Nous avons vu dans mon livre précédent que les logiques fusionnelles correspondaient tout simplement au fondations narcissiques du sujet, donc à ce qui lui permet de prendre conscience de lui-même à travers l'autre, dans une dépendance logique à cet autre. La place du maternel dans le déroulement de ces logiques est naturellement éminente. On a vu plus haut que par nature et fonction la femme est habituellement mieux équipée que l'homme pour favoriser l'émergence des logiques narcissiques chez le jeune enfant. Pour la petite histoire, sachez par exemple que les papas font beaucoup plus souvent tomber les bébés de la table à langer que les mamans, dans une étude faite à ce sujet.
Une logique narcissique de dépendance devient donc fusionnelle de façon pathologique à partir du moment où l'acte fondateur, qui est l'alliance avec l'autre, l'alliance avec la mère, (ce que j'appelle l'axiome de ces logiques) se transforme en une nécessité exclusive du développement.
Par exemple, la grand-mère méditerranéenne (la mienne, donc…), qui vérifie si on aime son couscous! La réponse étant oui, voilà qu'apparaît une logique de convivialité, de don et d'accueil fondant un pacte bienfaisant entre une grand-mère et son petit-fils… Que cela se poursuive par la nécessité d'en reprendre quatre fois pour ne pas risquer de la peiner, sans que personne n'intervienne, et voici le plaisir du début de ce lien qui se transforme en cauchemar gargantuesque! Impossible dès lors de démêler le tien du mien, impossible de démêler l'autre de soi dans ce qui est une fondation commune, une assise partagée dont les deux dépendent aussi étroitement. C'est que le maternel, dans cet exemple, n'est pas limité par un grand-père qui pourrait faire limite avec autorité ou humour.
La dimension enfermante de la relation mère enfant, n'est évidemment pas absente de certaines relations entre père et enfant. Elle est tout simplement habituellement moins puissante, moins fréquente, moins attentive aux détails, moins durable, moins opiniâtre, moins détaillée, moins englobante, mais plus tranchante, plus cadrante, plus socialisante. Evidemment l'inscription dans les logiques subjectives paternelles se fait aussi selon des logiques de dépendance narcissique, et heureusement. C'est à ce titre là qu'elles viendront balancer les précédentes, et réciproquement. Mais, encore une fois, dans la petite enfance, le champ en est moins vaste et moins profond que le champ maternel,  .
On sait en tout cas que chacun des deux champs, paternel et maternel, a besoin de l'autre pour que la conscience de soi existe indépendamment des figures parentales. Chacune mettant l'autre en perspective, c'est justement le huis clos fusionnel qui est ainsi évité. Alors l'enfant trouve sa place, échappe à l'autisme, tandis que la petite fille peut se muer en femme singulière, avec ses propres désirs ce qui lui évite l'anorexie.
 
CONCLUSION
 
Enfin, répétons qu'un lien existe entre certaines dérives des mouvements de libération de la femme, "l'égalitarisme" sexuel qui suivi, et la difficulté de beaucoup d'adolescents à se repérer dans le familial, puis le social.
Nous avons en effet vu, dans le détail de la structure  psychique de l'anorexie, comment les rôles sexuels ne sont pas en place, dans leur différenciation, puis dans leur articulation, leur co-existence psychique hétérologique. Je rappelle que  l'idée hétérologique suppose la coexistence de  différences radicales, irréductibles, et permet la circulation dans un monde qui n'est pas harmonieux.
Le résultat en est un dramatique écart entre un corps physique et culturel différencié, un cerveau différencié, des organes sexuels différencié, d'une part, et des logiques subjectives, des capacités symboliques qui ne suivent pas...
Je préfèrerais, et de loin, une société qui avance sur le  plan de la citoyenneté, de l'idéal républicain, afin que chacun et chacune, avec ses différences, trouve sa place, tel qu'il est, tel qu'il se cherche, et parfois se trouve. Le féminin et le masculin pourront alors exister dans leurs limites respectives. Les talents particulier à chaque sexe pourront s'épanouir sans risque, que ce soit le talent fusionnel féminin, ou le talent stratégique masculin. Il faut, pour cela, que cesse le ravage de la  pensée  simplement marchande, qui attise les individualismes forcenés, rabattant le désir (de la différence) sur le besoin (tout-puissant) de n'être que soi, au détriment d'un monde d'échange de savoir, de respect symbolique de l'autre et de sa différence fondatrice. C'est la condition pour sortir d'un narcissisme fermé, avec sa pensée unique,  pour entrer dans le culturel et son fourmillement de logiques multiples, comme dans un monde à  explorer, un univers de désir. Il ne sera fondé que sur l'acceptation de sa propre limite, condition de la rencontre de l'autre.