Michel S Levy mslevy@laposte.net Merci de vos critiques et remarques

L'ETRANGE ETRANGER

 

 

 

J'ai entendu, un matin radiophonique, l'interview d'un auteur, ainsi présenté : " J'ai le plaisir d'accueillir Mr X fort connu depuis la publication de son célèbre ouvrage, etc..." et autres louanges.

Ce à quoi le personnage en question, tout de go, répondit, dans le même ton : "Je vous remercie de l'honneur que vous me faites, à juste titre, pour autant qu'il est vrai que ce livre me paraît réussi, etc..."

 

L’effet de sidération de l'interviewer, à cette prise aux mots de ses formules d'introduction !

 

Qu'en est-il en effet de la fonction de mensonge dans ce qu'on appelle les échanges de politesse ? Il aurait été "bien venu" que ce monsieur démente son vis à vis.  En tout cas, lorsque cette dimension du mensonge cesse, comme plus haut, il semble bien que le lien social, brusquement, prête à rire ou ne tienne plus. Lien qui nécessite, comme c'est patent en diplomatie ou en politique, latent ailleurs (voire en amour ?), une certaine part de dissimulation.

 

Que dire de ces cérémonies de rencontre entre tribus, qui donnent lieu, quelques soient les arrières pensées, toujours présentes, à des échanges et éloges réciproques, scellant le lien social au coeur du paradoxe. ( Ici, donner pour prendre...)

 

Ce faux mêlé au vrai, cette intrication de deux plans dans une même expression, rappelle le thème de l'intrication pulsionnelle freudienne.

Il ne semble pas que la vie soit possible sans cela. Le déchaînement mélancolique en amène une illustration dramatique, ainsi que ce qu'on appelle en analyse la réaction thérapeutique négative. Exemples autrement plus graves que l'amusement radiophonique cité plus haut, pourtant de même nature quant au fond.

Là comme ici, si cessent de se mêler dérision et sérieux, amour et mort, discrétion et soutien, chacun de ces deux domaines, délié, évolue pour son propre compte, devient illimité, cesse d'être humainement possible. L'humain n'est pas seulement le complexe, il est aussi le mêlé, le paradoxal, l’hétérologue.

Les recherches sur le double lien dans la schizophrénie ont probablement laissé sous silence son aspect fondateur de la nature subjective de l'homme. (Le problème n'est ainsi pas tant pour le schizophrène l'existence du paradoxe, dans le double lien, que l'impossibilité, voire l'interdiction qu'il ne soit pensé et verbalisé.)

 

Ces quelques propos à propos de l'humour ou de son manque, voire des conséquences dramatiques de son absence, amènent à cerner un aspect singulier du concept d'objet en psychanalyse.

L'humour peut-il s'appliquer à tout objet ? Et qu'est un objet sur lequel il s'appliquerait, ou, inversement, auquel il serait interdit ? (On sait, intuitivement et immédiatement, ce que cela recouvre socialement. Et le risque en fait parfois vital, c'est à dire guerrier, qui est posé à ce niveau.)

L'objet, dans le cas de  l'humour, est au moins à deux faces, et sinon, il est monolithique, en quelque sorte opaque. Il n'est pas sûr que le sujet y soit alors repérable. 

 

Les concepts élaborés par les analystes autour des questions relatives à l'objet, bon, mauvais, clivé, troué, enkysté, encrypté, rendent tous compte de cette sémantique multiple présente dans le concept univoque d'objet.

Répartition de champs, dont la topologie lacanienne tente une mise en forme qui repose grandement sur la notion du bord, de croisement. Il est facile de voir que cet aspect est présent dans toutes les définitions de l'objet énoncées plus haut.

 

Pour revenir quelques instants sur cette séparation entre le bon et le mauvais, que proposait M.Klein, il est clair que la tentative qui y préside est vouée à l'échec, et cause ainsi ce qu'elle appelle la position dépressive. L'objet ne se laisse pas si facilement emporter d'un bord ou de l'autre. S'il veut rester en rapport avec la réalité, il lui est nécessaire de fonctionner intrinsèquement avec cette notion de bord. La phrase de Lacan énonçant que "la vérité n'est jamais que mi-dite", créant un bord dans le mot même qui tente de cerner l'objet du désir, illustre ainsi que la logique du calligramme n'est pas applicable qu'à la poésie.

 

 

L'objet en psychanalyse amène à la question de la vérité et aussi de la croyance. Il n'est pas compliqué de constater là également qu'un plis existe en ce mot, caché en apparence, mais qui permet de passer de l'envers à l'endroit de ce terme aisément. Car en effet "je crois" peut signifier "je doute" aussi bien que "je ne doute pas", selon le contexte...

Freud a écrit un court article sur le sujet, " Uber den Gegensinn der Urworte", qui doit se traduire non pas par " Des sens opposés dans les mots primitifs", mais plus exactement " A propos du sens opposé des mots primitifs". Ce qui diffère considérablement, la deuxième traduction impliquant que tout mot primitif contient une opposition, ce qui est tout autre chose que de chercher quelques raretés dans un ensemble linguistique. L'hypothèse freudienne est bien la première et c'est en cela qu'elle est dérangeante. Le mot est à l'origine toujours double.

Ce qui s’aperçoit d'abord dans l'organisation de espace, quel qu'il soit, géographique, psychique, linguistique, et qui est de l'ordre du trait, de la séparation, de la frontière, les domaines ainsi répartis n'étant que secondairement identifiés à partir du bord lui-même.

Ainsi, tout objet parlerait de manière patente ou latente de son ou ses corrélatifs, selon le nombre de dimensions de l'espace en question. La structure symétrique serait là première.

L'objet serait d'abord frontière, symétrie (deux fonctions entre autre du miroir). Ou plutôt, à partir de la notion de frontière s'ordonnerait celle de l’objet. Voilà l'hypothèse freudienne telle qu'elle vient clairement dans ce texte. C'est au fond cette frontière que l'humour vient souvent montrer.  

 

Le domaine de l'étranger se déduit lui aussi d'une frontière, d'un bord, rendant étranger ce qui correspond de part et d'autre de ce bord, fût-ce pour tenter de s'y reconnaître. C'est là le travail probablement premier de l'épreuve de réalité de l'infans, qui va tenter de mettre en correspondance ses représentations et ses perceptions, au travers de la frontière de sa conscience, puis des mots. Mais ces deux domaines resteront cependant toujours plus ou moins étrangers l'une à l'autre, selon que l'entourage sera plus ou moins attentif aux besoins propres de cet enfant. Et il ne peut jamais l’être complètement…

La métaphore du film est là tentante, qui parle à la fois de la pellicule éclairée, et de l'image projetée, un mauvais écran, une optique défectueuse, une ampoule trop faible venant rendre parfois étranger le film...au film. Mise au goût du jour lacanien du mythe de la caverne de Platon, qui voudrait que nous ne pensions que d'après les ombres venant de l'Autre.

 

La projection qui est là fondamentalement à l'oeuvre permet l'articulation signifiante, parlant à la fois d'un limite au sens et d'un envers de ce qui se montre, et indique bien que la nature au moins double de l'objet s'accompagne d'une discordance centrale dans le domaine pulsionnel.

Puisque l'objet, s'il est aussi bien lui-même que son contraire, est aussi d'une autre nature que l'"objet" primaire de la pulsion, à l'origine dans le champ perceptif.

 

Tout ceci, élaboré dans l'oeuvre de Lacan, est ici repris pour indiquer combien le terme d'étranger est inhérent à la découverte Freudienne elle-même. L'objet primordial, pour Freud, est d'ailleurs perdu. Sans doute faut-il l'entendre au sens où est perdue la congruence entre le domaine du pulsionnel et celui de l'objectal. Dans cette faille, sur cette frontière, de ce bord, s'articule la figure complexe des jeux signifiants et de ses objets, et plus précisément aussi la répartition entre le refoulement et sa souplesse (l'humour, la métaphore), et la projection et sa rigidité parfois psychotique.

 

Les effets de miroir entre ces deux champs pulsionnels et objectaux sont multiples, un exemple curieux pouvant se déduire de l'observation soigneuse de ce qu'on appelle l'insight en analyse, cette capacité à se voir soi-même, qui conditionnerait la capacité à faire une analyse selon certains. En fait il s'agirait plutôt d'outsight, pour autant que se voir, c'est bien évidement tout sauf se voir. C'est plutôt apercevoir quelque chose de soi qui devient observable, c'est à dire extérieur. Je n'est évidement plus moi dès ce moment. L'insight, donc est plutôt outsight, et plus fondamentalement même spaltung, c'est à dire effet de la séparation qui fonde l'observable lui-même. L'étranger est là ce qui est pris pour le plus sûrement intime, soi-même dans la langue en fait. Je suis donc fondamentalement étranger à moi-même, du fait de la nomination. Le savoir ou non n'est évidement pas anodin, et conditionne effectivement parfois la possibilité d'analyse.

 

Un autre biais qui permet d'aborder l'étrange est la question de l'angoisse dite du 8° mois ( en fait la temporalité en est infiniment plus souple, puisque des gens peuvent vivre cela en analyse à 40 ans ! ).

Spitz en faisait son deuxième organisateur psychique, après le sourire et avant la négation.

La peur et l'amour peuvent-ils fonctionner ainsi selon ce mode réversible repérable au centre même de la notion d'objet ?

Il semble que quelque chose de cette nature soit repérable dans la thématisation de Spitz des organisateurs psychiques. Rappellons que cet auteur suppose que le premier sourire organise les interactions de façon suffisamment centrale pour être isolé dans sa théorie, et qu'ensuite, c'est la peur de l'étranger qui va structurer l'ébauche d'un moi autonome. Qui ne peut s'entendre qu'autour du couple moi non-moi. Ou, du coté de l'objet, le bon d'un côté, et le mauvais de l'autre. Le couple moi objet étant lui-même indissociable dans sa genèse.

Il est en tout cas remarquable que ceci s'organise autour de la même forme, le visage, et bascule sur une différence, telle figure précise, autre que la mère. On peut sans doute soutenir de là que la peur est une caricature de l'amour...Et sans doute aussi réciproquement.

 

L'être dans le non-être, le moi dans le non-moi, l'amour dans la peur, décidément, le miroir (en réalité, c'est toute la topologie du processus subjectif qui est là condensé dans ce terme employé trop facilement) est bien là, parfois déformant, pour jouer sa fonction constitutive du sujet.

Aussi n'est-il pas étonnant que ces questions de "miroir" soient au premier plan des maladies psychosomatiques et psychotiques. En particulier, l'indifférenciation affective de certaines psychoses confusionnelles résonne avec cette absence de réaction de peur à l'étranger notées chez les bébés psychosomatiques.

 

 

Si la mère est bonne,et l'étranger mauvais, il est clair que c'est la conscience du bord entre les deux qui importe ici. Le sacrifice du mauvais objet, déplacé hors de la mère, permet une première défense constitutive du moi, une première réponse sociale aux frustrations inévitable dues à la rencontre du principe de réalité. C'est probablement la mère qui est visée, dans cette peur de l'étranger, attaque qui ferait tellement peur, puisqu'elle ferait en même temps courir le risque de la destruction de ce qui porte l'enfant lui-même, si elle était tournée vers la mère.

Aussi cette attaque va-t-elle au plus proche de ce visage ambigû, l'autre visage. Ce n'est pas un hasard, dès lors, si le non à la mère est l'étape suivante. Si cela n'a pas lieu, c'est que la confusion est telle entre les perceptions de l'enfant et les stimuli de la mère, entre ses colères et ses désirs  qu'il n'est plus possible à l'enfant d'intégrer symboliquement ses propres pulsions. Ni bien entendu de traiter celles des autres. L'objet devient opaque...

 

Passer de la peur de l'étranger au "sacrifice" de celui-ci peut sembler un peu rapide. Cela se fonde cependant de ce que l'étranger dont l'enfant a peur n'est pas quelqu'un qui a pu lui apporter un déplaisir. C'est simplement un inconnu, à savoir quelqu'un dont il n'a pas de raison de dépendre. Cette focalisation des pulsions agressives sur l'étranger, constante ou presque en éthologie grégaire, vient dans un moment où, pour l'enfant, se met en place le processus même de l'identité (sociale, donc).

L'identification, à soi et par l'autre, passe en effet par un sacrifice, celui de la toute puissance pulsionnelle... L’étranger de passage en fera donc les frais..

 

Fondamentalement, donc, ce sacrifice est celui de la jouissance immédiate. Ce que l'enfant sacrifie, ainsi, c'est sans doute le  désir tout puissant de dévorer la mère, afin de surseoir à l'exécution de son attente, créant ainsi la structure qui s'y relie. Ce désir de destruction se transformera d'ailleurs en un troisième organisateur, la possibilité de dénégation, forme élaborée, et inscriptible dans la langue, de ce sacrifice. Qui ainsi reviendra très vite sur la mère, mais d'une manière tolérable pour l'assise du sujet.

De l'autre à soi l'identité passe par le sacrifice, pacifique et simplement transformé en choix, en négation s'il est voulu, et si l'on peut en rire.

 

Cet espace sacrificiel qui laisse au sujet la place de poser son existence en renonçant à sa jouissance pour s'approprier une parole, il convient bien sûr pour qu'il soit efficace que liberté lui en soit donnée, c'est à dire que rien chez l'autre ne vienne clore la question de sa vérité. Espace vide, libre, d'humour aussi, qui laisse possible le mouvement chez l'enfant d'accomplir lui-même son acte d'abandon de la toute puissance.

 

De l'accomplissement de ce sacrifice dépend la possibilité pour le sujet d'accéder à l'illusion identitaire.

Cette chute acceptée par l'autre et par laquelle le sujet accède à lui-même est une condition psychologique majeure. Qu'elle vienne à manquer, et elle reste à faire, voire devient une répétition obsédante. La peur de l'autre est indissociable de la supposition qu'il est tout-puissant, qu'il ne rit pas de lui-même.

 

C'est pourquoi le raciste, sans le savoir, a surtout peur d'une vérité infaillible qui ne lui laisse pas de place, miroir de la toute puissance destructrice en lui-même. Peut-être espère-t-il qu'une fois ce mur abattu, il pourra enfin se rencontrer lui-même ? Mais il ne sait pas que ce faisant, il reste dans le domaine quasi exclusif du pulsionnel, au détriment de l'objet et de ses miroirs, se vouant à la répétition sous sa forme la plus brutale, celle que Freud assimilait à la pulsion de mort, et s'éloignant en fait de toute sa haine de l'univers du désir.

 

Il n'est pas difficile de voir, si l'on suit le fil proposé, que le fondement du sujet est également le fondement du social, que la structure de groupe repose aussi sur un sacrifice individuel. Pas de social possible sans refoulement.

Ceci est évidement fondamental, car le risque, lors de la rencontre de l'étranger, est que celui-ci ne soit pas lié par le pacte. Il est dès lors le barbare, celui qui peut tout prendre, voler, de l'âme ou du corps, puisqu'il n'a rien sacrifié de lui dans cette nouvelle rencontre. Qu'il le fasse, et il sera "initié", ne sera plus étranger...

Le racisme est affaire de groupe humain plus que de race, bien entendu. Inhérent même à la fondation du groupe.

 

Un groupe peut-il ne pas être raciste ? L'étranger peut-il avoir un statut autre que celui du barbare primaire réveillé dans l'inconscient même ?

 

C'est à cette question que répond le texte de Freud intitulé " Das Unheimliche ". Traduit en français par " L'inquiétante étrangeté ". Mal traduit aussi, car le ressort même du titre comme du texte joue sur ce redoublement du sens présent en allemand, qui va de l'intime au menaçant au travers de la même forme sémantique. Il vaudrait mieux traduire : l'inquiétante métamorphose de l'intime.

Toujours est-il que dans ce travail, Freud tente d'expliquer ce ressort puissant du fantastique par le retour soit du refoulement, soit de la pensée magique, ce qui explique que l'angoisse soit ainsi liée à un élément psychiquement familier.

Les deux statuts de l'étrange ainsi définis sont bien utiles pour avancer dans cette question du traitement psychique de cette autre face de soi-même originellement étrangère au pacte social, représentée par l'autre différent, c'est à dire dépourvu des signes du groupe.

Ainsi, si les forces d’un refoulement souple et d’humour dominent, c'est le lien et la fidélité qui vont l'emporter, car la forme humaine restera plutôt porteuse du plaisir qui a présidé au sacrifice de la toute puissance d'une jouissance destructrice. Le premier moment de la rencontre comporte sans doute une inquiétude de cette deuxième espèce, mais plus le refoulement aura été humainement harmonieux, (c'est à dire réciproque et drôle) plus il sera bref.

 

Par contre, si les tensions de la toute puissance infantile dominent, il est à craindre que l'étranger ne reste porteur de cette nécessité sacrificielle qui n'est pas advenue par le refoulement, et qui se pose dès lors comme condition sociale : il peut être nécessaire que l'étranger y soit réellement sacrifié sur l'autel de la toute puissance ainsi paradoxalement maintenue de un bourreau qui, cherchant à s’en débarrasser, ne pense en fait qu’à cela..

 

En résumé: l’accueil de l’étrange construit du savoir, lie le pulsionnel, tandis que son rejet détruit une différence, une inquiétude, donc aussi un savoir, et déchaîne le domaine primaire. La différence fondamentale est dans la nature du pacte sacrificiel, réciproque dans le premier cas, pas dans l'autre.

 

Il est possible de revenir de là vers la nature double de l'objet, puisque l'étrange est à cette place d'autre face, d'autre bord. L'étranger en est le paradigme sans doute le plus parfait, lui qui a la forme de n'importe quel homme, et l'intention la plus cachée de celui qui le voit en bandoulière. Ce dessein secret supposé à l'étranger est bien entendu celui de la structure inconsciente de celui qui le projette. Laquelle peut donc porter aussi bien la transparence du refoulement  que l'opacité dangereuse de la toute puissance imaginaire.

 

Les objets, ainsi, ont à la fois un bord (l'inconscient) et un trou (le sacrifice)? Qui pourrait parfois manquer (la vérité, l'absence d'humour ? ).

 

Ainsi peut-on se  demander si les Dieux ne représentent pas pour les peuples une des formes repérable de ces curieux objets. Et qu'en est-il de la tolérance des peuples à l'étranger, est-il possible de repérer un lien entre leur cosmogonie et leur comportement à ce sujet ? Ainsi, les dieux grecs, qui, s'ils sont puissants, ne sont pas tout-puissants. La  croyance est là trouée par la réciprocité, celle qui est permise par la faille visible et partagée.

Alors que le dieu judéo-arabo-chrétien fonctionne trop souvent dans une croyance opaque en sa vérité.

 

D'une façon générale, on identifie ainsi un comportement des peuples narcissiques, dont le nazisme est un exemple récent, et dont la solution finale se réalise sur son peuple miroir au moment (1942) où la défaite se profile nettement à l'horizon pour lui-même. Pas de symbolisation du manque dans ces dictatures et retour réel de celui-ci. On peut parler ici, après Stéphane Zweig, mais autrement, du suicide de la vérité. C'est ce qui se passe toujours quand elle se prend au sérieux.

 

De ce point de vue, à notre époque, le modèle démocratique ne fonctionne-t-il pas pour une part de la même manière, soit comme vérité devant s’imposer à tous, à tout peuple? Sartre et Aron, dont on ne parle plus guère, furent d'accord là-dessus pour une fois : ils prédirent, de ce fait la montée nationaliste et en firent un risque majeur pour notre système politique démocratique. A y regarder de plus près, c'est que ces systèmes ne sont plus réciproques, ne permettent plus l'échange et confondent le comptage des voix avec l'écoute réelles des paroles et des différences. L'objet démocratique s'est opacifié en raison même de son succès, il s'est pris au sérieux. Il ne se présente plus d'autre alternative tolérable au modèle social,  ce qui transforme la mondialisation en gigantesque prosélitisme de la démocratie, ce qui rappelle complètement la « pacification » de la colonisation qui ravageait le monde au 19° et 20° siècles. Les nationalismes xénophobes sont une conséquence logique de ce manque d'humour et d’humilité des démocraties actuelles. Si la démocratie devient vérité, elle devient aussi par là même barbarie, ne proposant plus que la guerre aux autres « barbares »… Le mécanisme est, au niveau collectif, le même que dans le racisme individuel.

 

 

Que le savoir, donc le pouvoir, soit transparent et humble s'il veut réfléchir le monde. C'est à cette condition que l'étrange, l'étranger peut alors circuler comme désir de connaître et non haine de soi projetée sur l’autre.