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Mais clôturons ce chapitre par cette question de la vérité : d’après le Littré, qualité par laquelle les choses apparaissent telles qu'elles sont.
On ne peut être plus clair, c’est l’équivalence entre la chose et sa représentation.
 
La justice et la vérité sont deux pointes si subtiles, que nos instruments sont trop émoussés pour y toucher exactement”, Pascal
 
Je sais seulement que la vérité est dans les choses et non pas dans mon esprit qui les juge”, Rousseau
 
Dans beaucoup d’usages, la vérité est un mot, un peu comme dieu d’ailleurs, qui fait jouer la limite même du concept de mot.
Alors que c’est, dans son acception première, la représentation d’une chose, dans ces deux cas, le mot et la chose co-existent. Ce ne sont alors plus vraiment des mots, mais des signifiants à fonction de réel.
C’est bien pour cela que le nom de dieu est imprononçable chez les juifs, et qu’ailleurs on ne se joue pas impunément des noms des divinités. 
Dieu n’est mort, selon Nietzsche que dans un monde confortablement habitable, ce qu’il ne disait pas, alors que l’espoir qu’à travers ses noms nos désirs deviennent réalité (ce qui est la même chose que la réduction du mot à son objet) revient avec la violence qu’on lui connaît dans des temps plus difficiles.
 
Une répétition fréquente et une succession non interrompue des mêmes événements fait l'essence de la vérité physique”, Buffon,
 
Buffon, authentique savant sans certitude absolue, prenait bien la précaution de poser que quelque chose n’existait que jusqu’à preuve du contraire ! C’est le sens de cette citation… 
Elle a le mérite de poser que la certitude scientifique, qui permet tout de même beaucoup de belles réalisations, ne se supporte que de la régularité des résultats, ce qui, ont l’a vu, est loin d’être la règle dans les causes supposées absolument vraies des structures psychotiques.
 
Alors, la précaution qui voudrait qu’on revienne sans cesse au mythe de la caverne de Platon permet au moins de se retourner de temps à autre vers l’énigmatique réel afin de ne pas être dupe de nos propres idées. 
Qu’on y comprenne alors plus grand chose, quand on contemple ce réel, tient justement au fait qu’il n’y a plus là aucune vérité, simplement une succession infinie d’énigmes qui s’offrent à nos sens, bien imparfaitement pourvu pour y comprendre suffisamment pour être rassuré. Il n’y a plus qu’à continuer chercher, humblement, au lieu de s’assoir sur de fausses vérités au risque de tout écraser…
 
T’a qu’à croire, dit l’autre, pour enfin être psychotique, dévot, ou savant pétri de certitudes. Alors, le mot et la chose, ne font plus qu’un dans l’illusion de la vérité. 
Le résultat est toujours le même : une violence faite au monde, à soi et à l’autre.
 
Ce petit détour par la « vérité » permet de bien souligner le rapport immédiat existant avec les violences qui augmentent dans ces lieux de soins où n’existe que des vérités, qu’elles soient psychiatriques, psychanalytiques ou neuro-scientifiques, cognitivistes, et dont j’ai voulu, au contraire, bien marquer les humaines limites.
 
Le paradoxe serait alors, si on veut bien suivre ce qui est ici avancé, que ce qui est en position de « soigner » ainsi le trait psychotique, à partir d’une certitude clinique absolue sur l’autre, n’est qu’une répétition de ce qui est à l’origine même de sa constitution, soit la rencontre dramatique pour un sujet de la rigide vérité de l’Autre.
 
 

 
 
 
[1] Perceval le fou, Payot, 1975
[2] Cf la première étude sur long terme l’évolution des psychoses de Luc Ciompi, dite de Lausanne, et les suivantes.
[8] Larousse : Branche de la génétique qui étudie les variations dans l’activité des gènes induites par l’environnement. (Les modifications épigénétiques ne sont pas inscrites dans l’ADN et sont donc réversibles si l’environnement change. Elles sont cependant, dans certains cas, transmissibles à la descendance.)
 
[9] Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse, éditions Champs Essais, 2004
[11] https://www.cairn.info/revue-recherches-en-psychanalyse-2011-2-page-196.htm
 
[12] C’est moi qui souligne…
[15] https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Nom-du-père_(concept)
 
[16] Explorée par François Tosquelles également : Fonction poétique et psychothérapie Ères 2003
[17] Études Psychiatriques, Desclee de Brower, 1948
[18] https://www.penserchanger.com/la-double-contrainte-je-gagne-tu-perds/amp/