1. Quand et comment finir la cure ?
 
                                               Dans ses œuvres, 2 textes semblent cruciaux qui posent la problématique de la fin de la cure. Le premier, La désaccoutumance de l’analyse (1926, T.III, p. 354) vise à considérer l’étirement temporel de la cure comme un symptôme à traiter ; le second, Le problème de la fin de l’analyse (1927) qui vient préciser et compléter le précédent. Avant 1926, ce n’est que ponctuellement au cours de textes divers que Ferenczi s’exprime sur ce que doit atteindre une analyse réussie.
                                               Ainsi en 1914, dans « Analyse discontinue » (TII, ch. 35), Ferenczi ne superpose pas la fin de la cure avec sa réussite. Il voit dans le transfert résolu le signe de la guérison, au-delà de la disparition des symptômes : « Si au cours du traitement analytique les symptômes les plus pénibles de la névrose disparaissent, il se peut que les symptômes morbides non encore résolus paraissent moins pénibles au malade que la poursuite du travail analytique souvent laborieux et frustrant. Ainsi lorsque la médecine devient vraiment « pire que le mal », le patient s’empresse-t-il d’interrompre la cure (souvent aussi poussé par des considérations matérielles), et tourne son intérêt vers la vie réelle qui déjà le satisfait. En fait, ces malades partiellement guéris sont encore liés à leur médecin par le transfert ; nous apprenons qu’ils accablent d’éloges quelques peu excessifs la cure et la personne du médecin, se rappellent occasionnellement à celui-ci par des cartes postales illustrées et autres menues attentions, à l’opposé de ceux qui ont interrompu leur cure en pleine résistance et s’enveloppent d’un silence hostile. Ceux qui sont vraiment guéris, dont le transfert est résolu, n’ont aucune raison de se préoccuper de leur médecin et ne le font guère. »
« (…) la récidive apportait une compréhension plus profonde des rapports qui n’avaient été entrevus que superficiellement auparavant. »[23].
 
                                                Cette prudence vis-à-vis du symptôme se retrouve en 1917 dans  « Pecunia Olet » : « J’ai soigné pendant longtemps un jeune commerçant qui présentait des obsessions et des angoisses ; cependant je n’ai pu terminer le traitement car l’amélioration intervenue – comme il arrive si souvent – fut utilisée par la résistance du malade comme prétexte pour interrompre la cure »[24].
                                                 En effet, il semble que la guérison évoquée par Ferenczi tout au long de son œuvre inclut progressivement non seulement la disparition du symptôme, mais également le remaniement abouti de la personnalité guidé par l’accompagnement responsable du thérapeute. Il nomme cette phase recristallisation de la structure.
 
                                                 Clairement on peut dégager trois exigences pour satisfaire à la réussite de la cure : - 1ère exigence : Ch. 77 « Consultation médicale » (1918), entretien avec Kosztolànyi pour la revue progressiste « Esztendö » :  « Le traitement de cette maladie par la psychanalyse conduit le malade à renoncer aux perfections imaginaires, à admettre son compte des choses qui jusqu’alors lui paraissaient méprisables et vulgaires et dont il niait la réalité.»[25]. Cette formulation reviendra plusieurs fois dans le texte sous la forme d’une séparation, en fin d’analyse, entre le fantasme et la réalité ou encore, en 1927, quand il écrira qu’abandonner la tendance à mentir « apparaît, alors comme étant au moins un des signes de la fin prochaine de l’analyse ». On peut entendre dans cette insistance de Ferenczi l’amorce de ce que Lacan nommera traversée du fantasme.
 
                               - 2ème exigence : Respect de la règle fondamentale en fin de cure (voir plus haut) ; l’exigence d’association libre est une exigence idéale qui n’est, pour ainsi dire, remplie qu’une fois l’analyse terminée. La règle fondamentale devient alors à la fois la méthode, l’idéal, et le processus même du changement dans l’analyse, et finalement son but.    
                               - 3ème exigence : la déconstruction pulsionnelle. Ferenczi écrit : «  Il faut remonter, dans l’analyse, à toute formation du caractère de l’être humain qui, lors du refoulement pulsionnel, s’est constitué comme automatisme protecteur, en revenant en arrière jusqu’à ses fondements pulsionnels ». Et encore : « »Pouvons-nous promettre d’être en mesure de fournir un nouveau caractère sur mesure à la manière d’un nouveau vêtement, pour remplacer celui qui a été perdu ? Ne pourrait-il arriver que le patient, une fois dépouillé de son ancien caractère, prenne la fuite et se dérobe à nous, nu, sans caractère, avant que la nouvelle enveloppe ne soit prête ? »[26]  Pour lui, il ne peut y avoir de psychanalyse ne portant que sur le symptôme parce que toute analyse doit agir sur la pulsion : il nomme cette reconstruction pulsionnelle « recristallisation de la structure ».Freud entendra la pertinence de sa remarque en indiquant que la cure vise au « domptage » de la pulsion (das Bändigung).
 
                                               En 1921, Ferenczi se montre réservé sur l’indicateur qui serait uniquement la satisfaction du patient. Dans son article « Pour comprendre les psychonévroses du retour d’âge »[27], il écrit : « Au cours de l’analyse, le patient adapta bientôt sa manière de vivre et ses idées à la répartition réelle de ses intérêts libidinaux. Il cessa de courir les femmes, ce qui eut pour effet de faire disparaître ses états dépressifs et lui fit aussi retrouver sa puissance sexuelle, mais seulement avec sa femme, qu’il avait jadis négligée, et encore seulement si avant le coït elle lui donnait des preuves symboliques de sa bonne volonté et du caractère inoffensif de l’entreprise en lui touchant les organes sexuels. Le patient fut satisfait de ce résultat et pour des raisons financières il mit fin au traitement que l’analyse aurait encore certainement approfondi. »
 
                                             En 1923 et 1925, il signe « La psychanalyse au service de l’omnipraticien » (1923) et « Psychanalyse des habitudes sexuelles » (1925)[28]. Le patient bien analysé doit être libre non pas en tant que dégagé de ses passions, mais libre de choisir comment les gérer ou s’en accommoder. « - 1er objectif de la cure : En général la névrose n’est pas produite par l’insatisfaction elle-même, mais par le fait que la sensation d’insatisfaction et les objets de désirs se trouvent plongés dans l’inconscient. La psychanalyse permet aux individus de prendre justement conscience qu’ils sont malheureux et de le supporter. En ce qui concerne ses pulsions, elle laisse le malade décider lui-même après sa guérison dans quelle mesure il déchargera ses pulsions et dans quelle mesure il s’en arrangera par une forme quelconque de sublimation, voire par la résignation.
                                                                     - (…) deuxième objectif important de la cure : permettre au malade de devenir indépendant, même de son médecin. »
        Et en 1925 : « - Le cas idéal d’un individu bien éduqué ou bien analysé serait celui d’une personne qui ne refoulerait pas ses passions, sans pour autant être obligé de leur obéir en esclave. ».
 
                                            Il est bien question d’autonomie du sujet dans l’approche ferenczienne de la fin de la cure, mais de l’autonomie d’un sujet adaptable. Dans « La désaccoutumance de l’analyse », il amorce une méthodologie de la fin de la cure tout en avertissant les praticiens de se garder de confondre leurs projections avec la réalité du patient :
                                            - Méthode pour une fin de cure : - Fixation d’un terme à l’analyse (cf. Freud in Histoire d’une névrose infantile. L’homme aux loups) ; Ferenczi écrit : « Auparavant j’attendais que le patient abandonnât le jeu comme sans espoir. Attaques et ripostes se répétaient jusqu’à ce qu’un événement extérieur quelconque permît au patient de faire plus facilement face au monde extérieur. Par contre la fixation d’un terme se conçoit comme une rupture définitive, une sorte d’échec et mat auquel le patient est acculé après que l’analyse lui a barré toutes les voies de retraite sauf celle de la santé. »[29]
                  
                                          - Comment repérer le moment d’arrêter ? Des signes se manifesteraient attestant que le patient est mûr : - il faut que le médecin ait tout d’abord saisi la structure du cas et organisé les symptômes en une entité intelligible ; le patient doit lui aussi avoir déjà élaboré ces relations sur la plan intellectuel et pouvoir se convaincre sans être encore gêné par les résistances du transfert.
                   - Et si le médecin se trompe de moment ? Le risque est de perdre la confiance du patient. Reconnaître son erreur ! Il ne faut en aucun cas fixer un terme quand le patient lui-même l’exige. Sans doute aurons-nous de plus en plus affaire à ce type de demande quand l’existence de la règle de séparation se sera répandue dans des cercles plus larges, et cette règle constituera alors de plus en plus un mode de résistance.[30]
 
 
                                          - Responsabilité du médecin et but de la Psychanalyse : Enfin, en ce qui concerne ce problème de la fin du traitement, nous devons nous rappeler l’investissement de Freud : il ne faut pas avoir, en tant qu’analystes, l’ambition d’imposer aux patients nos propres idéaux. Donc, si on constate que le Moi du patient est capable d’adapter ses passions (le Ça) aux exigences de son Surmoi et aux nécessités de la réalité, il est temps de le rendre indépendant et d’abandonner son éducation au destin.
L’auteur est conscient d’avoir souligné de façon unilatérale l’importance du principe de la frustration du désir en tant que moyen d’accroître la tension interne et d’avoir par contre presque complètement négligé le principe d’accomplissement du désir. Pourtant, il y a incontestablement des cas où l’analyste est obligé de recourir à ce mode d’influence psychique, jadis couramment utilisé en médecine. La mesure d’ « accomplissement du désir » la plus importante est à mon avis la levée provisoire ou définitive de certaines consignes régies par la frustration.
 
                                         Un an près, en 1927, Ferenczi écrira Le problème de la fin de l’analyse (Exposé fait lors du Xème Congrès International de Psychanalyse, à Innsbruck, le 3 Septembre 1927) duquel on peut extraire 3 axes décisifs pour définir et situer la fin de l’analyse. D’ailleurs en parlant de fin, A. Deniau[31] fait remarquer que la terminaison de l’analyse est désignée par Ferenczi par le terme Beendigung. Le préfixe be indique une action en train de se faire. La traduction de Beendigung est nettement du côté de l’achèvement ou de la cessation, du processus en marche, ajouterais-je, alors que Freud mettra l’accent sur un mot plus court et donc plus direct das Ende : le dénouement, la fin, la conclusion.
                    
                                          1°) La fin se repèrerait, entre autres, lorsque le patient croit en la vraisemblance des interprétations de l’analyste : « Mon expérience m’a enseigné autre chose. J’en suis venu à la conviction qu’aucun cas d’hystérie ne peut être considéré comme définitivement réglé tant que la reconstruction, au sens d’une séparation rigoureuse du réel et du pur fantasme, n’est pas accomplie. Celui qui admet la vraisemblance des interprétations analytiques, sans être convaincu de leur réalité effective, se réserve ainsi le droit d’échapper à certaines expériences déplaisantes, par la fuite dans la maladie, c’est-à-dire dans le monde fantasmatique; son analyse ne peut donc pas être considérée comme terminée, si par fin de l’analyse on entend aussi guérison, au sens prophylactique. On pourrait donc généraliser en disant que le névrosé ne peut être tenu pour guéri tant qu’il ne renonce pas au plaisir de la fantasmatisation inconsciente, c’est-à-dire au mensonge inconscient. »[32] Ici, Ferenczi pose l’analyste comme détenteur d’une vérité sur l’analysant auquel il faudrait que ce dernier soit en capacité d’adhérer. Ou bien faut-il y lire seulement la défaite du fantasme devant un principe de réalité ou un principe d’une autre réalité ?...
                                         2°) Autre but : Guérir le symptôme puis le sujet (inverse de Lacan qui voyait la guérison que « par surcroît » : « (...) si l’analyse doit être une véritable rééducation de l’humain, il faut en effet remonter, dans l’analyse, à toute la formation du caractère de l’être humain, qui lors du refoulement pulsionnel, s’est constitué comme automatisme protecteur, en revenant en arrière jusqu’à ses fondements pulsionnels. Il faut que tout redevienne fluide, pour ainsi dire, pour qu’ensuite, à partir de ce chaos passager, une nouvelle personnalité mieux adaptée puisse se constituer dans de meilleures conditions. En d’autres termes, cela voudrait dire que théoriquement, aucune analyse symptomatique ne peut être considérée comme terminée si elle n’est pas, simultanément ou par la suite, une analyse du caractère. »[33]
                                  
                                         3°) Un terme posé à l’analyse ? Nous voyons, me semble-t-il, dans ce passage que la position de Ferenczi a évolué vers une moins grande autorité du médecin ou une plus grande confiance dans le patient, à condition qu’il soit vraiment guéri: « (...) dans la suite de l’analyse, tôt ou tard il doit arriver que le patient prenne conscience de ces choses [cette partie de la connaissance de soi] par lui-même, avec notre aide. Ce « tôt ou tard » contient une allusion à l’importance du facteur temps, pour qu’une analyse puisse être entièrement terminée. Ceci n’est possible que si l’analyse dispose d’un temps, pour ainsi dire, infini. Je suis donc d’accord avec ceux qui prétendent qu’un traitement a d’autant plus de chances d’aboutir, rapidement, que le temps dont nous disposons est illimité. Il s’agit ici moins du temps physique, dont le patient dispose, que de sa détermination intérieure de tenir vraiment aussi longtemps qu’il sera nécessaire, sans égard pour la durée absolue du temps. Je ne veux pas dire par là qu’il n’y ait pas des cas où les patients abusent abondamment de cette intemporalité ou absence de terme. »[34] ;
    « (...) Si la pression exercée par une circonstance extérieure fortuite accélère parfois l’analyse, la pression de l’analyste la prolonge souvent. L’analyse est véritablement terminée lorsqu’il n’y a congé ni de la part du médecin ni de la part du patient ; l’analyse doit pour ainsi dire mourir d’épuisement, le médecin devant toujours être le plus méfiant des deux et soupçonner que le patient veut sauver quelque chose de sa névrose, en exprimant la volonté de partir. »[35];
    « (...) Un patient vraiment guéri se détache de l’analyse, lentement mais sûrement ; donc, tant que le patient veut venir, il a encore une place dans l’analyse. On pourrait aussi caractériser ce processus de détachement de la façon suivante : le patient est enfin parfaitement convaincu que l’analyse est pour lui un moyen de satisfaction nouveau, mais toujours fantasmatique, qui ne lui apporte rien sur le plan de la réalité. Lorsqu’il a, peu à peu, surmonté le deuil à propos de cette découverte, il se tourne inévitablement vers d’autres possibilités de satisfaction plus réelles. (…) La renonciation analytique correspond donc à la résolution actuelle des situations de frustrations infantiles qui étaient à la base des formations symptomatiques [Ferenczi oppose les termes de Entsagung (renonciation) et de Versagung (frustration). Nous n’avons pu, en français, respecter la racine commune (sagen), car dans le premier cas c’est le sujet qui renonce, alors que dans le deuxième cas la renonciation lui est imposée. Pour exprimer ces deux idées, le français ne dispose pas de terme ayant une racine commune.][36]
                              Le projet est donc bien d’analyser à fond à fin de guérir pour toujours grâce à un « tout-dire » espéré. Freud amènera une réponse critique et précise dans Analyse finie et analyse non finie, en 1937, soit 4 ans après le décès de Ferenczi (d’une anémie pernicieuse), et relatée dans l’art de Ph.Julien dans la revue Ornicar[37] :                             
                              Freud écrit « il faudrait d’abord poser la question ainsi : quels sont les différents obstacles qui s’opposent à la guérison par l’analyse ? ». Il en rencontre trois : le des tin, la pulsion de mort et le rejet de la féminité
- Le destin : l’« à tout jamais » est impossible à dire, par suite de l’imprévisible du sort. « Concurrencer le sort »par de « cruelles » interventions actives créant un conflit en vue d’une vaccination à tous les coups imaginables du sort, ce serait nier la contingence du hasard, heureux ou malheureux, - et vouloir se faire maître de l’avenir. Cruauté de toute politique de prévention mentale, soutenue par un savoir de devin. Déjà, le 17 Novembre 1911, Freud tentait de calmer les ardeurs divinatoires de Ferenczi : « Vos travaux sur l’occultisme détiennent un élément d’impatience injustifiée ».
- La pulsion de mort : le « totalement » de l’Eros unificateur rencontre sa faille devant le témoignage irréfutable de la présence d’une autre force de discorde et de dissémination : la pulsion de mort, qui rend impossible de « croire que les phénomènes psychiques sont exclusivement régis par le principe de plaisir ». Ainsi la passion de guérir s’en trouve mortifiée.
- Le rejet de la féminité : La revendication phallique de l’homme et de la femme adressée au père est inépuisable, sans fin. Ferenczi, dans son article de 1927, en faisant du dépassement de l’angoisse de castration et du dépassement du penisneid le critère de la fin de l’analyse, se montre vraiment bien « exigeant ». Avoir été privé du phallus symbolique, et être ainsi dans la position d’avoir à demander une transmission et de se faire « l’obligé » de celui qui est le « substitut de son père » est ce contre quoi il y a une résistance spécifique qui « ne provoque aucune transformation ». Plutôt maintenir intacte l’image d’un père privateur qui nous a mal « foutu », pour avoir ainsi à protester sans fin de son état, - sans fin, si ce n’est par le suicide ! Aucune technique de facilitation, ni aucune tendresse paternelle ne peuvent penser cette blessure narcissique de la privation, et faire reconnaître que la féminité, la Weiblichkeit, n’est pas à rejeter.                            
*** Par féminité Freud indique ce en quoi chaque sujet, quel que soit son sexe et en tant que concerné par la jouissance phallique, ne peut être son propre père. Féminité est réceptivité à la transmission phallique (c’est ainsi que prend place le mot, au premier abord surprenant, de « passivité » employé par Freud comme équivalent de la féminité). Lacan a bien mis en évidence que cette transmission n’est pas directe : du père au fils ou du père à la fille ; la transmission suppose en effet une « féminité »de la mère à l’égard du père, pour que joue chez le sujet la métaphore paternelle.
 
                                Freud se montre bien pessimiste, à cet endroit, sur les issues d’une analyse. Et l’on peut se demander si n’est pas toujours d’actualité, dans ces quelques lignes les ressorts du lien insatisfaisant et insatisfait sur le versant de l’analyse que les deux hommes ont tissé ensemble.



 
                        
Conclusion
 
                               Comment donc finir une cure et quels éléments créditer pour certifier qu’une cure a réussi? Cette question en conclusion aurait pu introduire notre propos tant son actualité est réelle. Certains d’entre nous y apportent, sans nul doute, une réponse claire et précise. Ce qui n’est pas le cas de tous. J’en veux pour preuve le récit restitué par Laurence Apfelbaum Igoin dans son travail Fin d’analyse. Visages de la répétition.[38] : « En 1961, Arnold Pfeffer (« A follow-up study of a satisfactory analysis » Journal of the American Psychoanalytic Association, vol. 9, 1961, p.698-718) avait conçu pour L’institut psychanalytique de NY une étude d’évaluation des résultats d’analyses terminées de façon satisfaisante : d’anciens patients avaient accepté, plusieurs années après la fin de leur analyse, de rencontrer un membre de l’Institut qu’ils ne connaissaient pas, et qui se présentait comme un observateur indépendant. Dans le cours de ces quelques entretiens, tous ont manifesté des excitations transférentielles similaires à celles de leur période analytique, et tous ont joué avec l’idée de reprendre une analyse précisément avec l’analyste qui les avait ainsi « convoqués ». Phénomène transitoire précisent les auteurs de l’étude, tout comme ceux qui ont repris des protocoles semblables en 1974 et 1976. « Résurgence de la névrose de transfert, intense et de brève durée, s’apaisant à la fin des entretiens », écrit Norman [ H. Norman et coll., « The fate of the transference neurosis after terminationof a satisfactory analysis », Journal of the American Psychoanalytic Association, vol. 24, 1976, p. 471-498.]. Schlessinger [N. Schlessinger et F. Robbins, « The psychoanalytic process », Journal of the American Psychoanalytic Association, vol. 22, 1974, p.542-567], quant à lui décrit cela comme « une reviviscence des phénomènes de névrose de transfert au cours des séances de suivi, avec un apaisement rapide, qui porte la marque de l’expérience analytique préalable du patient ». Ce qui n’empêche pas ces auteurs d’hésiter entre leur conviction qu’il s’agissait bien d’analyses terminées de façon satisfaisante, et un doute suscité par l’attitude de ces ex-patients replongés dans le monde de l’association libre : peut-être les analyses étaient-elles après tout incomplètes, prématurément arrêtées. Troublante perplexité de ces analystes devenus observateurs, qui ne savent s’ils doivent attribuer ce qu’ils remobilisent chez les patients par leur démarche à des résidus de transfert non liquidé, ou à une particularité de ceux qui ont été analysés et qui porteraient indéfiniment le signe de l’analyse. »
                      On voit donc ici que l’indicateur qui surgit est celui de la résolution ou non du transfert, mais... Ce n’est pas sûr !
 
                      Ce n’est pas faute, concernant Ferenczi, de n’avoir pas cherché à poser des jalons le long de son parcours afin de pratiquer, d’adapter et théoriser ce qui pouvait le guider vers la guérison de ses patients. Ambition d’autant plus grande qu’il admettait être le matériau au travail autant que ses patients. Cette posture qui le mettait dans une fraternité féconde avec ses analysants fut aussi source d’erreurs, mais la conscience qu’il en avait lui permettait de ne pas leur attribuer systématiquement la raison de l’échec. N’écrit-il pas en 1927 « : Je suis fermement convaincu que lorsqu’on aura suffisamment appris de ses errements et erreurs, et qu’on aura peu à peu appris à compter avec les points faibles de sa propre personnalité, le nombre des cas analysés jusqu’au bout ira croissant. » ?[39]
                     C’est également dans cet esprit qu’il avait inventé la néo-catharsis dont il reconnaitra l’impasse en 1931 : « Mais il y a deux choses que je dois reconnaître : l’espoir que je nourrissais de raccourcir substantiellement l’analyse, au moyen de la relaxation et de la catharsis, ne s’est pas réalisé jusqu’ici, et la difficulté du travail pour l’analyste s’en est trouvée substantiellement augmentée. Mais je pense que ce qui en a été ainsi considérablement favorisé, et j’espère le sera encore plus dans l’avenir, c’est la profondeur de notre compréhension du fonctionnement du psychisme humain… » écrit-il dans Analyse d’enfants avec des adultes[40].
                     Il faut donc le croire avec modération quand il écrit en 1926 « Si, aujourd’hui encore, nous ne pouvons aider tout le monde, il est sûr que nous y parvenons dans beaucoup de cas, et même quand nous échouons, il nous reste la consolation d’avoir sincèrement lutté pour comprendre les névroses par des méthodes scientifiques et d’avoir pénétré les causes qui nous empêchaient d’aider nos patients. Nous sommes délivrés de la triste tâche d’avoir à promettre aide et réconfort d’un air de docte omniscience, et nous avons même fini par désapprendre cet art. »[41] Pourquoi ? Car loin de se satisfaire d’une obligation de moyens, Ferenczi sera toujours mû par une obligation de fin.
                   De ses dires, son but aura été de COMPRENDRE AVEC HUMILITE…, à la différence de Marie Bonaparte qui voulait comprendre.
 

                        
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[1] Lettre de Freud à Ferenczi du 7 Février 1909  in Sigmund Freud - Sandor Ferenczi Correspondance 1908-1914, Ed. Calmann-Lévy, 1992.
[2] Lettre de Ferenczi à Freud entre le 8 et le 11 Février 1909 environ in Sigmund Freud - Sandor Ferenczi Correspondance 1908-1914, Ed. Calmann-Lévy, 1992.
 
[3] Citée par Stéphane Barbery in De l’écoute clinique à l’activité, Barbery.net.
[4] Ibid.
[5] Cité par Philippe Julien in Le débat entre Freud et Ferenczi : savoir y faire ou savoir y être, Revue Analytica, coll. Ornicar, Cahiers de recherches du champ freudien : Freud et Ferenczi, su et insu. 1978.
[6] Lettre de Freud à Madame G. le 23 Janvier 1917 in Sigmund Freud - Sandor Ferenczi Correspondance 1914-1919, Ed. Calmann-Lévy, 1992.
 
[7] Sandor Ferenczi, Psychanalyse 4, Œuvres complètes, tome IV : 1927-1933, op. cit. p.49-50
[8] Ibid. p.49
[9] Ibid. p.50
[10] Sandor Ferenczi, Psychanalyse II, Œuvres complètes, tome II : 1913-1919, op. cit. p.332
 
[11] Freud, Conseils aux médecins sur le traitement analytique, 1912. psycha.ru/fr/freud/biblio
[12] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926, op. cit. p.126 in Prolongements de la « technique active » en Psychanalyse.
[13] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes:  1919-1926, op. cit. p.349 in Psychanalyse des habitudes sexuelles, quelques remarques techniques.
[14] Stéphane Barbery in De l’écoute clinique à l’activité, Barbery.net.
[15] Ibid.
[16] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926, op. cit. p.125 in Prolongements de la « technique active » en psychanalyse et p. 324  in Psychanalyse des habitudes sexuelles.
 
[17] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926, op. cit. p. 26  in L’influence exercée sur le patient en analyse, p.117 et 126  in Prolongements de la « technique active » en psychanalyse.
 
[18] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926, op. cit. p.350 in Psychanalyse des habitudes sexuelles.
 
[19] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926, op. cit.  p.125  in Prolongements de la « technique active » en psychanalyse.
 
[20] Le débat entre Freud et Ferenczi : savoir y faire ou savoir y être, Revue Analytica, coll. Ornicar, Cahiers de recherches du champ freudien : Freud et Ferenczi, su et insu. 1978.
 
[21] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926.
 
[22] Ibid. p. 363
[23] Sandor Ferenczi, Psychanalyse II, Œuvres complètes, tome II : 1913-1919, op. cit. p.150
[24] Ibid. p.285
[25] Ibid. p. 311
[26] Sandor Ferenczi, Psychanalyse 4, Œuvres complètes, tome IV : 1927-1933, op. cit. p.46
[27] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926, op. cit. p. 152
[28] Sandor Ferenczi, Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926
 
[29] Ibid. p. 354
[30] Ibid. p.355
[31] Alain Deniau, Reliquat de jouissance in Che vuoi ? N° 29, 2008
[32] Sandor Ferenczi, Psychanalyse 4, Œuvres complètes, tome IV : 1927-1933, op. cit. p.45
[33] Ibid. p. 46
[34] Ibid. p. 48
[35] Ibid. pp. 50-51. Souligné par nous.
[36] Ibid. p. 51
[37] Le débat entre Freud et Ferenczi : savoir y faire ou savoir y être, Revue Analytica, coll. Ornicar, Cahiers de recherches du champ freudien : Freud et Ferenczi, su et insu. 1978.
 
[38] Mapageweb.unmontreal.ca/scarfond/T5/5-Apfelbaum.pdf
[39] Sandor Ferenczi, Le problème de la fin de l’analyse in Psychanalyse 4, Œuvres complètes, Tome IV: 1927-1933
[40] Ibid. p. 111
[41] Sandor Ferenczi, « Pour le 70ème anniversaire de Freud » in Psychanalyse III, Œuvres complètes: 1919-1926, p.381