Michel S Levy mslevy@laposte.net Merci de vos critiques et remarques


LE MASCULIN, ENTRE OBSESSION ET VIOLENCE

           







L’HOMME MONOLOGIQUE

Les spécificités du masculin sont nombreuses. Comme pour le chapitre précédent, elles ne peuvent se concevoir qu'en terme de moyenne, et non d'individu, où toutes les variations sont heureusement possibles. La plus importante de ces caractéristiques est la tendance à surinvestir une logique unitaire.
En bref, un homme, c'est un être qui habituellement s'intéresse soit au foot, soit à son travail, parfois aux deux, mais en tout cas passionnément. L'homme est l'être de la passion logique, de la passion d'une logique. Que ce soit la pêche à la mouche, l'invention d'un regard nouveau sur un domaine quel qu'il soit (par exemple la psychanalyse !), le désir de dominer un sujet, de réussir dans un cadre qui va de préférence se voir (mais pas forcément, heureusement), il s'agit d'une quête qui va le plus souvent impliquer une spécialisation qui devient souvent de plus en plus étroite au fur et à mesure qu'elle va s'approfondir.
Bernard de Palissy est un bon exemple de cette passion masculine, avec ses avantages et ses inconvénients. S'il manqua de ruiner sa famille et son mobilier dans sa recherche de la formule des émaux, il donna aussi une œuvre.
Les avancées seront à la mesure de l'énergie mise, mais l'identification à une cause unique posera des problèmes de contexte souvent considérables également. Ainsi, Bernard de Palissy appliqua la même obstination à la défense de sa foi protestante, en cette époque de révocation de l'édit de Nantes, et fini ses jours à la Bastille à près de 80 ans. Je ne mets aucun jugement de valeur, cela va de soi, à aucune de ces attitudes…
Nous pourrions prendre une infinité d'exemples de la sorte, Copernic et Galilée étant les plus universellement connus de ces hommes totalement identifiés à la logique qu’ils défendent. Ce dernier n’a cependant pas été rigide jusqu'à la mort, contrairement à Giordano Bruno.

Deux domaines très masculins, la science et la finance, font ainsi preuve de leur efficacité dans certains de leurs développement, mais aussi dans leurs effets de contexte inattendus lorsqu’ils sont trop obstinément suivis. Ainsi, la passion pour la science médicale, si elle permet des avancées incroyables dans bien des situations de souffrance physique, dérape largement actuellement vers une dé subjectivation de la souffrance psychique, réduite par beaucoup à un problème de dressage de molécule. Ou encore, les stratégies financières, dans leur penchant à considérer l'argent comme l’unique valeur (à tort, ce n' est qu'une mesure…), oublient ce qu'elles produisent ainsi, à savoir un monde irrespirable au propre comme au figuré, dans lequel toutes les autres valeurs sont mises à mal. Le mélange récent de la mathématique et de la finance ne fait qu'amplifier ce phénomène de vue trop étroite, avec ses conséquences souvent dramatiques.

Lorsqu'un homme créé obstinément une œuvre, l'ennui, c'est que souvent celle-ci lui échappe et ensuite parfois se retourne contre lui. Le mythe de Frankenstein, dans lequel un savant créé un être produit par sa logique, lequel devient ensuite un monstre, est une métaphore visionnaire de ces effets produits par la science que nous vivons actuellement.
Ainsi, lorsque l'homme produit, c'est la pauvreté relative de cette production en terme d'analyse de contexte qui amène éventuellement à un développement monstrueux de celle-ci.

C'est évidemment l'inverse dans la production féminine, qui donne plus souvent la priorité à l'ouverture, à la limite de son propre système  de pensée. C’est pour cela que les femmes sont plus souvent des accoucheuses de génies (Lou Andréa Salomé, Hannah Arendt, Georges Sand, et tant d’autres)  que l’inverse.   
Aussi, la tendance mono logique masculine est-elle un premier point qui peut s'apercevoir. Dit autrement, on comprend que l'homme est moins doué pour l'hétérologie. La tendance très masculine à la création de grands systèmes logique qui ont envahi la philosophie et la science se fait, au détriment de beaucoup d'autres éléments de la vie. Les exemples sont nombreux de grands créateurs qui sont par ailleurs en dehors de leur création, dans un désert relationnel et affectif. Que se soit Spinoza, Einstein, Kant,Rousseau, tous ces hommes géniaux n'ont pas hésité à sabrer dans leur vie affective de nombreux autres plaisirs de vie, de nombreuses autres logiques. Si pour mener à bien leur production en quelque sorte aveugle de ce point de vue,il leur faut sacrifier tout le reste, on tombe alors dans le risque spécifiquement masculin de retour du réel, qui, lui, reste hétérologue...
Il faut ajouter pour ce premier point que cette capacité hyper logique masculine présente évidemment des avantages considérables quant à l'exploration d'un point précis du monde. Cette ambition courageuse a permis, bien entendu, bien des avancés dans bien des domaines. Mais sur un mode qui manque parfois de souplesse, d'adaptation, de remise en question.
Nous avons vu dans le chapitre sur la féminité que le cerveau des hommes et des femmes étaient globalement différents. Il est clair que la spécialisation plus précise du cerveau masculin fait appel à moins de zones variées et en fin de compte est moins capable d'une intégration large et globale du vivant.  Par contre, rien de tel qu'un homme pour fonder un système comme celui de Lacan, de Freud, de Kant etc.. Cela marche très bien à ce niveau-là.
Si ces productions sont parfois monstrueuses, pour leurs auteurs et pour elles-mêmes, c'est donc qu'elles ne posent pas expressément la question de leurs propres limites, comme c’est évident pour l’œuvre de Lacan. Les écoles qui s’en réclament sont alors à leur tour victimes de ce problème de limite, et prennent parfois un aspect fermé qui ne rend pas service à la psychanalyse et à son ouverture, son renouvellement.
La tendance à un universalisme sans fin, fantasme d'un développement infini et d'une maîtrise mono logique du monde est donc souvent présente dans l'œuvre masculine. Bien entendu un tel mode de fonctionnement fait violence à toute ces autres logiques vivantes dans laquelle l'être humain s'inscrit, fait violence au renouvellement, fait violence à la transmission en tant que changement, fait violence à des capacités adaptatives, qui impliquent un changement parfois radical ou imprévu.

On retrouve alors la même frontière que dans la problématique féminine, entre l'adapté et le pathologique : c'est en connaissant les limites de son propre domaine qu'on l'exploite le mieux, qu'on utilise le mieux l'alliance avec le domaine voisin.


LA FORCE MASCULINE ET LA VIOLENCE.

On en arrive au deuxième point spécifiquement masculin, qui est précisément la difficulté particulière à choisir entre force et violence.

Il faut distinguer force, agressivité et violence. Chacune de ces trois caractéristiques présente ses avantages et ses inconvénients. Prenons la force par exemple. Elle est bien entendu, un élément fondamental de la construction physique et psychique. Ce n'est que récemment que les progrès techniques ont permis un nouvel équilibre entre les sexes dans ce domaine, encore que beaucoup de métiers sont encore largement répartis en raison de la force physique. Rare sont les artisans féminins, qui existent bien sûr, mais dans un fonctionnement qui est plus fatiguant pour elles que pour les hommes. On voit peu de femmes travailler en charpente métallique, sur les chantiers navals, en maçonnerie, dans le bâtiment et les travaux publiques d'une façon générale.

Mais cette force est aussi, on l'oublie trop souvent, une force psychique. Si l'homme est en général plus apte à investir dans une logique univoque, elle est parfois mise en l'œuvre pour l'ambition, la réussite, l'enrichissement, cause, quelle qu'elle soit, en tout cas unique et souvent étroite. Peu de femmes se disent autant intéressées que beaucoup d'hommes par ces dimensions, trop restreintes pour elles. Les hommes, dès lors, ont la voie libre pour les métiers à responsabilité, qui sont aussi le plus souvent des sacerdoces ou du moins des activités dévoreuses de temps. On trouvera toujours moins de femmes que d'hommes prêtes à sacrifier la vie de famille, l'investissement aux enfants, pour une cause unique, professionnelle ou autre,  et toujours moins d'hommes sacrifiant volontiers une réussite sociale, professionnelle, médiatique, au profit de leurs enfants et épouses. Ce n'est pas simplement, comme on le lit souvent, une inégalité scandaleuse qui crée cet état de fait, c'est aussi ainsi que se répartissent les intérêts profonds des uns et des autres. On pourrait d'ailleurs tout autant crier au scandale en constatant que tant d'hommes sont, de part leur surinvestissement au travail, trop absents de leurs familles. Si on cherche des victimes de ces différences, elles sont des deux côtés. Les femmes seraient, de ce point de vue, victimes de discriminations professionnelles, les hommes de discriminations familiales…
En réalité, avantages et inconvénients se côtoient : les hommes sont capables de réalisations impressionnantes, d'œuvres gigantesques, peuvent détourner le cours des fleuves, percer les montagnes, explorer la lune, se battre pour de bonnes ou de mauvaises causes jusqu'au bout de leur vie, tutoyer les mythes en fait… Nous y reviendrons avec l'écrit masculin par excellence, le texte d'Elie Faure, La Sainte Face.

Alors il est clair que cette force est dévoyée lorsque elle devient un instrument de supériorité et si on parle à juste titre des femmes battues, victimes de violences masculines, on parle moins souvent des hommes victimes de leur propre violence. C'est pourtant une évidence qu'un homme qui obtient gain de cause par la force, s'expose toujours à un retour du réel d'autant plus problématique que l'obstacle ainsi différé n'est pas réglé, ses effets s'accumulant. Un homme qui utilise sa force, logique ou physique, jusqu'à la violence valide ses propres bêtises dans une course sans fin qui généralement vient buter sur le réel.

On voit, au passage, une des définitions de la limite entre force et violence. Elle vire à cette dernière lorsque elle ne s'adapte plus à son objet. Et, puisque la limite entre force et violence dépend constamment du contexte et du réel, on conçoit qu'un être porteur de cette force sera parfois inévitablement violent. Ce n'est qu'après coup que l'adaptation pourra éventuellement se faire si la souplesse psychique est suffisante. S'il faut de la force pour courber un arc, pour monter une entreprise, inévitablement, de temps à autre, tel arc cassera, telle entreprise dérapera, ce qui ne met pas en cause fondamentalement la force en question.
Une des limites de la force de l'homme est sa propre violence, qui vient se montrer à certaines occasions, inévitablement. La force physique, la force logique de l'homme, l'amènerons à des violences de rencontre, lorsque la réalité des autres humains, la réalité du monde fera obstacle à cette énergie. Plus vite l'homme sera capable d'adaptation et d'intelligence, et plus vite il reprendra simplement l'exercice de sa force mais plus adaptée, plus changeante, plus variée, sortant dès lors de la violence. Il faudra laisser de coté le monologisme qui est le vrai pourvoyeur du symptôme et de la violence. Laquelle n'est donc qu'une force sortie de son contexte... C'est l'erreur la plus courante de l'homme.

On le voit bien dans la clinique de l’hyperactivité de l’enfant, 4 garçons pour une fille, lesquels sont habitués à ce que leur force pulsionnelle emporte la décision à la maison. Dans un autre contexte, soit que la frustration apparaisse à la maison, soit qu'elle vienne de l'extérieur, elle virera à la violence, faute d'adaptation à la nouvelle situation. Leur force pulsionnelle n’ayant pas rencontré de limite chez eux, elle ne peut s’adapter, se canaliser. Lorsque ces limites pourront à nouveau s’imposer, calmement et constamment, l'enfant s’adaptera vite, surtout s’il est jeune, à un nouveau cadre, en fait rassurant pour lui. S’il est plus âgé, cela prendra plus de temps. 90% des prescriptions de ritaline seraient ainsi évitées. Mais il faudrait pour cela que la neuro pédiatrie cesse de supprimer la pédo psychiatrie…   

A propos de cette hyperactivité chez l’enfant, la force physique, psychique, vocale des père, va largement aider dans l'éducation des enfants, participant à canaliser la toute puissance naturelle vers un investissement plus socialisé, plus culturel, tenant compte de l'autre. Que les tenants de l’origine biologique de l’hyperactivité expliquent pourquoi elle est plus fréquente dans les familles monoparentales  ? Encore faut-il, pour cela, que cette force  paternelle reste juste et adaptée, de façon à pouvoir rester comprise de l'enfant ( je ne dis pas expliquée…). Sinon, se transformant en violence, voici la force de l’autorité inconsciemment refusée par lui, avec bien des conséquences psychiques à venir…
Si on a fait une chanson sur le fait qu'une femme puisse élever son enfant toute seule, les statistiques de la psychiatrie de l'enfant sont plus prudentes sur ce point. Je ne connais pas de travail sur les pères qui élèvent seuls leur enfant, mais je pense que là aussi, les troubles doivent exister : manquera à l'enfant tous les éléments qu'une femme peut amener, dont j'ai parlé au chapitre précédent. Ce ne sont pas les mêmes problèmes, simplement.


Violence et orgasme.

Le psychanalyste, ainsi que la littérature, la poésie ou le cinéma, mettent souvent la violence du côté de l'orgasme et de la jouissance, ce qui est parfois vrai, mais seulement parfois.

Souvent, elle est à mon avis tout à fait autre chose, à savoir le mécanisme fondamental du délire.
La violence tient en ceci qu'un système ne va plus fonctionner que par lui même, dans ses propres buts, dans ses propres finalités, à l'exclusion de toute démarche de dialogue avec le réel. A ce moment là d'ailleurs, dans la lecture propre du sujet, elle est vérité simplement, soit ce qui le soutient, ce sans quoi il s’écroule. Interdire simplement la violence n’a ainsi aucun sens, si une inscription nouvelle n’est pas proposée ou possible pour le sujet. Nous avons vu ailleurs que cette inscription passe par de nouvelles logiques subjectives, c’est à dire par des dialogues investis et structurants pour les deux interlocuteurs. On sort de la violence en s’engageant avec l’autre, en le prenant avec soi, dans une alliance.

Selon la thermodynamique, chaque système organisé a tendance à se maintenir un niveau de fonctionnement d'énergie globale minimum. La violence est alors inscrite dans la dynamique de tout système isolé, ou qui s'isole, dès lors qu'il est soumis à une perturbation que le dérange. Voilà qui est tout simplement une définition de la toute puissance enfantine, la violence n'en étant que la trace.
Lorsque les bienfaits de la castration, du dialogue avec l'autre et le réel, ne sont pas passés par là, lorsque ces bienfaits de l'alliance, lorsque le plaisir d'être à plusieurs, qui lui peut éventuellement faire orgasme à l’occasion, est plus fort que celui d’être seul à consommer le monde, lorsque tout cela n'est pas en place, la violence se déchaîne. L’orgasme, lorsqu’il est bien posé, est seulement le plaisir violent de construire au-delà de soi… La sexualité fait violence, thermodynamiquement, au simple plaisir d’être soi, à travers l’orgasme…
Cette violence est donc à l'origine en chacun de nous, n'est jamais seulement du côté de l'autre. Le monstre est tapi au plus profond de nous, dans cette tentation de tout système vivant à fonctionner pour lui-même quand une rencontre fait trop fortement obstacle à un minimum d'harmonie entre lui et le monde. Le mécanisme fondamental en est le refus du dialogue, mécanisme commun entre le délire et la violence.
Construire ensemble est autrement difficile mais aussi autrement intéressant que d’imposer sa vérité, cela, les hommes l’oublient parfois.

L'homme est au prise avec ce problème, plus que la femme, dans la mesure ou le lien entre cette toute puissance enfantine et la monologie pour laquelle il est équipé neurologiquement peut se faire trop facilement. L'influence des hormones spécifiquement masculines ajoute alors l'agressivité biologique à cette tentation universelle de la violence.    


FORCE ET AGRESSIVITE

Elle se différentie de la force par le fait qu'elle se dirige contre les êtres vivants, qu'elle commande de vaincre. Alors que la force existe face au réel tout simplement, respectant beaucoup mieux le vivant. Je ne parle pas d'agressivité face au réel, mais de force, de courage, d’obstination.
Pour l'agressivité, nous sommes là dans le domaine instinctuel. Bien entendu, je suppose que l'instinct existe chez l'homme. Il serait absurde de penser qu’il est présent chez l'ensemble des animaux complexes et qu'il serait absent pour nous. Je n'y crois pas une seconde, même si bien entendu, l'instinct chez l'homme se complique largement d'intelligence, y est largement soumis. Aussi le domaine de l'agressivité lié aux hormones, bien documenté biologiquement, recouvre-t-il celui de l'instinct, dont le lien aux effets hormonaux est prouvé chez l'animal. Le rôle ancestral dans la défense et de l'attaque plus spécifiquement dévolu à l'homme en raison de sa force, est là, bien entendu, présent. Puisque nous ne sommes sortis des cavernes qu'il y a dix mille ans, rappelons que c'est un laps de temps fort court, il convient de s'en rappeler. Cette agressivité, utile au niveau du sport actuellement, et pour lequel on peut soutenir qu'il est une adaptation darwinienne de l’agressivité de l'espèce à la complexité sociale, pouvait encore servir, il y a encore très peu de temps dans des circonstances ou la lutte face au réel était difficile, demandait beaucoup d'énergie.
 
Actuellement, tout dépend de la cause à laquelle cette agressivité est associée, pouvant générer le meilleur comme le pire. Il est bien évident que l'exercice quotidien de la police, des forces de l'ordre ne serait absolument pas possible sans une certaine agressivité. Par exemple pour gérer un effet de foule. Elle perd sa crédibilité cependant quand cette agressivité, cessant d’être mesurée au plus juste, n'est plus au service de la légalité.
Elle est, en tout cas, parfois utile pour faire aboutir un projet, quel qu'il soit, parfois pour convaincre.
Les hommes sont ainsi par nature plus adaptés que les femmes à exercer cette agressivité, parfois au service de la force. Le langage sportif abonde ainsi de métaphores guerrières, dont l’abus est tout de même souvent gênant…
Il va de soit que le sport n’est pas pour autant « masculin », et mon idée n’est pas de réserver aux hommes le plaisir du sport, de la compétition. Le sport véhicule bien d’autres valeurs qui sont simplement humaines, et en aucun cas sexuées. Le goût du collectif, l’apprentissage de l'application, le plaisir du beau geste, du résultat après l’effort, tout cela est simplement humain. Mais il en est aussi une part, importante  qui a trait au masculin, ces deux qualités de force et d'agressivité étant parfaitement visibles dans tout le monde sportif.
Ainsi un sportif qui serait trop touché par la souffrance psychologique d’un adversaire en train de perdre serait en difficulté pour l’emporter! Dans ces moments précis, l’agressivité n’est pas inutile pour finalement emporter la partie. Il en est de même dans le domaine politique et économique, afin d’aller au bout de certaines responsabilités. Mais on voit que le dérapage est vite présent, des conséquences inattendues pouvant être déniées au motif de cette agressivité même, puisque ce n’est pas une qualité qui favorise l’autocritique…

Donc, là encore, cette agressivité masculine, ne trouvera sa véritable validité que dans ses limites, si elle reste située dans le registre le plus profond de la subjectivité humaine. Il n'est pas gênant de parler d'une agressivité essentielle, biologique et culturelle, chez l'homme dans la mesure ou celle ci reste soumise à la subjectivité subtile de l'humain, soumise à la loi. Mais il est dans sa nature même de déborder si le cadre s’y prête, si la pression déborde… Ainsi, le sport peut-être le plus violent qui soit, le hockey sur glace, a-t-il des règles qui englobent les débordements violents des joueurs, inévitables dans la suite immédiate de la violence des chocs, liée à la vitesse.

Mais l'important dans cette place que prend le sport dans le monde masculin, est d’apercevoir deux plans différents :
-ce sont des données instinctuelles, narcissiques, qui sont élaborées, travaillées dans une part de l'activité sportive masculines et qui sont un exutoire souvent nécessaire. Les femmes ont moins souvent « besoin » de faire du sport à la façon des hommes.
-Mais aussi, ces mêmes qualités masculines n'ont évidemment pratiquement plus cours dans l'exercice quotidien de la citoyenneté, en dehors de cette pratique sportive.
La conséquence est qu’on les retrouve « déplacées » dans toutes les dynamiques de groupes, les institutions quelles qu’elles soient, et dans que l'on appelle banalement les problématiques de pouvoir et de rivalité, qui sont en fait des avatars de ces mêmes passions masculines de force et d’agressivité glorifiées dans le sport.


Ces qualités masculines de résistance et de passion, indispensables pour faire aboutir des projets difficiles, sont, parfois, l'instant d'après, aveuglantes dans leur force même et peuvent ainsi mener à des catastrophes par le manque de remise en question et de limite dont elles font alors preuve.

Ainsi la problématique masculine présente ce point commun fondamental avec les éléments féminins que nous avons étudiés précédemment, de n'avoir une validité humaine et subjective profonde qu'en fonction de ses propres limites. Là encore, force, violence et agressivité n'ont de sens que bornés par une sensibilité, une ouverture, une capacité de changement qui sont plus spécifiquement féminines.
L'homme qui se passe des conseils de la femme ou la femme qui se passe des conseils de l'homme va ainsi vite à une catastrophe liée au déchaînement de qualités particulières qui se dénaturent sans le bornage, la limite que représentent l'autre, et singulièrement l’autre sexe.


L’HOMME ET LA GUERRE

C’est la raison principale pour laquelle la grande affaire de l’homme, laissé à lui-même, c’est la guerre. Elle est le plus souvent un exercice de vérité absolu, dans lequel chaque partie est persuadée d’être dans le vrai, soit par rapport à des valeurs morales (c’est rare ) soit en raison de la notion d’intérêt vital de l’état.  Que ce soit au nom de l’un ou de l’autre, si la place faite à l’autre, l’autre morale, l’autre pays, n’est pas suffisamment engagée dans le dialogue, le commerce, l’échange, bref, le respect et l’intérêt mutuel, le risque de guerre avance, comme deux vérités qui s’affrontent au lieu de se limiter l’une par l’autre. Là encore, un défaut d’hétérologie crée le problème. Le seul véritable intérêt supérieur de la nation est la reconnaissance de l’intérêt supérieur des autres nations également. Cela seul évite ou diffère la guerre entre états…
La guerre est donc la violence sociale des chefs. Comme ce sont le plus souvent des hommes, les plus faibles d’entre eux (c’est à dire ceux qui se croient les plus forts) tombe dans le travers guerrier de la masculinité, suréquipée pour l’hégémonie de sa pauvre logique propre.
La violence sociale des peuples s’appelle la révolte, la révolution, l’émeute. Les hommes sont alors en masse dans les rues, pour combattre. Lorsque manquent les raisons de vivre (respect de soi et de l’autre, lien social respectueux, objectifs de vie inscrits dans une transmission familiale et sociale), la révolution, surtout masculine, se fait pour… une justice nouvelle, et recrée alors un mythe, ce dont l’homme a plus besoin que de la vie elle-même. Il est vrai que mythe et justice sont liés, de tous temps et en tous lieux. Ce qu’on appelle le droit n’est qu’un récit d’épopées et de conquêtes, dont il faut reconstituer les images à travers l’aridité d’un texte qui se veut le plus neutre possible (justement pour faire semblant d’être objectif, aussi objectif que la raison froide…). Notons que mythe et justice sont des corpus le plus souvent monologiques, clos sur eux-mêmes, et par là souvent masculins, même s’ils façonnent l’humain en général…
Un livre décrit remarquablement cela, à travers le témoignage d’une époque où l’épopée guerrière était encore de mise dans l’opinion. Elie Faure, l’auteur d’une célèbre Histoire de l’art, a également rendu compte de son expérience de médecin militaire pendant la guerre de 1914. Ce témoignage s’appelle La sainte face . La préface même en indique l’inaudible : « Aux soldats qui ont vécus sous le fer, respiré le feu, marché dans le sang, dormi dans l’eau, je donne ce livre cruel, pour qu’ils le brûlent. »
L’idée primordiale de ce texte est donc que l’homme ne peut se passer de mythe pour vivre, la guerre en étant un des principal pourvoyeur.  Quelques extraits :
J'ai assisté à la genèse d'un Mythe. C'est fort simple. Il est bien évident qu'Oedipe est grand dans l'imagination des hommes, parce qu'on leur a d'abord dit que des milliers de sages, avant Oedipe, ont fui dès qu'ils ont vu le sphinx, ou, pour n'avoir pas résolu l'énigme posée par le monstre, se sont laissé déchirer par ses griffes en appelant au se¬cours. Et les Thébains se sentent grands, parce qu'Oedipe est roi de Thèbes. Il est bien évident que si le premier chasseur venu avait coupé les sept têtes de l'hydre dont la gueule vomissait des flammes, assommé le lion qui dévastait les bois ou étouffé entre ses bras le géant qui mangeait de la chair humaine, Hercule n'aurait pas passé aux yeux des hommes pour un être fabuleux. Et les Grecs se sentent grands, parce qu'Hercule est pa¬tron de la Grèce. Pour grandir le héros - si le héros est de chez lui - l'homme grandit le péril, lui impose une forme surnaturelle, par là se gran¬dit lui-même, devient à ses propres yeux surhu¬main et, du même coup, sent le péril futur se proportionner à sa taille. Mais gare à la tribu qui n’a pas vu naître le Mythe, surtout si c'est la tribu d'à côté. De celle-là étaient certainement les sages insuffisants qui n'ont pas affronté le sphinx ou les guerriers pusillanimes qui ont fui devant l'hydre, ou le géant, ou le lion.
Le besoin que l'homme a du Mythe, et d'un Mythe particulier qui le grandisse, ou l'excuse, ou le justifie en abaissant le voisin, donne au Mythe une irrésistible puissance, parce que ceux qui le propagent désirent qu'il soit vrai, et le croient. Ne doutez point de l'existence de l'idole, vous qui sou¬riez. Tous l'ont vue et d'ailleurs ils ne mentent pas, puisque ce sont eux qui l'ont faite. Ils se la décrivent les uns aux autres avec une sorte d'ivresse émerveillée et fanatique. Elle prend à leurs yeux des proportions grandioses, son visage se précise, forme bientôt un bloc parfait, chacun y ajoutant, dans le détail, la couleur ou la nuance de sa vision personnelle. Et si vous ne l'apercevez pas très bien, c'est un péché. « L'opinion est unanime ! » Juste¬ment...

[…..]
Voilà ce que j'ai vu. Voilà ce que dix millions de vivants ont vu. Voilà ce que, depuis cent siècles, des milliards de morts ont vu. Pourtant la guerre persiste.
Une formidable illusion précède la guerre, dans l'imagination des hommes. Et rien n'indique que cette illusion soit sur le point de finir. Elle est, comme toutes les illusions, sans doute, une intuition mys¬tique des moyens par lesquels l'ensemble des hom¬mes, rendus pour une heure aux mouvements obscurs des régions les plus inconscientes et les plus permanentes de l'être, se précipitent dans la mort pour accroître le domaine moral de ceux qui vien¬dront après eux. Ceux qui sont, parmi les hommes, les plus conscients et les plus nobles, proclament l'horreur de la guerre. Cependant les hommes la font. Et quand les hommes font la guerre, les plus conscients et les plus nobles se jettent au premier rang .
J'ai vu cette tombe, rouge et noire, au bord du chemin. J'ai vu détruire en une heure ce que dix générations ne suffisent pas à bâtir, puisque tout ce qui est plonge ses racines vivantes dans les plus lointaines profondeurs de l'humus engraissé de morts. J'ai vu l'homme se ruer sur l'homme sans haine,car la colère qui se déchaîne dans un peuple au moment où il va lutter - elle ressemble à de l’amour, tous chantent en se donnant la main, - n’est pas de la haine puisque le soldat sanglant berce entre ses bras son ennemi dès qu'il le voit saigner et qu'il l'entend gémir. J'ai vu ces cadavres aban¬donnés sur les routes comme des charognes de bêtes alors qu'au temps de la paix dans les cœurs et les campagnes chacun d'eux eût été confié à la terre, entouré de fleurs et de cierges, au milieu du respect affecté et de l'indifférence de tous. Et désor¬mais chacun de ces morts laissés sous la pluie et tous ensemble seront, dans les profondeurs les plus vives de la souffrance et de l'amour, divinisés.
Ainsi l'homme tue, dans la guerre, alors que, dans la paix, il lui est défendu de tuer. Et s'il a tué dans la guerre il est un saint, alors qu'il est un monstre s'il a tué dans la paix. Et s'il a tué dans la guerre, mort ou vivant, on le couronne de chêne,alors qu'on lui coupe le cou s'il a tué dans la paix. C'est que, s'il a tué dans la guerre, c'est en comm¬union avec ceux qui marchent à côté de lui. C'est qu’il n'a pas tué pour tuer ou pour accroître son tas d'or, se jetant hors des vivants pour se mettre un peu plus haut qu'eux.

(…..)


Tais-toi. Ne juge pas la guerre. Ne juge surtout pas ceux qui sont à la guerre. Eux seuls pourront parler, s'ils en reviennent, ou leurs mères, s'ils n'en reviennent pas. Mais leurs mères ne diront rien. Et quant à ceux d'entre eux qui parleront, ce sera, s'ils te méprisent, pour t'ordonner de te taire, ou s'ils sont semblables à toi pour devenir tes élus, ou tes électeurs.
Écoute. Ou plutôt bouche tes oreilles. Le destin de l'homme est terrible. Son ombre s'allonge sur la route à mesure que la lumière monte en lui. Et cette lumière éclaire uniquement cette ombre. Et quand il veut saisir cette ombre, ses bras n'étreignent rien. Tu ne comprends pas? Je t'approuve. Juge et condamne, puisque tu n'es bon qu'à cela.

(….)


Les littérateurs se mentent à eux-mêmes ou mentent sur la guerre, soit pour l'exalter, soit pour la flétrir, aucun n'a la loyauté ou le courage de se placer en plein centre du drame et de rechercher passionnément le sens qu'il peut bien avoir, car les littérateurs, plus que les autres hommes même, ont horreur de la vérité. S'il y a une littérature de guerre, elle est comme la guerre même, profondé¬ment silencieuse, et se recueille dans les cœurs avant de féconder les cerveaux. Ainsi le drame de théâtre et de cinéma se distingue, par le bruit qu'il fait dans les journaux, de la tragédie permanente qui se déroule à l'intérieur des êtres.
La guerre est un poème collectif dont les réa¬lités profondes ne sont point exprimables, mais dont le sang des hommes est la matière et qui cherche ses artistes dans le domaine de l'action. Celui qui aime ou qui a faim peut organiser la faim et l'amour en poème, parce qu'il est tout entier le théâtre du drame auquel l'univers ne par¬ticipe que par les échos qu'il y projette incessam¬ment. Mais hors du sentiment d'horreur ou d'en¬thousiasme qu'elle peut imposer à l'homme, la guerre demeure comme un phénomène plus vaste où tous les hommes participent et qu'un grand initié seul, une fois tous les dix siècles, pourra peut-être expliquer. J'excuse les écrivains qui ne sont pas plus grands dans la guerre que dans la paix. La grandeur, dans la guerre, est en ceux qui ont la force de commander ou de souffrir.

La destinée de l’homme a ceci de spécifique : la force qu’il met à défricher le réel, lorsqu’il en est besoin, est la même que celle qu’il emploie à l’abîmer…
Mais le sens de l’histoire d’Elie Faure lui fait in fine espérer autre chose que la guerre :

Tant de sang pourtant! L'homme oublie. Qu'est sa mémoire, quand son désir fixe un objet? La mémoire dose la mort. Le désir s'applique à la vie. Même au cours de l'expérience, l'expérience n'ap¬prend rien à qui la voit en spectateur. Depuis que la guerre, destinée, par son horreur, à tuer la guerre, a commencé, quatre ou cinq peuples nouveaux se sont rués dans la guerre. L'homme oublie. Mais la femme? La femme n'oublie pas, elle ! Que seule¬ment la femme vote, et la guerre finira. La femme votera.


L’intuition forte d’Elie Faure rejoint la thèse ici développée : lorsque la femme borne le pouvoir de l’homme, quelque chose de plus intelligent advient, qui pourra peut-être limiter le recours à la guerre. Cela n’est pas pour autant l’idée absurde d’une supériorité féminine, mais seulement constat que chacun a fort intérêt à accepter la limite que représente l’autre…


CONSEQUENCES CLINIQUES DE LA MASCULINITE


OBSESSION

Tout ceci peut bien entendu avoir des développements psychopathologiques dans les familles. Ainsi, la névrose obsessionnelle dans sa genèse, s'accompagne généralement d’une configuration familiale particulière. C’est souvent une figure paternelle rigide et aimée à la fois, un père  pris une logique monomorphe qui s'applique sans nuance à tous les membres de la famille, ne tenant pas compte des limites représentées par chacun des autres. Dans mon expérience d'antécédent familiaux des obsessionnels, manquait rarement la présence de ce père si particulier. Un tel système de vie, avec des représentations extrêmement rigoureuses, parfois à la limite du monde paranoïaque et en tout cas avec des traits de rigidité psychique très nets, s’applique sans nuance, avec force, sans limite. A côté, est présente une mère très effacée, voire profitant inconsciemment de l'envahissement de son conjoint pour conforter une pseudo déficience, en tout cas une impossibilité de gérer sa subjectivité, de prendre ses risques de sujet. Ce sont des figures maternelles souvent un peu enfantine qui en restent à un statut d'obéissance envers leur conjoint, comme elles l'ont toujours vécu dans leur propre famille.
Aussi le rapport entre la figure aimée d’un père rigide et l’obsession chez l'enfant est-il clair. Par ailleurs, ces pères sont dans un réel soucis de transmission, ils ont absolument envie de faire passer leurs valeurs, mais ils le font d'une façon très écrasante, justement avec violence et agressivité, mettant l'enfant dans une ambivalence profonde et pouvant générer, si le sujet s’y prête, un trouble obsessionnel sont tout à fait manifeste. Le roman familial est en effet tout à la fois fusionnel et écrasant, générateur de traits névrotiques, voire psychotiques si ces logiques subjectives sont trop lourdement univoques. La célèbre lettre au père de Kafka montre magnifiquement un de ces portraits de père que brosse le trait obsessionnel. Dans la traduction de l’allemand de Monique Laederach (Fayard 2003).

Je ne peux pas me souvenir que tu m'aies insulté personnellement, avec des insultes explicites. Il faut dire que ce n'était pas nécessaire, tu avais tant d'autres moyens, et d'ailleurs, dans les conversations chez nous, et surtout au commerce, les insultes crépitaient autour de moi en telles masses que, petit garçon, j'en étais tout abasourdi, n'ayant aucune possibilité de ne pas me sentir visé par elles, car les gens que tu insultais n'étaient sûrement pas plus détestables que moi, et tu n'étais sûrement pas plus insatisfait d'eux que de moi. Et là encore, on retrouvait ton incompréhensible innocence et ton inaccessibilité, tu crachais des insultes sans te poser aucune question à ce sujet, alors que tu condamnais les insultes chez les autres, les leur interdisant.
Sur ce déchaînement se greffaient tes menaces, et là, j'étais visé. Terrifiant, ce " je vais t'écrabouiller comme un poisson " l'était pour moi, même si je savais que rien de tragique n'allait s'ensuivre (quand j'étais très petit, en revanche, je ne le savais pas ), mais selon la conviction que j'avais de tes pouvoirs, tu aurais pu en être capable. Terrifiant aussi lorsque tu bondissais en hurlant autour de la table pour nous attraper, ne cherchant sans doute pas à le faire, mais faisant comme si, et c'est notre mère en fait qui paraissait nous sauver. Une fois de plus, semblait-il à l'enfant, on avait sauvé sa vie par ta miséricorde et on l'emportait comme une grâce imméritée de ta part

Monique Laederach commente ainsi, en postface, ce texte :

A chacun des cercles concentriques, Franz Kafka finit par buter contre la même évidence: pour avancer vers lui-même, voire pour se libérer, il devrait pouvoir accuser librement son père; il devrait donc le déclarer coupable et, symboliquement, le tuer. Mais là, incapable de prendre la place du père (de le devenir) il régresse d'un cran, affirmant une fois de plus que ce n'est pas la faute du père, qu'il n'est coupable de rien.
Un mouvement d'avance et de recul qui est également la forme des phrases kafkaïennes.
C'est ainsi que La Lettre raconte en fait inlassablement, selon tous les éclairages possibles, la violence meurtrière en cours sans qu'elle aboutisse jamais. Mais c'est ainsi également que s'annonce le suicide psychosomatique de Kafka: il renonce au mariage, puisque être père n'est pas possible sans meurtre.


PSYCHOPATHIE

Si l’obsessionnel a souvent à voir avec ce dérapage de valeurs masculines dévoyées, sans limites, sans contexte régulateur, le trait psychique de la psychopathie en est une autre illustration : il suffit que l’écrasement paternel s’accompagne de moins d’amour, d’un lien moins fusionnel que dans le cas de l’obsession, et la force masculine est alors livrée à elle-même, sans la canalisation de l’identification positive au père.
Force et violence se confondent alors, l’agressivité se dégage de toute construction, efface la volonté. Le désir de vie cède vite la place à une jouissance explosive et destructrice. Le temps devient l’instant.
Ainsi, Bukowski pouvait soutenir : « J’ai un projet : devenir fou ! ». Le temps, dans cette proposition, s’abolit devant le simple plaisir de l’instant, quel qu’en soit le prix à payer. Pour être plus précis, les règles sociales sont réduites au minimum, afin de prolonger l’évitement d’une transmission vécue comme totalement destructrice, à l’image du père de l’écrivain, alcoolique autrement plus violent que Bukowski  lui-même.
La différence entre le trait obsessionnel et le trait psychopathe tient d’ailleurs en cette anecdote : si Bukowski, au retour d’une cuite, à 15 ans, se fait à nouveau injurier, puis frapper par son père, cette fois, il répliqua, et le mis KO pour le compte… Jamais Kafka ne pu faire une chose pareille. Impossibilité du conflit, ici, jouissance excessive de l’affrontement là, et on comprend mieux la genèse d’un excès de pensée dans un cas, d’un excès d’acte dans l’autre…
Bien entendu, le rôle de tiers de la mère ne fut pas tenu, ni dans un cas, ni dans l’autre.

Cette configuration peut être complètement imaginaire, ce qui est frappant dans les nombreux cas d’enfants élevés par une mère isolée. C’est alors une figure de père parfois crée par la mère qui est en cause, figure souvent persécutrice, violente, à laquelle l’enfant s’identifie. Notons que c’est la clé de bien des échecs institutionnels, pour autant que ce fantasme maternel est bien souvent partagé par les soignants. Le jour où est restauré avec l’enfant ou l’adolescent la complexité de son père, quels que soient ses actes réels ou supposés, un chemin redevient possible du côté d’une identification masculine positive. Contrairement à ce que soutenait Lacan, la fonction paternelle n’est pas que symbolique, elle a à voir avec le père réel, voire le père biologique. J’y reviendrais dans un travail sur l’adoption. Le peu de respect que l’enfant constate autour de la figure de son père réel, de celui qui est responsable du concret de sa chair, avec son histoire, son intelligence, car la chair aussi a une histoire culturelle, a presque toujours un effet de retour. Celui-ci peut être psychopathique, pour peu que la toute puissance non canalisée de l’enfant se mette au service de la vengeance d’un sabotage, celui de la lignée paternelle… C’est toute la recherche de Sartre dans Saint genet, comédien et martyr.
L’absence de canalisation de cette force masculine par des parents suffisamment bons, comme disait Winnicott, est une configuration familiale qui met ainsi parfois l’enfant dans la position de confondre désir et pulsion. Sublimation, envie de connaître, désir d’apprendre, de se réaliser avec et parmi le savoir des autres hommes vont alors laisser la place à l’exercice d’une jouissance pulsionnelle pure, qui résonne avec l’équipement biologique de l’homme pour la force : plus nombreux sont les petits garçons qui vont s’y laisser prendre que les petites filles…
C’est en raison des caractères propres du tempérament masculin que la psychopathie est plutôt à domination masculine. Il est plus facile d’écraser l’autre si l’on ne se réfère qu’à une logique monomorphe, trait plutôt masculin, qui concerne donc plutôt les pères, et pèse donc plus lourdement sur les fils.


Conclusion

Comme les femmes, les hommes sont parfois victimes de ce qui fait leur différence. Notons, par exemple, qu’aucune étude n’existe sur le devenir des hommes violents.. Je soupçonne pourtant, il vaut bien le dire sans preuve statistique pour le moment, que la mort soit aussi présente pour eux que pour leurs victimes, sous forme d’accidents ou de suite de toxicomanie alcoolique ou autres suicides. De fait, on sait seulement que dans les grands pays occidentaux, les hommes se suicident deux à trois fois plus souvent que les femmes, même si ces dernières font plus de tentatives… Les hommes ont donc les faiblesses de leurs forces, comme les femmes, même si elles s’expriment bien différemment.
Au terme de ces deux chapitres sur une clinique sexuée, qu’a-t-on appris ? C’est qu’il faut beaucoup d’humilité pour se connaître, beaucoup de liens humains pour se retrouver, et sans doute aussi que le plaisir de l’autre est la valeur la plus fondamentale pour transmettre quelque chose d’humain, à condition que ce plaisir soit aussi celui de reconnaître et donc remanier sans cesse ses propres limites.
Mais terminons par un point commun, c’est le moins..
Il faut bien, pour l’homme comme pour la femme, que le prix à payer pour entrer dans le champ familial, culturel et social ne soit pas exorbitant pour qu’une castration, dans les deux sexes, ouvre le chemin de la transmission symbolique.