Winnicot
 
 
C’est sans doute lui qui illustre le mieux, sans jamais le dénommer, l’étape suivante que je propose dans la compréhension de la genèse et du traitement de ce trait, à savoir le dialogue. C’est cette étape qui est bloquée lorsque l’analyste est trop certain de ses interprétations, comme Nasio et Dolto, malgré leurs avancées remarquables par ailleurs. En effet, la certitude, la vérité[1] sont des positions psychiques qui interdisent un dialogue structurant, ce que j’appelle un vrai dialogue, et qui est sans doute le moteur de la guérison possible d’un trait psychotique.
Ainsi, dans Jeux et Realité [2]: « La psychothérapie se situe en ce lieu où deux aires de jeux se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute ». 
Comment mieux dire que les interprétations de l’analyste ne sont que de l’ordre du jeu, et non de la certitude, de la vérité qui écrase les velléités ludiques de l’autre.
Au reste, comme le remarque Mathieu Rigard[3], le texte de Winnicot est truffé de marque d’une humilité fondamentale face à l’autre, et au lecteur en particulier : S’il écrit ce livre, c’est que « L’expérience culturelle n’a pas trouvé sa place véritable dans la théorie qu’utilisent les analystes, pour travailler, penser. Winnicott s’en étonne et on s’en étonne avec lui. Son humilité aidant, il ponctue ses dires de «je crois », « je tenterais d’explorer » « je voudrais essayer de vous communiquer»..., il nous emmène avec lui à la découverte de son sujet, nous permettant même par moment d’avoir l’impression d’être intelligent en le lisant.
 
Sans entrer plus en détail dans l’œuvre très importante de Winnicott, bornons-nous pour les besoins du présent travail de constater que le dialogue est au centre de toute sa pratique et théorisation. Par exemple, alors qu’il accueille chez lui un garçon fugueur de 9 ans, il en témoigne ainsi : « trois mois d’enfer […]. Ce qui importe selon moi, c’est la manière dont l’évolution de la personnalité du garçon engendra la haine en moi et ce que j’en ai fait ».
Comment mieux dire qu’il ne cesse d’interroger cet espace entre lui et l’autre, cet objet transitionnel fondamental qu’est l’espace d’interlocution, sans jamais qu’une vérité, sur lui ( je suis la raison) ou sur l’autre ( il est la déraison, le fou),  ne vienne clore cette constante élaboration. La pratique clinique de Winnicot fut un constant dialogue, avec des résultats remarquables dont témoignent les récits qu’il rapporte. Un autre cas[4] que j’ai utilisé dans un précédent livre, illustre bien cela. Il décrit combien il se retient d’interpréter, et, quand il le fait, accepte facilement que ce ne soit pas validé par son jeune patient, pour ensuite trouver avec le dialogue qui se poursuit une autre piste. Son interprétation ne fait jamais vérité dans la séance, elle reste constamment soumise au primat du dialogue réel.[5]
Il ne m'était pas possible de savoir s’il hallucinait ou s’il avait une remémoration sous une forme auditive. J’allai un peu à la pêche avec une interprétation à propos d'entendre les parents dans la pièce à-côté ; à cela il tétorqua par un «non» ferme et il dit: « C'était tout là-haut sur les collines ou peut être exactement à la source de laTamise.». J'ai poursuivi mon idée en disant: «Comme si c'était le début de Mark, quelque chose qui arrive entre maman et papa. ». Il m'a suivi en faisant un effort pour se conformer à cela : « Au commencement, j'étais dans maman et ça a ?ni quand je suis sorti de maman à l’hôpital. Il n'y avait pas de bruit, mais des bébés qui pleuraient. » Je dis : «Je me demande s'il y avait un bruit à l’intérieur de mamam, » et il dit qu'il avait les yeux fermés et donc qu'il ne pouvait pas entendre. Moi-même j'étais dérouté et il semble que j'ai persévéré avec cette interprétation de la scène primitive comme si j'étais perdu.
 
Son remarquable travail se déroula sans cependant préciser à mon avis suffisamment à quel point les mots eux-mêmes sont des objets transitionnels, ou ont à le redevenir pour qu’un espoir de sortie du trait psychotique se dessine. Ils doivent, comme l’objet transitionnel, être autant porteur d’extériorité que d’interiorité…
Alors, comme tous les grands cliniciens de la psychose, c’est bien par l’humble écoute du patient, loin de ses certitudes et à priori théoriques que procède Winnicot, entamant le dialogue par une écoute attentive, qui a fait défaut au patient dans son histoire. Ces sujets, pour entrer dans le dialogue, pour entendre l’autre, doivent d’abord être assurés de l’écoute qu’on leur porte. C’est ce que montre cet auteur tout au long de son œuvre fort importante de ce point de vue
 
 
 
 
 
 
Conclusion :
 
Il me semble que le fil rouge de ces styles thérapeutiques différents peut ainsi se dénouer : 
                                                                                                 -de l’intégration au cœur de la parole de l’incompréhension, de la contradiction, centre de la poétique  de Tosquelles, 
                                                                                                 - au constat de l’insistance de l’importance du mystère de la rencontre malgré le désir inverse de compréhension de l’autre, à travers la trop grande confiance dans ses interprétations, de Manier, qu’heureusement il finit par rapidement critiquer, 
                                                                                                    - à l’invention d’un lieu, d’un cadre au sein duquel ces incompréhensions, ces vides historiques peuvent progressivement se signifier à nouveau pour le patient au travers l’usage d’objet transitionnel, de greffes de transfert, chez Pankow,
                                                                                                    - au partage de l’espace d’interlocution en quelque « à parts égales » de Winnicot
 
Chacun de ces auteurs réinvente à sa manière un dialogue thérapeutique. Celui-ci est complètement ouvert sur l’intégration des conflits, les constats d’incompréhension, les manifestations poétiques, les renouveaux des récits familiaux. 
Ils nous ouvrent ainsi la voie ici suivie de ce que peut être un vrai dialogue thérapeutique dans le cabinet de l’analyste lorsque s’y rencontrent des traits psychotiques, douloureusement prisonniers d’affects énigmatiques, afin que se relient alors autrement pour le patient la sphère imaginaire, son histoire, et ses paroles, et qu’enfin s’y intègrent les paradoxes, les contradictions, les rejets, en termes articulables enfin au lieu d’être interdits voire impensés comme dans son trajet d’enfant. 
Dans ce nouveau lieu de la thérapie se parle enfin un autre lieu, celui de l’histoire clivée du patient. Souvenons-nous d’Heidegger, qui ne sépare pas le symbolique des lieux qui le voit naître, contrairement à Lacan.
Les entrelacs des dialogues des corps, des histoires, des récits familiaux, des représentations imaginaires, des lieux sont au cœur de l’efficacité du travail de ces auteurs, tous au chevet, chacun dans son style, de l’invention d’un nouveau récit singulier par le patient de son histoire parmi les autres.
 
Nous allons maintenant très brièvement aborder trois auteurs dont la position théorique plus asymétrique, plus du côté de l’interprétation « vraie », les amène à une pratique plus contestable de mon point de vue de ces traits psychotiques, même si leurs résultats sont loin d’être négligeables : F. Dolto,M. Mannoni et J.D. Nasio.