L'ENERGIE PSYCHIQUE

L'analyste est ainsi essentiellement intéressé par cette énergie psychique au travail, qui s'emprisonne dans les données du symptôme, pour peu à peu, à force de souffrance, de butée, d'obstination, inventer d'autres voies, impensées et inconnues du temps de la création du symptôme.
Enfin, encore une fois, on comprends aisément que le processus à l'oeuvre est généralisable bien au-delà des stades classiques repérés par la psychanalyse. En effet, le mécanisme fondamental tient au fait que nos logiques psychiques, notre appareil psychique, nos logiques subjectives sont toujours des produits contextuels. Or, ce contexte change constamment, dans le flux du temps et de l'espace qu'est notre vie. Ce temps de retard entre la conceptualisation et la réalité, toujours en avance, va dépendre de notre souplesse au changement psychique, de notre attachement plus ou moins grand à ce qu'on appelle nos défenses, qui sont des logiques subjectives anciennes. Qu'on convoque ici le symptôme est ici inévitable, autant que le flux du temps lui-même. La psychanalyse sera concernée par les symptômes durables, car ancrés sur des plans identitaires bloquant l'invention auxquels le sujet ne renoncera pas sans un nouvel engagement transférentiel.. 

La pensée quantique aide là encore à comprendre ce qui se passe : tant que l'énergie psychique est liée à l'objet, seul l'objet s'aperçoit, et lorsqu'elle en est déliée, seule l'énergie se montre. On ne peut voir les deux en même temps.
Ainsi, dans le symptôme, faute d'accès à l'objet, qui est devenu caduque, l'énergie se montre pure, comme le lion en cage, et donc dans la souffrance. C'est que l'énergie psychique sans objet est souffrance, alors que l'énergie liée à l'objet est plaisir..
Lacan a dénommé cette énergie psychique désir, et à bien vu la déliaison à l'objet, dit ici (a), l'objet manquant. Le problème, c'est qu'il en a fait un but, un idéal, ici proprement mélancolique en réalité, alors qu'on voit bien que ce ne sont que des moments, qui marquent des sauts dans la connaissance, dans l'identification, dans la construction narcissique, dans les changements d'objet. Les pertes sont inévitables, souhaitables même souvent, mais alternent avec les plaisirs objectaux, tout aussi indispensables que leur absence..
Cette complexité contradictoire de l'appareil psychique est donc en fait une adaptation au changement inventif que nous impose constamment la vie. Le processus narcissique en est un écho.

La traversée narcissique

Pour reprendre toutes les étapes que nous avons franchies, la fin de la psychanalyse n'est pas la traversée du fantasme comme le pensait Lacan, n'est pas le démontage d'une identification pour franchir les étapes jusqu'à se figer dans une identification ultérieure, dans un éternel recommencement, comme le soutien Gérard Pommier, ce n'est pas non plus l'identification à un analyste idéalisé, sur le mode freudien, pas plus que la simple immersion dans le champ social, le désir quittant la revendication familiale, donc transférentielle, faisant ainsi fi du symptôme, comme le pense Marc Thiberge. Enfin, ça ne peut être non plus le retour à des patterns archétypaux "harmonieux" jungiens, nous l'avons vu dans les chapitres précédents.

Le titre du présent travail indique que le symptôme vu par la psychanalyse est un trouble d'une nature particulière : c'est un blocage plus ou moins partiel du processus narcissique. La question de la conférence suivante sera donc celle de savoir s'il existe un terme à ce processus, et quel est-il?
Nous avons aperçu dans les travaux précédents que les élaborations des uns et des autres dans ce domaine du symptôme amenaient toutes à constater soit la persistance, atténuée ou pas, du problème symptomatique, le plus souvent, soit, rarement, sa disparition. Dans ce dernier cas, la raison en reste inconnue de ces auteurs.
Ainsi le formule Juan David Nasio dans une conférence donnée au temple de l'Etoile à Paris le 13 octobre 2004 : "Cependant, il nous arrive à nous, professionnels, - et c’est heureux qu’il en soit ainsi - de ne pas comprendre pourquoi tel de nos patients a vu son état s’améliorer. Le saut vers la guérison demeure pour nous, psychanalystes, une énigme insondable. Je ne voulais pas me borner à déclarer que la psychanalyse guérit, sans reconnaître aussi notre ignorance : nous ne savons pas quel est le ressort ultime de la guérison. Toute la théorie de Sigmund Freud, de Jacques Lacan et de tous nos anciens maîtres peut être considérée comme une immense tentative de répondre à l’énigmatique question, une question que tous les psychanalystes se posent après le dernier rendez-vous d’un patient qui s’est vu enfin délivré de sa souffrance. 
La question que nous nous posons tous, après la dernière poignée de main et une fois la porte refermée derrière celui qui ne sera plus notre patient, est la suivante : Que s’est-il passé pour qu’il aille bien maintenant ? Quel fut le véritable agent de sa guérison ? A la fin de chaque cure, je me pose toujours cette même question sans jamais lui trouver de réponse définitive. 
C’est pourquoi la meilleure devise qu’un psychanalyste puisse se donner, résonne en écho au célèbre adage d’Ambroise Paré. Notre savant constatait : « Je le soigne, Dieu le guérit. » ; je dirais : « J’écoute mon patient avec toute la force de mon inconscient, et c’est l’Inconnu qui le guérit.»"

L'HETEROLOGIE PSYCHIQUE

L'hypothèse que j'avance ici serait que la survenue de cet "inconnu" est précisément ce temps hétérologique de la résolution du symptôme, ce saut dans une logique totalement nouvelle pour le patient et l'analyste, signant par cette nouveauté même, cette imprévisibilité, le retour d'une subjectivité inventive en place du symptôme, lequel est le signe qu'elle avait manqué dans le temps narcissique antérieur qu'il indique toujours et auquel les associations libres renvoient immanquablement.
Il faut noter qu'une des dernières étapes de la structuration narcissique, nous le verrons, est la prise en compte par la pensée de cette structure fondamentalement hétérologue de l'appareil psychique. De ce point de vue, l'analyste en sait toujours moins que son patient quant au sens à venir du symptôme. Toujours et à tous moments... C'est même la seule chose qui garantit que la subjectivité retrouvée est bien celle du patient, et non la projection du narcissisme de son analyste!
La création du symptôme dépend de la tentation monologique des développements des premiers axes narcissiques, qui aboutit à des effets de refoulement des logiques subjectives qui ne sont pas compatibles avec les règles sociales et familiales du moment. Pour prendre un exemple, des règles familiales trop rigides, simplifiant donc le monde externe et interne à l'extrême, vont évacuer de la conscience des plans fondamentaux de l'être, aboutissant à des refoulements et déplacements pouvant générer un trouble obsessionnel.
Cette contradiction intime qui aboutit au refoulement, très bien explorée par Freud, est malgré tout une dimension qui ne peut réussir, étant donné la complexité du cerveau, des désirs, de la vie, de la réalité tout simplement. La possibilité d'assumer le caractère hétérologue de nos logiques de vie, de ce que j'appelle des logiques subjectives, est une des étapes ultimes de la structuration narcissique, avant son dépassement, que nous verrons dans la dernière conférence. Elle procède par l'acceptation du caractère contextuel de chacune de ces logiques, par une ré-historisation des plans jusque là inconscients et refoulés, par un déplacement grâce au transfert des appuis identitaires.
Là encore, il faut bien en comprendre la valeur. Il s'agit que s'accepte l'extrême complexité contradictoire qu'est l'appareil psychique humain. Ça veut dire qu'au lieu de choisir une logique contre les autres, on va éventuellement préférer la dominance d'une ou l'autre sur les autres, mais en acceptant la possibilité et l'existence de ces éléments contradictoires. 
Enfin, et c'est le plus important, ce travail hétérologue, que Freud appelait la perlaboration, produit surtout du nouveau, de nouvelles logiques, impensables le temps d'avant. Remplacer le refoulement, qui est une tentative de restaurer une solution monologique, par la complexité contradictoire la plus consciente possible redonne au sujet la possibilité d'inventer, au sein même de cette complexité hétérologue.  L'hétérologie psychique est une condition forte de l'invention subjective.
Ce faisant, la notion de choix redevient contextuelle, dans la réalité, et cesse d'être bloquée dans l'imaginaire idéal.