.

 

La réduction symbolique, réduction signifiante pour être plus précis,  passe donc  par la réduction de la jouissance (substantielle) au plaisir, ici plaisir du savoir à venir.

Le narcissisme est l'alternative inévitable à ce processus, témoin de la tentation homéostasique, de la défense de l'un, du refus de l'inconscient, il n'est que le signe de la division du sujet. Cet obstacle à l'analyse est le premier, ce qui revient à dire que la limite à l'analyse est la logique circulaire, la logique de l'un, la logique de structure. Elle fonctionne pourtant comme une tension dont on peut dire qu'elle est biologique. Appelons-la instinct, pour éviter la confusion. L'instinct est fondamentalement l'instinct du narcissisme, en ce sens que le narcissisme est là l'image virtuelle de l'animal biologique, homéostasique, et c'est bien pour cela qu'on en a jamais fini avec lui. Ce n'est d'ailleurs pas qu’un obstacle dans l'analyse, bien au contraire. La butée ne se produit que de l'absence d'articulation convenable avec la dimension subjective. C’est un exemple très clair d'une articulation hétérologique entre le narcissisme et le sujet, avec pour pli la réduction sur le signifiant pulsionnel. La réduction symbolique est donc par essence un phénomène instable, constamment renouvelé, témoin de la subjectivité vivante.

 

 

 

La pratique de l'inconscient, si elle remonte à Freud en ce qui concerne l'usage scientifique du terme, est bien entendu une démarche dont on peut repérer les traces bien avant l'avènement de la science.

La définition qui peut rendre compte de cela ne peut donc qu'être suffisamment générale et pourtant ne doit rien perdre en précision. Dire que l'inconscient est le signe d'une autre logique laisse le champ assez ouvert, puisqu'on peut alors la qualifier de logique secrète, divine, maligne, sacrée, ésotérique, aussi bien que refoulée, forclose, ou encore réelle si l'on se place dans le champ de la réalité psychique, biologique si l'on est du côté du culturel, etc. A son heure, dans son contexte, chacune de ces définitions donne appui pour retrouver dans l'histoire des hommes et des femmes qui réfléchirent à ces autres logiques des événements culturels dont l'impact fut à chaque fois déterminant dans l'évolution des idées.

Nul doute que ce mélange bien plus que manichéen du travail des logiques insues sur l'esprit et la vie des hommes soit inhérent à la condition humaine elle-même.

 

Une force pulsionnelle unique, en effet, ne saurait donner naissance à ces accidents de la raison que représentent les processus dits de l'inconscient. Il faut bien que s'oppose à quelque force que ce soit une ou plusieurs autres forces pour que le conflit naisse, et avec lui à la suite d'Héraclite, au fil des générations, la pensée humaine.

 

Il faut dire un mot maintenant de l'aspect évident de tout ce qui précède. Car une simple idée y est martelée, résumable ainsi : il n'est d'inconscient que dans la mesure où il existe des logique inouïes. C'est que la subtilité est cachée sous cette apparente banalité. Elle consiste bien entendu dans l'exploration de ces cohérences repliées sous les symptômes qui nous sont présentés. Recherche infinie, et prétexte à ce moment de tous les déploiements possibles de nos cortex dans ces directions dont on devine qu'elles ne peuvent, en clinique, être complètement simplifiées du coté du registre du théorique. La psychanalyse est bien de l'hétérologie appliquée, dont le résultat productif est la pulsion désirante.



[1] Dialogiques, Puf, 2001

[2] Puf, 1994

[3] Logique pour une intelligence artificielle, Masson 1998

[4] Chemins qui ne mènent nulle part. Paris, Gallimard, 1962

[5] "Dialogiques" de Francis Jacques, déjà cité.

[6] http://classiques.uqac.ca/classiques/Leibniz/La_Monadologie/La_Monadologie.html

[7] Gallimard, 1953

[8] Editions de minuit, 1988

[9] La méthode: 3. La connaissance de la connaissance, Le Seuil, 1986

[10] Livre 23, Le sinthome,  Le Seuil

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Michel S LEVY

Auteur de "Psychanalyse : l'invention nécessaire", 2005, L'Harmattan

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