Émergence subjective et désir de l'analyste.
 
Ce sont ces conditions d'émergence dans le transfert, du côté de l'analyste, que nous allons maintenant examiner. Cela passe bien entendu par l'assomption par l'analyste de ce qu'est vraiment la castration, c'est-à-dire la place possible faite à l'autre radicalement différent dans son désir même. Si une incomplétude de ce processus persiste chez l'analyste, s'il n'a pas traversé lui-même le transfert narcissique, cela empêchera précisément à cette émergence, dont le fondement même est d'échapper à la réduction de la représentation, de se manifester.
C'est que le désir de l'analyste peut faire obstacle à cette émergence, si son désir à à voir avec une incomplétude narcissique chez lui. Il va alors opposer son propre narcissisme, et donc ses productions imaginaires au cheminement de celui de son patient, empêchant sans le savoir la résolution de ce dernier, faisant au contraire chorus avec lui sur ces formations imaginaires dès lors communes. Ce type de problèmes se cache sous les apparences du bien faire, du désir de guérir, derrière les bénéfices douteux d'une position de supériorité interprétative, de maîtrise théorique, sorte de maîtrise de l'autre qui ne dit pas son nom, etc.. C'est la seule acception où peut se concevoir la notion de desêtre lacanienne, où il s'agirait alors d'un desêtre .. narcissique!
Mieux vaut donc que l'analyste ait lui-même traversé ce plan pour que le patient y parvienne.. Sinon, l'incomplétude du processus narcissique chez l'analyste se manifestera par le fait qu'il se passionnera plus pour l'énigme de la souffrance de l'autre (afin de continuer à explorer la sienne par personne interposée), que par le plaisir (coûteux cependant) de la connaissance, de l'analyse, enfin de la reconstruction imprévisible d'un désir émergeant...
Il est ainsi des analystes dont la passion pour le transfert n'est rien d'autre que la projection de leur propre symptôme, figé dans une analyse incomplète de s'être arrêté à une allégeance à leur analyste, faute d'une théorie et pratique de la fin de la cure basée sur la différenciation conflictuelle que je propose ici. Le terme de conflit est là utilisé dans son sens d'énergie fondamentale.
Il est d'ailleurs à parier que l'analyste qui a franchit les étapes ici décrites s'intéressera plus à d'autres choses qu'à la psychanalyse, disposition qui in finé est peut-être un symptôme en soi, comme pour tous les métiers de soin, peut-être..
Si le désir manifeste est du côté de l'exploration de la souffrance de l'autre, il est fort à parier qu'il peut s'agir de trouver des alliés imaginaires pour s'éviter le grand risque et le grand plaisir d'être soi.
 
Conclusion
 
Un mot enfin des traitements psychotropes, nécessaire face à la déferlante actuelle de ces drogues. C'est bien souvent autour de cette dernière étape thérapeutique qu'ils se maintiennent, afin que se supporte chimiquement une dépendance narcissique en fait insupportable et cause manifeste du trouble. Ainsi, de ce patient qui augmentait son traitement psychotrope lorsque que son épouse était trop contrariée par son comportement! Mais il en est de même lorsque la dépendance existe face au groupe professionnel, à telle ou telle association ou leader autoritaire dont on imagine dépendre. Aussi, si on veut être honnête vis à vis de la demande thérapeutique de départ des patients, n'est-il pas inutile de poser que les traitements psychotropes, parfois utiles dans une crise aiguë, (comme l'aspirine l'est pour le dentiste), peuvent carrément empêcher le terme du déroulement narcissique, et donc la fin de l'analyse telle que je l'entends ici, avec sa part de prise de risque, de remaniement référentiel. Il vaut mieux à notre époque rappeler que la proposition de la psychanalyse n'est pas équivalente à celle des prescriptions de drogues, légales ou non, médicales ou non, pas plus qu'elle n'est de rabattre la complexité et la profondeur de la singularité de chacun sur une norme quelconque, qu'elle soit médicale, sociale ou neurologique ou psychanalytique
Le chemin qu'elle propose, par l'acceptation de l'irréductible hérétologie des plans internes et externes de l'être, est celui du plaisir de l'invention singulière et de ce fait risquée de la pensée. Lorsque la traversée narcissique est en arrivée là, plus besoin d'analyse, ni d'appui transférentiel, ni d'investissements troubles de la souffrance de l'autre, ni, le plus souvent, de médicaments.
On comprend aussi pourquoi certaines personnes n'ont jamais besoin de psychanalyse, dans la mesure où cette dimension de l'être peut être transmise assez tôt dans la vie, par des adultes suffisamment habités par cette forme de subjectivité. C'est la raison pour laquelle j'appelle ce transfert "subjectif", puisque le sujet ne s'y efface pas pour protéger la relation..
Enfin, avant de prendre le risque de s'avancer tout seul avec et parfois contre les autres, l'apprentissage est long, et il est souvent prudent de prendre le temps de s'abriter de son symptôme pour continuer à apprendre de l'autre. Ceci explique la durée d'une analyse, et la nécessité de prendre son temps.. La traversée du narcissisme est un long chemin, le long duquel il vaut mieux ne pas brûler les étapes
 
 
J'espère en tout cas avoir contribué à situer l'analyse et sa fin d'une façon un peu différente des auteurs précédents, que nous avons parcouru dans les chapitres précédents. Ainsi :

- l'identification des freudiens à l'analyste stérilise de ce fait l'être du patient.

-sa réduction à des archétypes jungiens l'écrase sur cette norme.

-l'assomption du désêtre lacanien nihilise l'énergie psychique singulière.

-le saut infini d'une identification à une autre de Gerard Pommier suppose une analyse infinie.

Le pas que je propose est que se rétablisse la fonction permanente de pulsation entre l'irréductabilité de l'être et l'extériorité de l'indispensable lien social et du symbolisme, qui permet de situer cette énergie hétérologue comme  un aboutissement, une émergence qui se produit de soi-même lorsque le processus narcissique est arrivé à son terme grâce au trajet transférentiel du symptôme.  Le lien social ici n'est ni une fin, ni un moyen, il fait simplement partie de l'hétérologie constitutive de l'humain qui est ainsi éclose. Le rapport de l'être au signifiant est devenu dynamique, conflictuel, mobile, au lieu d'être englué dans une fixité symptômatique.
 
Une telle modélisation à ses limites, comme toute théorisation. Il est certainement des troubles psychiques dont l'origine n'est pas liée à un problème dans l'élaboration narcissique. L'interaction entre le social et l'individu est telle que des déséquilibres peuvent engendrer des troubles qu'on peut alors appeler contextuels. Mais il m'a semblé que dans l'ensemble, la manière de voir les choses que je propose permet de vectoriser efficacement nombre de transferts thérapeutiques vers le terme durable d'une psychanalyse.
Par ailleurs, les êtres qui ont effectué, avec ou sans l'aide de la psychanalyse, cette traversée du narcissisme sont sans doute mieux armés, par leur réactivité conflictuelle créative, à affronter les diverses difficultés de la réalité sociale.
 
 
Michel Levy, le 20/9/2016, Saint Sauveur