Les diverses facettes de la sensibilité cutanée vont du toucher discriminatif (par exemple: la lecture Braille ou la sensation de rugosité), à la perception de la douleur et de la température. Ces deux dernières sensations dépendent de récepteurs innervés par de petites fibres nerveuses myélinisées et non myélinisées. Pour ce qui est du toucher discriminatif, on considère depuis longtemps qu’il dépend de mécanorécepteurs spécialisés innervés par de grosses fibres nerveuses myélinisées. Ces afférences nous renseignent sur la localisation, l’étendue et les caractéristiques des stimulus tactiles au niveau de la peau, incluant des stimulations déclenchées lors de gestes d’exploration de l’environnement proche de notre corps. Cette sensibilité est si développée qu’on peut aisément percevoir la présence d’une petite bosse de quelques micromètres sur une surface lisse. On connaît également l’existence de mécanorécepteurs sensibles au toucher léger, surtout aux stimulus tactiles se déplaçant sur la peau, innervés par de petites fibres non myélinisées (fibres C). Ces afférences tactiles C (TC) ne sont présentes que dans la peau portant des poils dont le rôle dans le toucher discriminatif est peu probable. Pourquoi donc existent-elles ?
Des études récentes du docteur Yves Lamarre de l’université de Montréal, en collaboration avec une équipe de chercheurs suédois et canadiens, confirment un rôle fonctionnel pour ces afférences TC [1]. Cette découverte a été rendue possible grâce à l’observation d’une patiente montréalaise (G.L.) atteinte du syndrome de Guillain-Barré. Il y a 23 ans, la perte [2] de presque toutes les grosses afférences myélinisées a entraîné un déficit total du toucher discriminatif (reconnaissance d’une pression, d’une vibration, discrimination entre deux points...), sur toute la partie du corps en dessous du nez. Les sensations de douleur et les variations de température étaient en revanche perçues.
En utilisant un test de perception très rigoureux, Y. Lamarre et al. ont pu démontrer que cette patiente était capable de percevoir le déplacement d’un pinceau doux sur son bras, qu’elle décrit comme un frôlement léger, agréable et doux. Ce stimulus, qui active les afférences TC, ne déclenche aucune sensation s’il est appliqué sur la peau glabre (la paume des mains), ce qui est en accord avec la localisation exclusive des fibres TC dans une peau pileuse.
L’utilisation de la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a ensuite permis à ces chercheurs d’identifier le réseau de neurones activés par la stimulation des afférences TC. Chez les sujets normaux, le déplacement du pinceau sur le bras active les neurones des régions somatosensorielles du lobe pariétal et du cortex insulaire. Cette activation serait due à la stimulation conjointe des afférences TC et des afférences impliquées dans le toucher discriminatif. En revanche, chez Madame G.L., qui n’a aucun toucher discriminatif, seul le cortex insulaire est activé, incluant une partie normalement stimulée par l’émotion amoureuse et l’excitation sexuelle. Compte tenu de la relation entre le cortex insulaire et le système limbique, et du rôle de ce dernier dans les mécanismes de l’émotion, Y. Lamarre et al. ont suggéré que les afférences TC fassent partie d’un réseau neuronal impliqué dans l’aspect affectif du toucher. À quoi servent ces afférences TC ? On peut penser que leur activation par des caresses contribue, par exemple, au développement des liens mère-enfant, des liens sexuels et à la perception du soi. On sait bien que la douleur comporte une dimension sensorielle et émotionnelle, et l’on doit maintenant reconnaître qu’il en est de même en ce qui concerne le sens du toucher.
 
 
Les études foisonnent sur la nécessité pour l’appareil psychique et le cerveau d’affection, de paroles et donc de caresses pour se développer, et tout simplement pour vivre en ce qui concerne l’être humain.
Rappelons l’expérience suivante[7] : « Au XIIIe siècle, Frédéric II, roi de Sicile de 1220 à 1250, veut savoir quelle est la langue qui vient naturellement aux enfants en l’absence de toute stimulation pour le langage. La consigne est alors donnée aux nurses responsables d’un groupe d’enfants de ne jamais leur parler. Tous les enfants mourront (Koupernik, 1980). »
 
 
L’être humain est ainsi sans doute l’animal qui est de loin le plus dépendant durablement pour son plaisir et donc sa vie même de la présence attentive, affectueuse et durable de ses parents et congénères.
 
Le plaisir de l’autre est ce qui nous permet d’inscrire le signifiant dans l’appareil psychique, et, sans doute, au fur et à mesure de la vie, de le remanier constamment. Voilà pourquoi on a repéré depuis longtemps que la qualité de la relation thérapeutique est bien plus importante que l’appartenance théorique du praticien...
 
Si actuellement il est quasiment interdit de publier des thèses pourtant fort bien étayées impliquant un manque patent de plaisir d’échange dans les enfances d’enfants autistes, sous prétexte de ne pas impliquer les parents, rien ne dit que ce n’est pas pourtant bien ce qui s'est passé...
Ce ne sont pas les associations de parents d’enfants autistes  et les politiques avides de votes qui font la science ni qui refondent le réel !
Même si on peut aisément comprendre leur désarroi, il est de peu de poids face à toute la politique de prévention et de traitement des relations parentales qui pourrait être mise en place si ce fait était enfin étudié, puis accepté s'il se confirme, comme c’est probable.
Je me souviens d’un cas personnel où un jeune couple m’a amené, à l’époque où on impliquait encore avec espoir la psychanalyse dans ces problèmes, une petite fille de 2 mois qui commençait à désinvestir massivement tout humain qui se présentait devant elle. Pas de sourire, évitement du regard, pas de lalalies. Un début d’autisme se profilait, qui inquiétait ces parents heureusement avertis de cette pathologie.
En fait, le couple traversait une grave crise, tous deux en dépression, avec des scènes conjugales fréquentes et verbalement violentes y compris devant l’enfant.
Nous avons fait ensemble une relation de cause à effet, et mis le paquet pour que les problèmes se traitent en thérapie de couple et non plus devant et avec l’enfant, priorité étant donné, avec elle, de rire, de jouer, se caresser, parler.
Ces parents y sont parvenus, en différant devant l’urgence leurs respectives problématiques narcissiques, et la petite fille repris en 15 jours son développement normal, le plaisir se reliant à nouveau avec l'univers signifiant qui se présentait à elle, et qu’elle pu donc investir.
Ce sont ce type de prises en charge, extrêmement efficaces, qu’interdisent les lobbys de familles d’autiste, avec le concours de politiques complaisant, et de neuro scientifiques ignorants ou malhonnêtes : en effet rien, aucune étude ne peut affirmer à l’heure actuel que l’autisme soit majoritairement génétique ou biologique, alors que toutes les études qui le recherchent montrent un lien fort entre dépression parentale et autisme[8] ! Personne ne veut actuellement en tenir compte sérieusement dans le monde médical, universitaire et politique, ce qui est le vrai scandale en termes de prévention et de traitement !
 
Une expérience personnelle dans le domaine, proche, de la dysphasie, est parlante à ce propos : travaillant dans un centre pour enfants dysphasiques, je fis une étude sur une intuition, née de la confrontation avec cette clinique. J’explorai la présence ou l’absence de jeu (moment de plaisir partagé où le langage est particulièrement présent) entre parents et enfants dans les deux premières années de vie. Sur 26 cas explorés, je trouvai 24  circonstances d’absence complète de jeu initié par les parents. Il fallait pour extraire ces données être précis, car tous les parents commençaient par dire qu’ils jouaient avec leurs enfants. Mais en entrant dans les détails de temps, de disponibilité, de type de jeu, l’absence était en fait complète dans 24 cas sur 26.
Cette étude fut publiée dans la revue Empan[9].
Ce centre étant lié à un réseau de neuropédiatrie régional, mon éviction fut décidée, par des pressions de ce réseau sur le directeur, qui m’en fit part, sous prétexte que cette étude impliquait les parents !
La pression de ce lobby, en alliance avec la neuro-psychologie locale, pris la place de la démarche scientifique. Celle-ci aurait exigé qu’une autre étude soit initiée, selon les mêmes procédures, pour affirmer ou infirmer cette hypothèse nouvelle.
À défaut, et au cas où cette étiologie serait confirmée, on se prive d’un moyen préventif et thérapeutique extrêmement efficace, en tout cas dans ma pratique personnelle, en raison de réaction purement passionnelles, mais totalement ascientifiques. La question n’est pas d’exonérer pour diverses raisons les parents de leurs effets sur les enfants, mais de prendre acte et vérifier les effets réels des interactions. Seule cette dernière attitude permettrait l’efficacité préventive et thérapeutique.
Mais trêve de polémiques, encore que l’enjeu de celle-ci soit fort important.
 
Nous avons donc vu que le plaisir d’échange, tactile, verbal, et enfin désirant, est l’essentiel de l’investissement que l’enfant va faire du monde humain et donc de ce signifiant qui va le définir de l’extérieur de lui-même. Il en est la condition même, étant donné son extériorité fondamentale.
Le psychanalyste qui a largement exploré ce domaine de l’échange désirant est bien entendu Bion, dont j’ai souvent parlé... La fonction alpha de la mère, inscrivant les énergies psychiques (bétha) de l’enfant dans un univers conscient et inconscient de projections positives et plaisantes balise en fait le chemin de l’enfant vers l’autre dans un univers de projections agréables, de signifiants plaisants. Qui ne le restera bien entendu que s’il a aussi son mot à dire, quitte à contrarier cette maman s’il ne veut pas être médecin mais danseuse d’opéra...
 
Il faut en tous cas ce plus de plaisir pour accepter d’entrer dans ce cheminement bien osé de risquer le plus intime de soi au plus extérieur !  On a reconnu là l’intuition de Lacan avec ses métaphores de la bouteille de Klein ou de la bande de Moebius. Elles se comprennent aisément ainsi, dès qu’on introduit l’externe plaisir de l’autre dans l’intime génèse signifiante. Sans cette dimension de plaisir, ce trajet n'a plus aucun sens, non sens du dêsetre à quoi arrive Lacan de fait.
 
Cela est tout à fait sensible dans ce propos de J.A. Miller[10] , qui partage cette impasse bien malgré lui, dans un article au journal "Le Point" : « Le journaliste : Lacan nous dit que le désir n'est pas une fonction biologique. Que doit-on en déduire ?
Vous ne trouvez pas le désir déjà préformé dans l'organisme. Il n'est pas un instinct, si on entend par là un savoir infaillible qui serait inscrit dans le réel du corps et qui le mènerait droit au but : son bien-être, sa vie, la survie de l'espèce. Tout au contraire, le désir s'égare. C'est là un trait qu'on lui a constamment reconnu. On a depuis toujours déploré et censuré ses aberrations, ses extravagances, ses errances. On a tout tenté pour l'éduquer, le réguler, le maîtriser, mais en vain : il n'en fait qu'à sa tête. D'où l'idée que le désir ne relève pas de la nature : il tient au langage. C'est un fait de culture, ou plus exactement un effet du symbolique. Lacan parle de l'"ordre symbolique".
 
Comment parler d'ordre alors que le désir fait plutôt désordre ?
 
En effet. Et on a vu tout récemment la notion d'ordre symbolique faire des adeptes parmi les opposants au mariage gay. Mais il y a maldonne. L'ordre symbolique désigne un ensemble de lois - lois linguistiques, dialectiques, mathématiques, sociologiques -, mais le complexe d'OEdipe n'en fait pas partie. L'oedipe, Lacan l'a toujours qualifié de mythe. Et c'est en somme assez généreux, car les versions triviales qu'on en donne sont plus proches du boulevard que la tragédie grecque, du genre : il faut que papa fasse la loi à maman pour que la fille et le garçon soient ce qu'ils doivent être. Lacan prévoyait que ce programme ne tiendrait plus longtemps l'affiche, et c'est bien ce à quoi on assiste.
Lacan parle pourtant de "structure oedipienne"....
Oui, ça, ce n'est pas un mythe ni le casting d'un Guignol. C'est une combinatoire, distribuant des termes sur des places auxquelles sont attachées des fonctions. Mais ce n'est pas du tout nécessairement "le Nom-du-Père" qui occupe la position maîtresse, celle qui fait tenir son monde, la clé de voûte. Ce peut très bien être un symptôme ! Et quand c'est le cas, même si le sujet veut s'en débarrasser parce que ça l'incommode, le thérapeute doit se garder d'y toucher, car tout s'effondrerait. Le désir est avant tout l'effet de la structure du langage. Le désir n'est concevable que chez les êtres parlants. On peut l'expliquer comme ceci. Dans l'espèce humaine, le petit ne peut seul satisfaire ses besoins les plus élémentaires, il doit en passer par un Autre, majuscule, capable de les satisfaire, et pour ce faire parler son langage, lui adresser une demande. Tout découle de là. Cet appel fait de l'Autre un objet d'amour. Simultanément, la transposition du besoin en demande produit un décalage : c'est là que se loge le désir. Il court sous tout ce qui se dit, y compris dans vos rêves, sans pouvoir être dit en clair. C'est pourquoi il donne matière à interprétation.
L'objet du désir est donc forcément insaisissable ?
Le désir n'est pas coordonné à un objet naturel ou social. Son objet ne se trouve pas dans la réalité commune, mais dans le fantasme individuel. Comme tel, ce n'est pas un objet dont on a besoin, et on ne peut l'obtenir par la demande. C'est plutôt un objet qui, si je puis dire, vous coupe le sifflet. Dans une cure analytique, on constate que l'aveu du fantasme est souvent le plus difficile. Le rapport du sujet de la connaissance à l'objet de la connaissance est traditionnellement décrit comme harmonieux et complémentaire. Dans le registre du désir, le rapport du sujet à l'objet est tout à fait différent. Lacan montre que l'apparition de l'objet du désir se marque, du côté du sujet, par un fading : le sujet n'arrive pas à se maintenir, il s'évanouit, il disparaît. C'est en quoi il passe à l'inconscient.
Comment des sociétés peuvent-elles tenir debout si chacun est obsédé par son fantasme particulier ?
Précisément parce qu'il est labyrinthique et qu'il extravague, le désir suscite en contrepartie l'invention de divers artifices jouant le rôle de boussole. Prenez une espèce animale : elle a une boussole naturelle, qui est unique. Dans l'espèce humaine, les boussoles sont multiples, concurrentes, évolutives. Elles ne sont pas instituées par la nature, ce sont des artifices, des montages signifiants, ce que Lacan appelle des discours. Ces discours disent ce qu'il faut faire : comment penser, comment jouir, comment se reproduire. Parmi ces discours, il y en a de très grande ampleur et de très longue durée : les civilisations, les religions. Ils organisent la cité, ses productions, les croyances. A une autre échelle, chaque famille a son discours : un système de valeurs, une vision du monde, un style de conflits, etc. Cependant, le fantasme de chacun demeure irréductible aux idéaux véhiculés par les discours.
Quel nord indiquent ces boussoles ?
Jusqu'à une époque récente, toutes indiquaient le même nord : le Père. Les civilisations, les religions, les sociétés étaient patriarcales. Le patriarcat comme forme d'organisation sociale semblait être un invariant anthropologique. Le déclin du discours patriarcal s'est accéléré avec l'égalité des conditions, la montée en puissance du capitalisme, la révolution industrielle. Balzac le signale au milieu du XIXe siècle, Hannah Arendt au milieu du XXe siècle : l'autorité décline, l'autorité n'est plus une voie qui satisfait l'humanité. De Gaulle lui-même, figure autoritaire s'il en est, voulait inaugurer l'ère de la "participation".
Est-ce à dire que nous sortons de l'âge du Père ?
Un autre discours est en voie de supplanter le discours unique de jadis. L'innovation à la place de la tradition. L'attrait de l'avenir là où le poids du passé enchainait. Plutôt que la hiérarchie (verticale), le réseau (horizontal), le féminin prenant le pas sur le viril. On ne conserve plus un ordre dans ses limites immuables ; on s'inscrit dans des flux transformationnels repoussant incessamment leurs limites.
 
 
[2] Rimbaud à Paul Demeny (Lettre du Voyant, 15 mai 1871)
[4] Le coeur conscient, Robert Laffont, 1960.
[5] « Boiter n’est pas pêcher « 
[6] 1. Olausson H, Lamarre Y, Backlund H, et al. Unmyelinated tactile afferents signal touch and project to insular cortex. Nat Neurosci 2002; 5: 900-4.
[7] https://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2006-2-page-405.htm#
[9] Empan 2016/1 (n° 101), pages 12 à 20
[10] https://www.lepoint.fr/culture/lacan-professeur-de-desir-06-06-2013-1688542_3.php