Ce passage est important dans ce que nous amène Dolto, contrairement à Lacan, dans sa compréhension de la forclusion : reprenons ses termes « Cette biquette est son sexe à l'époque de l'allaitement, forclos dans son désir vivant, depuis lors, et dont il doit donc porter le poids mort. ».
Ce qui est forclos, pour elle, c’est donc le lien entre le désir vivant et l’image symbolique du corps. Sauf que ce n’est forclos qu’avant la rencontre thérapeutique, puisque c’est précisément ce qu’elle va retravailler, remanier dans ses séances, comme Mélanie Klein, Pankow, Manier, Winnicot et tant d’autres. Et c’est bien ce qui fonctionne, ce qui produit de notable avancées de ces patients. La forclusion, pour ces auteurs, n’est en rien irrémédiable, mais bien constamment remaniable dans le transfert thérapeutique.
Il est d’autant plus dommage que cette affaire de vérité interprétative fasse ainsi obstacle à ce beau travail !
 
Françoise Dolto a d’ailleurs parfois changé d’attitude dans son directivité vis-à-vis de son patient. À l’écoute du transfert, elle s’est rendu compte malgré tout de ses erreurs précédentes. Elle-même est remaniée par ce qui se passe… C’est le propre même du transfert !
 
Lui : Voilà, il y a quelque chose qui m'ennuie. Comme j'ai été malade, comme ça, dans ma tête, j'ai jamais rien appris. Et il y a quelque chose que je veux apprendre, c'est savoir lire l'heure.
Je lui demande quel jour nous sommes, et l'heure du rendez-vous. Je lui fabrique un dessin sur le papier, une circonférence rayonnée avec les douze chiffres, « une pendule ». Lui-même, avec deux « aiguilles » en modelage, marque l'heure à laquelle il est arrivé et, progressivement, les heures et les minutes. En moins de cinq minutes et sans que j'aie à faire un seul geste, il sait écrire l'heure. Je ne lui en fais ni compliment, ni prendre réellement conscience, et j'enchaîne : Moi : Maintenant, qu'as-tu à me dire aujourd'hui.
 
L’absence de commentaires sort le patient de tout dominance, écrasement, oralité cannibalique de la relation : les mots eux-mêmes sont porteurs de cette dimension dans le trait psychotique, ce qui justifie une grande économie et une profonde humilité dans leurs emplois par l’analyste.
 
 
À cette séance sont venus, avec Dominique, sa mère et son grand frère ; mais je ne saurai que tout à l'heure la présence de celui-ci dans la salle d'attente. Le grand frère avait déjà deux fois demandé à la mère à me « voir », au début, paraît-il ; mais Dominique ne voulait pas qu'il vînt. La mère m'avait informée la dernière fois que l'aîné viendrait peut-être, si je voulais le voir : j'avais répondu que je le verrais si Dominique le désirait. Or, Dominique avait déclaré à son grand frère qu'il voudrait qu'il fît ma connaissance. Je n'ai donc pas refusé.

C'est avec la huitième séance, datée de mai 55, que l'on peut voir reconquise l'image du corps humain masculin dans son intégrité, et les instances de la personnalité de Dominique — Ça, Moi, Idéal du moi, — axées dans des positions œdipiennes progressivement acceptées, après une longue hésitation entre l'éthique homosexuelle et l'éthique hétérosexuelle. D'aucuns s'étonneront d'une telle modification dynamique obtenue en un nombre de séances si réduit. J'ai l'expérience de cas semblables dans leur déroulement, menés au rythme plus classique de deux à trois séances par semaine ; et je dois dire que, si par ce rythme le travail est facilité pour le psychanalyste, il n'est pas toujours meilleur ni plus profond, ni plus rapide dans le temps pour le psychanalysé psychotique.
 
Ainsi, il n’est pas certain que la méthode de F.Dolto, malgré toutes ses avancées fonctionne toujours si bien, même si on peut aisément prendre acte de la difficulté du travail. Est-ce en rapport avec nos remarques ? Si elles sont justes, à savoir que quand l’interprétation fait vérité pour l’analyste, c’est tout simplement contre-productif pour le trait psychotique. Alors, des prises en charge courtes, voire interrompues par le patient, ou ici son père, seraient des réponses assez adaptées à ce trop de vérités du côté de l’analyste !
 
Moi, j'aime bien quand ils gagnent. Silence. Moi, ça me plairait d'aller dans une ferme.
Moi : Maintenant que tu as 15 ans, tu pourrais y aller, même en vacances pour y travailler.
Lui : Je l'ai bien dit à maman, mais elle dit que je suis trop jeune.
Moi : Mais tu étais bien allé chez l'oncle Bobbi quand tu étais plus jeune.
Lui : Ah oui, mais c'est parce que je ne pouvais pas suivre l'école.
Moi : Tu pourrais peut-être y aller cet été si l'oncle Bobbi voulait bien de toi ?
 
Il est bien clair dans cet extrait que Françoise Dolto se met encore en rivalité avec la responsabilité parentale de sorte que le conflit devient inévitable avec les parents. Le conflit, et l’arrêt des prises en charge avec, naît très souvent d’affrontements de vérités ! Bref, elle croit avec  beaucoup trop de certitude au bien qu’elle peut faire à l’enfant…
 
Enfin, un dernier extrait où l’on constate encore que Françoise Dolto croit en ses interprétations, indépendamment de la réponse du patient.
 
 
Dominique : Va falloir ôter la peau malade, après on lui met de la peau de la jambe saine à sa jambe blessée ça s'appelle faire une greffe. Vous savez, c'est calé...
Moi : Ton père croit dans la chirurgie, pas dans la médecine. (Il fait encore mine de n'avoir pas entendu.)
 
Là encore, F. Dolto maintient l’idée qu’elle voit juste dans son interprétation, malgré le silence de son jeune patient, dont on ne peut pas dire que ce soit une résonance… On ne peut en fait rien en dire, si ce n’est douter et rester à l’écoute de la suite, inconnue en réalité.
 
Qu’on se comprenne bien : ces critiques de Françoise Dolto ne font pas l’économie de tout ce qu’elle a amené à la psychanalyse ! Il s’agit simplement de marquer le pas suivant que je propose, à savoir la place des effets de vérité dans la genèse et le traitement du trait psychotique, en notant la limite que l’absence de son aperçu pose au transfert dans ces manifestations.
 
Les points positifs sont dans la continuité du travail de Mélanie Klein, et posent que les mécanismes psychotiques sont dans le chemin du développement psychique de tout un chacun, simplement considérablement exagérés, dramatisés, dans le développement de ces patients, pour lesquelles la castration, au lieu d’être suffisamment douce et articulée, ouvrant à la sublimation, est en fait traumatique, et ne permet que la régression. La réversibilité de ces troubles par le traitement transférentiel analytique est aussi supposée, et ainsi partiellement atteinte le plus souvent.
C’est  cette limite que nous voulons dans le présent travail déplacer un peu, vers espérons-le des avancées thérapeutiques nouvelles, à partir du moment où l’interprétation est située plus comme une éventualité de résonance que comme une vérité, faisant alors moins obstacle à la continuité du dialogue thérapeutique avec les patients, et, parfois, leurs parents ![9]
On trouve, dans le travail de l’auteur suivant, élève de Dolto lui-même, un peu les mêmes problématiques.