Le fusionnel féminin est aussi repérable dans une dimension précise dont on aperçoit bien le caractère matriciel, indifférencié : la musique et les chants. Si les hommes n'en sont pas exclus, loin de là, ce sont cependant les mères qui introduisent, le plus souvent, par les chansons d'enfant, cette dimension d'harmonie entre les êtres. Tout commence par ce plaisir des sens que ressent un enfant bercé dans les bras de sa mère, plaisir auditif, olfactif, tactile, visuel, qui l'englobe quasi totalement, le submerge agréablement, et ainsi l'introduit au plaisir de l'autre. Faute de quoi, ce sera le ronron de la voiture, son bercement, qui aura cette fonction d'endormissement ! Plus nombreux qu'on ne le croit sont ceux qui utilisent la voiture le soir pour traiter un trouble du sommeil de l'enfant, à défaut de pouvoir faire autrement, dans le stress d'une vie quotidienne où le plaisir ne se partage plus suffisamment.
Si la voiture reste au garage, peu à peu, l'enfant entrera dans l'échange, chantera à son tour, et la petite cellule familiale entrera dans ce registre humain fondamental du chœur, moment fusionnel où une communauté se retrouve sur les mêmes airs, dans les mêmes paroles, dans un temps de plaisir partagé qui est une des définitions de la civilisation, du groupe, du collectif. On a là une clé de lecture du succès du film " Les choristes ", outres ses qualités intrinsèques. Dans une époque de lien social fragile, ce film a répondu à un problème bien réel. Que dire également des troisièmes mi-temps de rugby, où il s'agit d'abord et avant tout de chanter et rire ensemble. Idem dans les grands rassemblements sportifs, avec les risques que cela comporte quand ce fusionnel groupal n'est plus contenu, n'a plus de limites, comme toujours dans ces cas-là.
Répétons-le, cette compétence fusionnelle, contenante, nécessite elle-même un contenant, donc un tiers, pour exister, pour fonctionner dans une limite. Elle est alors, chez une mère suffisamment bonne, comme disait Winnicott, incroyablement profonde, demande une aptitude, une sensibilité, une attention, une intuition qui  englobe l'espace, tous les éléments matériels autour de l'enfant, qui  appréhende également tous les signes qui en émanent, pouvant témoigner soit d'un mal être, d'un problème, d'une difficulté, soit plus simplement d'un désir, d'une envie. Tout cela, pour être traité dans l'expérience de la mère, implique le souvenir conscient et inconscient qu'elle a de sa propre mère, de sa propre enfance, et se combine dans des transmissions féminines complexes où les grands-mères, les tantes, les soeurs, les amies, ont leur mot à dire. Tout ce monde féminin  participe à déchiffrer l'univers de l'enfant, l'entoure, l'aide à se construire. C'est une tâche tellement large, complexe, difficile, frustrante à certain moments où l'on donne longuement sans recevoir, que l'on voit mal comment les femmes souvent isolées de la société moderne, peuvent s'en sortir sans trop d'angoisse et de difficultés. Il s'agit réellement d'une entreprise nécessitant un "pool féminin" pour être menée à bien, étant donné sa complexité incroyable. L'envie, le plaisir et l'amour de cet environnement en facilitent le déroulement, grâce aux interactions qui vont immédiatement se développer chez un enfant structuré normalement . Mais cela reste d'une complexité infinie, aggravée par l'isolement urbain familial actuel. On pourrait d'ailleurs à ce propos multiplier dans les quartiers les maisons de la mère et de l'enfant, des lieux de rencontre, de réunions où les femmes peuvent parler entre elles de ce qu'elles vivent, de ce qu'elles font, échanger. Avec des moyens probablement limités je pense que cela permettrait de résoudre beaucoup de problèmes. Bien sûr ces maisons seraient des lieux de rencontre familiale, où les pères seraient évidements les biens venus. Mais elles seraient  quand même centrées sur la transmission féminine et maternelle . Les maisons Françoise Dolto ont cette fonction, probablement cependant trop centrée sur la psychanalyse…
 
Qui dit compétence fusionnelle dit aussi complexité maximum : les capacités fonctionnelles du cerveau féminin sont, on l'a vu, ainsi plus diffuses, plus larges que celles de l'homme, ce que montre l'imagerie neurologique actuelle. La femme associe beaucoup plus largement que l'homme, ce qui est nécessaire à la compétence fusionnelle de la maternité. Ainsi les évènements familiaux, environnementaux  sont-ils vécus par le féminin comme des variations de l'identité même, et à ce titre, ils risquent de développer des conflits ou des tensions, des remaniement dont la profondeur échappe parfois à l'homme qui ne comprend pas à quel point l' identité féminine est constituée au quotidien de tant d'objets internes ou externes
Ainsi le lien qu'elle peut avoir avec les objets est-il beaucoup plus constamment relié à sa complexité intérieure que chez l'homme, et l'on comprend que leurs changements l'affectent beaucoup plus profondément, beaucoup plus intérieurement,  engagent  beaucoup plus son identité, que ce qui peut (parfois!!) se passer pour un homme : Même s'il réagit de façon similaire, c'est d'une manière moins diffuse, moins intense, moins intériorisée et ubiquitaire.
Les réactions affectives, passionnelles, dépressives, enthousiastes du féminin sont, elles aussi beaucoup plus liées à l'extérieur. … La sensibilité féminine dont on parle souvent, est à mon avis la conséquence de cette plus grande mobilité du sentiment d'identité entre complexité interne et externe. D'ailleurs, les neurologues constatent que les femmes possèdent trois fois plus d'odorat que les hommes, sont dix fois plus sensibles au toucher (ce qui est d'ailleurs exploité par les industries minutieuses, électronique ou couture), ont une ouïe plus développée…
Les hommes, eux, sont plus souvent capables d'imaginer un monde interne séparé du monde externe, ce qui peut provenir d'un manque d'identité fusionnelle et aboutir, d'ailleurs, à un manque de sensibilité, de perception du liens entre les choses et les êtres.
 
 
Au fond l'on peut dire qu'en général les logiques subjectives de la femme sont beaucoup plus remaniables beaucoup plus souples, beaucoup plus mobiles, plus reliées à l'extérieur que les logiques subjectives masculines. Cela lui permet de fonctionner sans problème particulier, en profitant de leurs avantages matriciels, à la condition expresse d'accepter les limites, les frontières, consciente du devoir de s'y arrêter à certains moments. L'intervention du père, l'expression d'un désir inattendu, l'irruption d'un univers incompatible avec le féminin maternel prendront alors place dans le monde des logiques subjectives de l'enfant . Le masculin limite la projection narcissique de la mère.
Enfin, pourquoi fusionnel, et non matriciel? J'utilise plus volontiers ce premier terme, car il situe une frontière entre le normal et le pathologique, dans l'usage qui en est habituellement fait. C'est cette frontière que je met en question, en restaurant un usage positif de ce fusionnel, souhaitable, plus féminin, sans lequel l'humain n'accède pas à lui-même… Quant au terme de "matriciel", s'il suppose une "objectivité" de la mère, qui saurait ainsi être simplement réceptacle, sans se mêler narcissiquement à l'enfant, sans jamais être fusionnelle avec lui, si certaines femmes le soutiennent, c'est sans doute qu'elles ont un ancrage dans la castration extrêmement solide. Mais je doute cependant que cette "objectivité", cette séparation continue et certaine à l'enfant soit constamment de mise… Heureusement pour l'enfant, d'ailleurs.