Les théoriciens de la guérison (et non de l’irréductibilité !) du trait psychotique.  
 
 
Au contraire, Bateson et les systémitiens, déjà brièvement évoqués le courant anti-psychiatrique de Laing, Cooper, puis Tustin, Bettelheim, Winnicot, Bion, Pankoff parmi bien d’autres, dont Tosquelles en France, le courant finlandais d’open dialogue, ont proposé des pistes fécondes qui ont ouvert la voie ici suivie, et, surtout, eurent parfois des résultats bien plus positifs que les auteurs précédemment cités. Souvent, on ne retient du travail de Laing que la critique de la psychiatrie classique, mais c’est faire bien peu de cas des résultats, même partiels ( on en verra la raison), qu’il obtint.[1]Bien sûr son goût du LSD est à mon sens plus discutable !
Toutes et tous partirent de cette idée d'un continuum entre l'état normal et l'état psychotique, dans la lignée du travail dont nous parlions plus haut de Canguilhem, et au contraire des théories organiques ou psychanalytiques d'une rupture radicale entre normal et pathologique. Cette vision s’est peu à peu imposée concrètement dans les travaux de la psychanalyse anglaise (au contraire de la France lacanienne), grâce essentiellement à Mélanie Klein, ouvrant la voie à des transferts thérapeutiques beaucoup plus efficaces.
 
 
La base transférentielle comme origine et traitement
 
Toutes ces approches psychanalytiques ont pour point commun d'incriminer des troubles précoces de la relation, plus ou moins réversibles grâce à la relation transférentielle, ce qui ouvre la voie dialogique ici explorée. Cette hypothèse est alors cohérente avec l’observation objective de l’évolution de ces problèmes, largement imprévisible dans la réalité, et souvent positive en fait dans le fil du temps long, fournisseur de quantités de dialogues nouveau et imprévus, donc peu à peu retructurants, on l’a vu plus haut. Ceci est contraire au discours médico-universitaire actuel, mais objectivé par toutes les études sur l’évolution au long terme…
 
M.W. : tu poses donc l’hypothèse non pas de l’inexistence du dialogue dans ces cas, mais d’un dysfonctionnement.
 
M.L. : tout à fait ! Cela se repère même dans l’autisme, où ces enfants montrent souvent un dialogue affectif avec les animaux, s’ils fuient les humains, par exemple.
 
L’espoir est que la grille de lecture dialogique ici proposée en réduise cependant le caractère aléatoire : lorsque de vrais dialogues[2] transférentiels apparaissent, l’évolution s’infléchit bien souvent assez rapidement vers une amélioration, non sans quelques révolutions dans l'entourage familial et social, bien sûr. 
 
 
Normal pathologique : frontière ou continuité,
 
Il est notable de constater que la frontière entre normal et pathologique, parfois posée de façon abusivement abrupte par certaines écoles, dont la lacanienne lorsqu’elle s’en tient à la première période de cet auteur et l'organo-dynamique de la tradition psychiatrique française, est beaucoup plus perméable et floue dans la pratique des traits psychotiques des enfants. L'évolution de ceux-ci est en fait largement imprévisible, et souvent positive, comme chez l'adulte, mais dans des temps plus courts, donc mieux observables. Ce n'est pas pour rien que les auteurs qui travaillent avec ces idées d’un continuum entre normal et pathologique furent essentiellement des praticiens de l'enfance…
 
Psychose et dialogue
 
C’est donc une autre approche, dans un champ scientifique plus précis et plus restreint, qui permet de rendre compte du caractère spécifique de la question psychotique, et qui autorise le repérage d'un critère généralisable à l'ensemble de ces questions, grâce à toutes les avancées préalables de la psychanalyse.
Ce corpus précis et restreint qui permet d'apercevoir la question psychotique dans son unicité est alors la science du dialogue, autrement dit la dialogique, créée par Francis Jacques, sur laquelle nous reviendrons plus tard dans ce travail. L’hypothèse ici poursuivie est que la psychose est une pathologie du dialogue, une dialogopathie.
 
C.L : le dialogue ici, ce n’est pas que les mots ? Ce peut être aussi les gestes, les postures, etc.
 
M.L. : ce sont essentiellement les mots dans le traitement, mais pas dans leur constitution. Pour reprendre l’exemple de l’autisme, le transfert thérapeutique démarre par le dialogue des expressions du corps, pour en arriver dans les cas heureux aux mots. Le départ du dialogue humain est corporel, pour en venir ensuite seulement aux mots.
 
P.B. : tu mettrais le signifiant peur sur ce qui provoque l’autisme ? 
 
M.L. : non, pire que cela !
 
N.P. : la terreur ?
 
M.L. : non, pire que cela ! Pour moi c’est une absence totale de résonance entre l’enfant et les adultes autour de lui. La peur, c’est déjà qu’il y avait une intimité, mais qui se transforme…
 
Les travaux qui serviront de référence.
 
Nous allons maintenant reprendre avec cette grille de lecture les diverses théorisations qui ont fait avancer ces questions du maniement dialogique de l’aspect psychotique du transfert, plus ou moins présent selon les patients. On aura compris que nous ne reprendrons dans ce domaine ni les travaux de Freud, ni ceux de Lacan, respectant ainsi leur constat fort honnête de leur part d’une absence de résultats notables dans ces traits psychiques pour leur pratique personnelle. S’ils théorisèrent leurs échecs dans ce domaine, nous ne poursuivrons pas dans cette voie. Ce qui n’enlève assurément rien à leurs apports fondamentaux à plus d’un titre, dont l’invention de la psychanalyse. Mais cette technique reposant essentiellement sur l’absence de dialogue afin de laisser se dérouler un discours et ainsi faire apparaître les formations de l’inconscient, on comprend qu’elle soit peu adaptée à la question de la psychose, si notre hypothèse est bonne… Notons aussi que leurs travaux sur ce sujet portèrent sur des textes, notamment ceux de Joyce et des constats judiciaires des sœurs Papin pour l’un et celui de Schreber pour l’autre, mais non sur des patient vivants en transfert thérapeutique avec eux.
 
Jean-Baptiste Pussin
 
Le premier qui a ici sa place est Jean-Baptiste Pussin. C’était le surveillant de Pinel, psychiatre des hôpitaux, auquel il apprit le travail ! C’est aussi l’inventeur de la psychiatrie institutionnelle, c’est-à-dire de l’usage de l’institution comme outil thérapeutique principal du trait psychotique.
Nous ferons plus tard répondre à ce soignant remarquable un patient qu’il aurait pu avoir, si ce n’est que ce dernier était anglais et a traversé sa folie outre-Manche ! Il s’agit de Perceval le fou, dont la biographie a été publiée par Grégory Bateson. Nous verrons comment la guérison[3] de l’un a parfaitement répondu, de l’intérieur de son moment psychotique pour l’un, aux intuitions thérapeutiques de l’autre, dans son statut de soignant, sans qu’ils ne se soient jamais rencontrés !
Commençons donc par cet homme exceptionnel.
 
L’identification empathique à l’autre, malgré sa folie

Le plus simple pour commencer est de citer Wikipédia :
Ancien tanneur, il arrive malade, atteint d'écrouelles, à Bicêtre, en 1771, où l'on tente de le soigner, puis, avec son certificat d' "incurable", est gardé à l'hôpital dans la section des « bons pauvres », durant plusieurs années. Il décide alors de s'impliquer dans la vie de l'hôpital : il aide tout d'abord les enfants malades durant leurs cours, puis devient portier de l’hospice. 
En 1780, il est promu surveillant dans le service des aliénés agités, puis, en 1785, « gouverneur des fous », et travaille entre autres auprès du médecin militaire Jean Colombier, inspecteur de l'hôpital, proche de ses conceptions. Celui-ci sera son témoin lors de son mariage avec Marguerite, en 1786. Sa femme travaille à ses côtés à Bicêtre, puis à la Salpêtrière. 
Il consigne ses notes, observations et remarques dans des carnets et cahiers sur lesquels les médecins peuvent s'appuyer. 
En 1793, Philippe Pinel prend ses fonctions à Bicêtre. Il remarque que la façon de procéder de Pussin avec les aliénés était très efficace : Pussin était très humain avec les malades, et lorsque ceux-ci étaient libérés de leurs chaînes, ceux-ci se comportaient bien. Pussin était un homme de carrure très forte, doué d'un certain sens de l'observation. Au caractère autoritaire, supportant mal les ordres de la hiérarchie administrative, et imposant imperturbablement les siens à ceux qui dépendaient de lui. Il mit en œuvre la suppression des chaînes des malades mentaux. Lorsque Pinel, en 1795, fut muté à la Salpêtrière, il demanda que Pussin le suive, afin de pouvoir bénéficier des services de « police intérieure » de ce dernier ; après plusieurs années d'attente, et grâce à l'influence du ministre de l'Intérieur Jean-Antoine Chaptal, cela lui est enfin accordé en 1802. Pussin a donc été surveillant à Bicêtre de 1780 à 1802[6], date à laquelle il est nommé à la Salpêtrière, et où il travaillera jusqu'à son décès. Il contribue à la réforme asilaire et enlève les fers des aliénés le 4 prairial de l'an VI. Il applique ensuite cette même libération à l'hospice national des femmes. Jean Baptiste Pussin est le père spirituel de l'infirmier en psychiatrie. Il est le premier surveillant à écrire des observations sur ses patients. Estimant qu'ils étaient plus aptes, il choisira le personnel parmi les malades guéris et les convalescents.
P.B. : comme le Patriarche…
M.L. : comme beaucoup de peuplades aussi. Il n’y a que les psychiatres qui ne font pas ainsi !!
Entrons maintenant dans le beau travail romancé de Marie Didier[4]
Tu te souviens d’un coup, pour la première fois depuis ton arrivée à Bicêtre, tu te souviens là, dans cette cour folle, de toi arrimé à ta paillasse de l’Hôtel-Dieu, bouffé par la gale, tu te souviens de l’odeur d’excréments et d’urine, à demi étouffé par les corps pustuleux, les visages défigurés, les troncs sans jambes autour de toi, de toi trahi par tes jambes qui ne peuvent plus avancer, de toi qui appelles au secours des surveillants, des sœurs officières qui ne répondent pas, de toi qui parles à des voisins de douleur dont la seule réponse est l’insulte, le sanglot ou le râle, tu te souviens de toi sans force sans argent peut-être pour toujours sans personne à aimer, sans personne pour t’aimer jamais.
 
Ces lieux étaient  de fait des mouroirs à l’hygiène infâme, mêlant enfants des rues, bandits, fous et parfois prisonniers politiques.
 
P.B. : ils étaient souvent de l’autre côté du fleuve, comme à Toulouse, la ville pouvant voir et étant séparée de ce qu’elle produisait de pire !
 
Alors pour la première fois -- cette vision de toi va te laisser pétri?é -- tu te souviens de ce hurlement sans ?n qui aurait pu sortir de toi, qui jaillit maintenant de la gueule de ce fou arc-bouté au mur de la cour, tu te souviens de ce coup de poing que tu aurais pu ?anquer dans lestomac dun surveillant sans pitié et qui est lancé ici par cet homme qui cogne son voisin. Tu souris sans qu’un muscle ne bouge : seules les invocations à Dieu ou au démon n’auraient pu franchir tes lèvres.
Tu ne le sais pas. Tu viens de découvrir en toi une chose éblouissante, secrète, qui ne s’apprendra ni dans les écoles, ni dans les universités, qui a été et sera bâillonnée longtemps, qui va bouleverser ta vie et celle de tant d’autres : tu aurais pu être pareil à ces fous. Ils auraient pu être pareils à toi.
Cette chose difficile à nommer réveille en moi comme un écho, même si ce que tu vis nest en rien comparable ; elle ne mest pas étrangère.