Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
 
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
 
II y a l'air il y a le vent
Les montagnes l'eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
 
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
 
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
 
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t'en
 
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l'œil
Je prends mon bain et je regarde
 
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t'aime
 
 
Quoi de plus clair là que la co-existence de ces deux états contradictoires de l'appareil psychique, soit la conscience heureuse d'être, puis la nécessité joyeuse d'en néantiser l'existence par le bain dans le flux impétueux du monde et de ses signifiants ? Quelle plus belle illustration que le dialogue avec le monde et les autres est la seule chose qui nous mette à l'abri de l'amoureuse tentation identitaire ? Quand tu aimes, pars… Les deux sont indispensables, ce paradoxe étant le seul gage d'une fragile et inconstante santé psychique.
 
Pour résumer ce chapitre, ni organogenèse ou psychogenèse, raison ou folie, amour ou liberté, ne peuvent avoir le dernier mot. Toutes ces couples, fort intimement liés en fait, sont en réalité hétérologues.
 
De même que le dialogue entre les êtres rend mieux compte de l'humain que le statut de chacun, ce même dialogue entre ces dimensions contradictoires et surtout hétérologues de l'homme est sans doute une des clés de l'imparfaite santé psychique.
 
Bref, soit on sacrifie le fou pour sauver notre vérité, soit on sacrifie notre vérité pour sauver le fou. Car c’est toujours l’autre qui nous permet d’apercevoir notre folie. Dès qu’on l’y autorise, on avance dans la connaissance de soi et du monde. Si on le lui interdit, se fige notre regard sur nous-mêmes et les autres, et on ne cesse d’avancer vers la catastrophe rigide, à cheval sur une vérité qui galope vers un gouffre bien réel.
La folie, lorsqu’elle n’est pas utilement aperçue pour mettre en catastrophe nos certitudes, insiste alors dans son rôle de vigie jusqu’à ce qu’on soit confronté à l’évidence de la violence que propose tout semblant qui persiste en place de vérité. La folie représente en fait cette mise en abîme, ce trou dans le réel, cette folie de la raison, nécessaire pour la faire cheminer.
Ceci est très concret, et se trouve dans le langage courant lorsque le cavalier de la vérité dont nous parlions plus haut s’exclame : mais c’est le bon sens, c’est évident, et autres phrases incontestables. En réalité, toute phrase est contestable parce que c’est une phrase justement. La folie, philosophique, mais aussi clinique, pour le coup, se dévoile là, quand c’est oublié trop longtemps et trop massivement dans les dialogues humains.
Ainsi, lorsqu’on juge que l’autre est fou, on avance aveuglément avec sa propre folie raisonnante, et tous les risques que cela comporte. Lorsqu’on l’entend cet insensé, au contraire, dans son message dérangeant, on devient soi-même fou, c’est à dire qu’on change de point de vue sur notre propre “sagesse”, le plus souvent avec bénéfice. Le fou est toujours en fait le fou du roi, le fou de Carnaval, avec son rôle profondément remaniant et absolument imprévisible ! Nombre de Carnaval au Moyen-âge se finissaient en jacqueries…
 
Le sage n’a pas raison, le fou non plus, le jeu est de bousculer la raison de part et d’autre pour que tout le monde avance dans la surprise. Voilà ce qu’on peut déduire de l’approche philosophique de la folie. Elle est donc l’envers de la raison, et, comme l’envers de la médaille, elle lui est consubstantielle. D'où l'échec, depuis 2500 ans, de tenter de donner une autonomie à l'une ou l'autre…
 
 
[1] Dunod 1985
[2] Cahiers d’Art, 1945
[3] https://journals.openedition.org/noesis/1662?lang=en
[4] Je suis une boucle étrange, Hofstadter Douglas). Decit
[5] Définition dans Wikipédia : Le signifiant est un concept clef de l'édifice théorique de Jacques Lacan. Il emprunte le terme à la linguistique et plus précisément à Ferdinand De Saussure, selon qui le signifiant est l’empreinte psychique (l'image acoustique) d'un son et l'une des deux parties du signe linguistique, l'autre étant le signifié qui renvoie au concept. Mais à la différence de Saussure, pour Lacan, dans une perspective psychique, c'est le signifiant qui prime sur le signifié. Dès lors, le signifiant devient en psychanalyse la composante, consciente ou inconsciente, du langage qui oriente le devenir d'un individu, ses discours et ses actes, autrement dit, il est « l'élément significatif du discours (conscient ou inconscient) qui détermine les actes, les paroles et la destinée d'un sujet et à la manière d'une nomination symbolique »
[6] une conversation... qui devrait être vécue dans la vraie vie
 
[7] On note que je parle de traits, et non de personnes. C’est que je n’ai jamais rencontré de patient qui soit complètement psychotique, névrotique ou pervers… C’est d’ailleurs cette intrication qui à la fois permet et complexifie le traitement.
[8] Éditions Tallandier, 2020
[9] Ibid P24
[10] Ibid p60
[11] Ibid p58
[12]Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Gallimard 1971
[14] Gerard Pommier "Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse", Flammarion, 2004
[15] Ibid p75
[16] Pensées, Le livre de poche, 2000
[17] Ceux qui doutent de tout
[18] Ceux qui ne doutent pas d'une vérité
[20] https://www.les-philosophes.fr/penseurs/letre-et-le-neant/Page-8.html