L' " EGALITE " SEXUELLE
 
Le déni de la différence amène naturellement à la revendication de l'égalité sexuelle. Quelques constats tout d'abord : les hommes et les femmes ne sont égaux ni physiquement, ni psychiquement, ni symboliquement, ni en droit et ce dans aucune société. Qu'on puisse ainsi revendiquer l'égalité de droits entre les hommes et les femmes est possible et fréquent. Il n'empêche que, dans la réalité elle n'existe pas, puisque le droit s'adapte, pour certains points précis, à la spécificité féminine. On peut prendre ce qui se passe autour de la grossesse bien sûr, la récupération de trimestres de retraite en fonction du nombre d'enfants, etc. L'ethnologie ne retrouvera aucune société qui fasse une unité symbolique des deux sexes, le mode de différenciation sexuelle fondant même une bonne part des caractéristiques de chaque société. Il faut bien voir que la tendance actuelle d'uniformisation sexuelle est inouïe dans l'histoire de l'humain, au point qu'on peut se demander si elle ne rend pas compte d'une part de la barbarie moderne, la barbarie étant simplement entendue comme le résultat d'une tentative de sortie de l'univers symbolique. D'un autre côté, elle tend, dans les derniers avatars néo-libéraux de la société industrielle moderne, à remplacer tout univers symbolique par un monde de consommateurs, ce qui est la toile de fond mondiale de l'affrontement Nord-Sud actuel. Le couple fondateur de la publicité : frustration signifiée/boulimie réparatrice fonctionne à plein dans un lien social de plus en plus déstructuré. Il n'est plus nul besoin que le corps soit symboliquement sexué, il suffit que le sexe participe de la consommation généralisée. Le sexe ne situe plus, il se consomme comme le reste, ou ne sert qu'à la consommation, se réduisant à un flux financier. Ce n'est pas parce que tel homme présente des caractères féminins, telle femme des traits masculin, que les différences sexuelles n'existent pas pour autant. Ne confondons pas la liberté individuelle, biologique et culturelle, éminemment souhaitable, avec l'absence de structures, de lignes de forces, qui organisent notre monde…
 
La reconnaissance de l'autre ne peut passer que par la prise en compte  de ses différences. Hommes et femmes ne sont pas que yin et yang, s'ils le sont aussi. Ils sont également façonnés par une foule de différences de tous ordres, que la poésie dénomme le mieux : anatomiquement, la peau des femmes le plus souvent est d'une douceur satinée qui semble appeler la caresse, le contact (je serais moins disert sur ce qui peut attirer chez un homme, on le comprendra…). La souplesse invite à la danse, la voix à la musique, à la douceur. Le regard d'une femme est fréquemment d'une intuition, d'une pénétrance qui met tout à coup l'intime au premier rang. Dans la conversation, les changements de sujet, les sauts contextuels dessinent une profondeur d'ambiance, une circulation du plus complexe au plus simple, une respiration dont sont incapables beaucoup d'hommes. C'est ainsi qu'on peut se prendre à imagine qu'elles soient à "l'origine du monde"… quoiqu'on en dise. Je pense à Lacan, qui en même temps qu'il professait que la femme n'existe pas, cachait chez lui, sous une tenture, le célèbre tableau de Courbet exposant l'intimité d'un corps nu de femme. L'art et la poésie permettent heureusement des écarts que la société actuelle, qui se voudrait unisexe, n'autorise plus.
Disons un mot du toucher : il pourrait être plus féminin que masculin, les femmes ayant dix fois plus de récepteurs cutanés que les hommes : le toucher est une représentation tangible du lien social, fait exister pendant un temps plus ou moins court un être siamois, une fusion par contact de surface. Par extension, être au contact, en contact est aussi ce qui fait exister par exemple les équipages, qui se touchent par le biais du véhicule commun, de l'objet commun. L'ambiance et le lien particulier qui règnent au sein des bateaux, et ensuite parmi les membres de ces aventures, est largement lié à une expérience de toucher, de sensibilité communs. Cela est valable pour tous les sports collectifs.
La simple poignée de main est ainsi une brève expérience commune, qui signifie l'appartenance fugitive à un même corps, celui de l'humanité. Les femmes me paraissent parfois savoir tout cela mieux que les hommes. Le contact est une des représentations tangibles de notre habitat commun. Il relie  le monde de l'autre à notre désir intime. Ainsi, cette jeune femme, au sortir d'un épisode anorexique ayant nécessité une hospitalisation au tout début de la prise en charge, peut-elle me dire qu'elle ne supporte pas le contact, la caresse. Si elle peut l'exprimer, c'est qu'elle commence à se séparer d'une imago maternelle froide, rigide et destructrice, faisant couple avec une figure paternelle plus en dialogue, mais ne faisant pas limite à la mère, et complice de sa rigueur éducative. C'est en tout cas par ce sens que le désir propre de cette patiente a resurgi dans le transfert, le lien thérapeutique. Si je ne tends pas la main en fin de séance, c'est elle qui ne manque pas de venir la chercher! Bien entendu, l'analyste qui chercherait là un plaisir personnel, supprimerait du même coup l'espace transférentiel, et par là même l'avancée de l'analyse. Mais s'il n'entend pas ce qui se reconstruit là, il risque également l'échec, ayant manqué l'accompagnement de cette réparation indispensable pour le sujet.
Telle autre patiente, au sortir également d'un long travail autour d'états douloureusement dissociatifs, me demande de me taire, puis exprime un désir d'être prise dans mes bras. Elle vient de constater que sa mère, sans doute fille de nazi, est intouchable d'être porteuse d'une histoire supposée indicible, intransmissible. S'ouvre alors à nouveau l'alliance possible avec l'autre, signalée par le désir du toucher des corps, dans un moment par ailleurs de passage à l'acte homosexuel, mais probablement en réalité profondément réparateur d'une transmission de la douceur du toucher féminin qui a ici fait défaut.
 
Le toucher, ce lien d'un corps avec un autre, assure une fonction matricielle, au sein duquel toute la problématique signifiante peut évoluer, se reconstruire. Par extension, tout ce que Lacan appelait les formations de l'objet (a)  : (je rappelle ces formations, quatre chez Lacan, à mon avis largement extensibles : le sein, le regard, les fèces, la voix), conditionne aussi l'existence du sujet… et du signifiant par le plaisir qui y est relié ou non.
 
Corps de femme et corps d'homme se différencient de l'intérieur et de l'extérieur, symboliquement et physiquement. Dans le corps s'inclut le cerveau, lui-même différent d'un sexe à l'autre, comme la neurobiologie le montre largement actuellement. Même le livre polémique récent de Catherine Vidal et Dorothée Benoit-browaeys, Cerveau sexe et pouvoir ne peut que prendre acte de cette différence, si elle la minimise. Les capacités d'orientation spatiale sont mieux développées chez l'homme, d'après ces auteurs, qui pourtant ont écrit ce livre pour démontrer le contraire. Tout le reste de ce que j'ai lu indique de nombreuses différences entre cerveau féminin et masculin : les développements actuels sur les recherches neurologiques (Dick F.Schwaab, du Neederland Institute for Brain Research en particulier), tout à fait impressionnants, vont dans ce sens. Le cerveau de la femme est beaucoup plus apte que celui de l'homme à percevoir une ambiance, un ensemble de faits, à en faire une sommation affective et sensible, bref ce cerveau est fait pour développer l'intuition, l'appréhension de l'autre d'une façon globale, de manière à pouvoir en tirer des conclusions, des constructions compatibles avec l'authenticité profonde possible à  la fois de la maman et de l'enfant.  La plupart des auteurs trouvent des voies associatives plus développées chez les femmes. Les études dynamiques sur la pensée au travail montrent un cerveau beaucoup plus largement sollicité que chez l'homme, et de façon moins spécialisée. 
Ceci montre des qualités généralistes dont sont souvent assez dépourvus les hommes, beaucoup plus spécialisés dans tel ou tel domaine, dans lequel peut-être ils auront parfois des performances supérieures mais souvent très  partielles. Ainsi, si les QI des hommes et des femmes sont égaux dans la plupart des études, la courbe est cependant plus rassemblée chez les femmes que chez les hommes : ce qui signifie que les hommes sont plus souvent soit complètement idiots, soit hyper intelligents, selon les critères de ces QI…
Aussi, peut-on voir que la spécialisation féminine dont je parle, qui consiste à encourager le développement des logiques fusionnelles de dépendance, favorise, à travers le détail du plaisir, de la qualité du lien, la construction narcissique du sujet dans toute sa profondeur . Elle la permet, l'autorise et à ce titre-là est nécessaire à la construction humaine. Une logique fusionnelle est aussi matricielle. Dès lors qu'elle est limitée, elle permet tout bonnement la genèse même du désir…
Notons, pour la petite histoire, cette statistique indiquant que les papas font beaucoup plus souvent chuter les nourrissons des tables à langer que les mamans!!!
 
 
Pour Spinoza, le corps et la pensée sont largement liés. On pense avec son corps : il est le fournisseur de tous les éléments internes de la pensée, et il est aussi ce qui la relie aux stimuli externes, dont les autres corps. Toute la pensée est façonnée, modelée par la manière dont le corps peut la vivre et l'agir. Le cogito cartésien, le célèbre "je pense donc je suis", (justement critiqué par Lacan, sous la forme de "si je pense, je ne suis pas" et "si je suis, je ne pense pas ") ne rend pas compte de cette réalité spinoziste. Cela se complique si le paragraphe précédent sur la fonction matricielle du corps féminin est juste : on pense aussi avec le corps des autres !!!
 
Ce qu'est un corps de femme ? Difficile à dire pour un homme, je n'y suis pas ! Mais en tout cas c'est, sans aucun doute, un lieu beaucoup plus concerné par le lien entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'autre et soi, que le corps de l'homme. Cela va de soi si l'on pense à la grossesse, à l'acte sexuel, cela va aussi de soi si l'on pense à la place de la femme dans l'alimentation et la nourriture en cas d'allaitement. La femme à affaire avec ce qui produit du plaisir dans le corps, avec la frontière entre l'intérieur et l'extérieur de l'un et de l'autre.
Il est des femmes, proches du féminisme, qui de ce fait même passent à côté de ces spécificités féminines!! Julia Kristeva, par exemple, dans son Colette ne conçoit rien pour elle entre le refoulement et la jouissance, faute de concept spécifiquement adapté à la femme et à sa réalité. Comme Simone de Beauvoir, d'ailleurs, dans son célèbre Deuxième sexe : impossible d'être si loin (refoulement), impossible d'être si près (jouissance), impossible d'être femme, simplement, avec un hommes, puisqu'on ne peut qu'être son égal, dans la négation des différences réelles, biologiques et culturelles.
Toute différence est transformée par ces auteurs en risque de domination, d'ailleurs toujours dans le même sens : domination de l'homme sur la femme, tandis que  la domination parfois exercée par les femmes sur les enfants, d'autant qu'ils sont plus petits, n'est pas interrogée.
 
La place oubliée du plaisir de la différence ne laisse pas au désir de champ entre névrose et perversion.  Alors que ce plaisir est le lien entre l'auto conservation, le narcissisme et l'autre qui permet, conditionne l'entrée dans le champ du désir. Pas de désir sans limite à la toute- jouissance, pas de désir sans le plaisir du lien non plus, c'est que nous apprennent certaines femmes, si on veut bien les entendre, telle Lou Andréa Salomé…
Si l'autre se borne à fixer les limites, n'autorisant pas le plaisir du lien, alors voilà le désir bloqué de buter sur une castration impossible, d'être non négociable, non articulable avec le plaisir du sujet, qui est sa seule cohérence authentique possible.
 
Un aspect du féminin est donc fusionnel. Il s'agit d'une science, d'un art, d'un plaisir, d'une compétence concernant l'interne et l'externe, les surfaces de contact, leurs mouvements, leurs liens. Il s'agit de savoir prendre en soi ce qui est en dehors, prendre en soi pour le sortir, le donner, le remanier. L'univers physique et biologique de la femme la met, beaucoup plus que l'homme, aux prises avec cette thématique fusionnelle qui nécessite un savoir, une finesse, une science souvent inconnue des hommes. Cette compétence n'est pas ambiguë et il serait tout à fait abusif de voir dans cette description  un versant psychotique. Ce n'est pas le côté fusionnel en soi qui pose problème dans le féminin, bien au contraire, mais son caractère parfois illimité, lorsqu'il n'est pas borné par, à ses côtés, la présence de l'homme et de ses caractéristiques très différentes et tout aussi nécessaires à la vie psychique.
Le fusionnel en soi n'est donc pas mauvais, il est au contraire tout à fait souhaitable et indispensable à la constitution narcissique. Il n'est problématique que lorsqu'il est seul et sans limite. Je rappelle  cette phrase d'une femme, analyste, grande amoureuse, mais qui ne fut cependant pas mère : " La femme qui ne peut sacrifier son enfant au père ne peut l'élever. " Est-ce à dire que cette vérité, dans sa crudité, empêcherait le désir même d'enfant ? Vous aurez reconnu Lou Andréa Salomé, précédemment citée.
 
C'est dans le lien à l'enfant que se voit le mieux l'extraordinaire capacité féminine  qui consiste à faire vivre, à faire ressentir, à favoriser la formation et l'organisation d'un organisme qui s'est construit en elle et qui, à travers elle principalement, va peu à peu explorer le monde dans un partenariat presque totalement continu, lié, dans ce départ de vie. Tout ceci n'est totalement fusionnel qu'apparemment, puisque l'on sait que la présence du tiers paternel, social, qui était là pour la genèse puis comme soutien pendant la grossesse, conditionne  le bon fonctionnement de cette cellule fusionnelle. Si ce tiers est absent, alors le fusionnel compétent, efficace quand il est limité, se délite pour arriver à l'incompétence parfois dramatique, sous forme de traits psychotiques, qui se montre à ce moment. Dans mon expérience, la majorité des problématiques puerpérales du péripartum sont liées, sur un terrain certes parfois déjà fragile, mais enfin pas toujours, à une défaillance considérable de ce tiers paternel, défaillance réelle ou internalisée par la mère. Des dépressions très sérieuses peuvent alors se mettre en place témoignant de l'impossibilité du fonctionnement de cette cellule mère enfant, quand elle ne peut plus s'appuyer  sur ses propres limites. La clinique psychotique devient alors possible.