Derrière l’apport d’un groupe Balint à une pratique clinique se profilent plusieurs plans qui tous participent à la réussite de ce processus.
 
 
Le groupe comme soutien.
 
Etre soutenu, conforté, approuvé par un groupe est à la fois souvent nécessaire, mais aussi parfois risqué : Groucho Marx disait qu’il n’accepterait jamais de participer à un groupe qui voudrait de lui comme membre !
On ne peut mieux dire le paradoxe qui existe constamment entre le désir bien humain d’être conforté par un groupe avec l’aspect narcissique, moral, surmoïque qui y est lié, et d’autre part  l’envie non moins licite d’être et de rester soi-même. Ces deux aspects sont à la fois interdépendants et autonomes. Impossible pour l’être humain de se découvrir sans les autres, impossible aussi d’être vraiment lui-même sans certains conflits avec les autres.
Ce paradoxe, qui n’est pas évitable, lorsqu’il est accepté et compris par le leader, autorise la tolérance et la gentillesse dans le fonctionnement du groupe, sans chercher à réduire trop rigoureusement ce qui semble échapper aux règles. Ces dernières ont aussi à rester en dialogue avec ce qui les bouscule, au lieu de s’affirmer trop aveuglément. Une règle qu’on impose est souvent une règle qu’on ne peut expliquer... La fermeté ne peut exclure le dialogue, ce qui implique alors  que le leader et le groupe s’expose à entendre ce qu’ils n’imaginaient pas, et n’auraient pas écouté si trop de fermeté avait été employée. Il est des cas où la fermeté est aussi fermeture...
Le conflit, lorsqu’il est entendu ainsi, devient beaucoup moins violent dans la tête de chacun, puisqu’il témoigne alors d’un processus salutaire de différenciation, et de partage d’histoires plus justes et plus profondes.
Ainsi, si le groupe a une fonction matricielle, d'étayage, de soutien, il ne faut jamais oublier que c'est parfois au prix d'un consensus qui peut vite peser sur l'inventivité, le risque que chacun peut prendre pour rester lui-même face aux autres et au groupe.
Un exemple rapide de ce processus contradictoire : dans un groupe éphémère, un participant leader témoigne d'une difficulté avec un de ses groupe, dans lequel un membre prend une place parfois envahissante, rendant un peu difficile un fonctionnement fluide de ce groupe. Il se trouve que ce membre est aussi l'invitant, puisque cela se passe sur son lieu de travail. La discussion s'ouvre alors sur la forte implication narcissique de ce participant dans ce groupe qui se déroule dans son cabinet. Un paradoxe apparaît alors assez nettement avec un règle, selon le leader de ce groupe éphémère, qui voudrait qu'un Balint se trouve toujours sur un lieu neutre. Il est clair que si l'élaboration au sein de ce groupe éphémère s'en était arrêtée là, invalidant ainsi la totalité de l'expérience du leader qui rapportait ce cas, la conclusion de cette séquence aurait été complètement surmoïque, voire autoritaire. Heureusement, le groupe dépassa la rigidité de cette règle, pour entrer plus avant dans les spécificités historiques qui expliquaient ce fonctionnement, et l'élaboration pu se poursuivre sereinement.
 
 
Le travail sur la culpabilité
 
L’autre plan mobilisé par le groupe, et pas le moindre, à trait à la question de la culpabilité. Cette dernière est conséquence d’une faute impliquant un dommage, imaginaire ou réel, fait à l’autre. quelle que soit la nature de cette faute, voulue, inconsciente, inévitable. Ainsi que le chœur des tragédies grecques antiques, dont la fonction est de sans cesse ramener le dilemme d’un personnage au plan de la justice de la cité, la culpabilité nous chante un air qui veut clore le débat du côté de l’autre, de la morale, de la dite cité.
L’ambition d’un groupe Balint est ici autre, d’une façon qui est d’ailleurs comparable à la psychanalyse : elle est, à partir de cette butée de la culpabilité, de l’impression d’une erreur, ou d’un symptôme en analyse, de simplement suspendre le jugement moral afin de permettre la reprise du déroulement d’une histoire, d’histoires plutôt, à savoir celles de celui qui expose, celle de celui qui est exposé, et enfin des participants. Cet au-delà de la culpabilité, comme cet au-delà du symptôme en psychanalyse, lorsqu’on le laisse se dérouler sans jugement, permet de découvrir des strates souvent fort productives et fécondes qui sinon seraient restées dans l’ombre de l’inconscient individuel ou groupal.
Il faut noter une parenté entre ce processus de suspension du jugement qui autorise la poursuite d’une élaboration et la règle de l’association libre de la psychanalyse, qui enjoint de continuer le flux de la pensée indépendamment du jugement moral sur ce qu’on vient de dire.
Laisser se dérouler une histoire complexe à la place d’un jugement moral, qui sinon bloquerait le processus, voilà peut-être aussi ce qui peut faire partie de la formation d’un leader Balint pour que ce groupe fonctionne.
Bien sûr, surmoi, règles, jugements moraux sont des ingrédients dont ne saurait se passer une quelconque société. Mais beaucoup de sociétés, aussi, souffrent de bien des difficultés à cause de règles qui ne font pas cas des retours que le réel pourtant leur montre : les règles elles-mêmes doivent savoir rester à l’écoute...   Ce n’est qu’à cette condition que la culpabilité peut délivrer son message singulier, qui est alors souvent d’enrichir une pratique.
Un exemple là encore tiré d’un groupe : un membre du groupe veut parler d’un cas qui, dit-il, l’a mis en porte-à-faux. En fait, cet enfant dont elle a accepté de s’occuper ne correspond en rien à sa compétence « officielle », disons orthophonie psychomotricité ou autre... De plus, elle ne fait littéralement rien avec lui, puisqu’il sabote soigneusement toutes consignes. Une assez forte culpabilité naissait de cela, qui l’amena à en parler en Balint. Le déroulement de la cession Balint sur ce cas, au delà donc de tout jugement sur le bien fondé moral d’une telle pratique, permit de constater tout le bien que fit à cet enfant, en réalité hyper sollicité par les performances qu’on attendant de lui, tant en famille qu’à l’école, cette pratique particulière d’une absence de pression, de demande, simple présence humaine sans contrainte. Ceci ne fut possible que grâce à la souplesse des règles professionnelles de cette personne, qui appris ainsi que la culpabilité est parfois source d’enseignement, lorsqu’on laisse se dérouler la profondeur des histoires et des intuitions des uns et des autres.
 
Les questions en question
 
Comme disait Michael Balint, si on pose des questions, on obtient que des réponses, et rien d’autre!![1]
L'usage des questions, pourtant, comme chacun le sait et le constate, est au coeur du dispositif balintien. Le déroulement d'une cession est à la fois fondé sur un récit et sur les rebonds que provoquent les questions posées par les participants. En fait, on peut poser une analogie entre le récit, qui serait le plan conscient du narrateur,  et les questions, qui oscilleraient entre pures projections des participants ou ouvertures sur l'inconscient en jeu dans le récit. Entre les deux se situe ce qu'on appelle la dynamique groupale, qui est l'intuition plus ou moins confuse par le groupe des éléments inconscients en jeu dans le récit. Aussi le leader, en retrait dans ce temps d'élaborations questionnantes, peut-il peu à peu, grâce au récit et aux interventions du groupe, entrer dans la profondeur du cas, d'autant plus s'il a une formation sur la dynamique groupale par ailleurs.
Il est une chose, pourtant, qu'il convient de ne jamais oublier : une question est toujours une intrusion dans une pensée, et, à ce titre, peut toujours créer autant de bonnes choses que de dégâts… Il n'est pas certain qu'on puisse jamais être assuré de l'effet d'une question. Une question ne vaut que par ce qu'elle provoque, ce qui n'est jamais prévisible.
Dans le livre cité plus haut de Michael Balint, innombrables sont les remontrances que ce dernier fait aux médecins qui interrogent trop frontalement leurs patients, qui sont ainsi pris de vitesse dans leur propre élaboration. Les résistances suscitées interrompent alors souvent le processus thérapeutique.
Les questions ne sont pas seulement informatives, elles orientent aussi dans des directions qui appartiennent essentiellement à celui qui les pose.
Ainsi, si elles enrichissent le récit du cas, si elles aident à dévoiler des plans jusque là cachés, dès qu'elles sont trop nombreuses ou insistantes, elles dévient le propos, orientent les réflexions dans des directions dont on est plus du tout certain qu'elles appartiennent à la dynamique psychothérapique qui était rapportée. Alors, effectivement, on obtient plus que des réponses, et non plus l'approfondissement utile d'un récit.
Une trop grande profusion ou insistance des questions posées peut aussi déplacer la dynamique du groupe, de façon insidieuse, sans qu'on s'en aperçoive toujours à temps, du récit propre du cas rapporté à la problématique de ceux qui questionnent. L'objet même du Balint change, et au lieu d'être au service de celui qui a choisi de se lancer dans le récit d'un cas, il devient le lieu d'élaboration des questionneurs…
Tout est là affaire de mesure, en sachant que les questions permettent d'éclairer un cas rapporté autant que parfois l'embrouiller ! L'art du leader est de tenter de démêler cela du mieux qu'il peut, pour sauvegarder une dynamique de groupe qui reste au service du transfert thérapeutique qui est amené au groupe.
Illustrons cela : ainsi pendant cette cession, le cas, un enferment à vécu paranoïaque dans un contexte d'isolement rural, va-t-il vite évoquer pour un médecin du groupe un vécu similaire, encore très vif à sa mémoire, l'amenant à formuler une salve de questions et remarques très passionnées. En fait, les questions qu'il pose ramènent sans cesse au cas qu'il a vécu plutôt qu'à celui rapporté. Le groupe ne reprendra sa dynamique propre que lorsqu'une proposition lui aura été faite de reprendre ce récit lors d'une cession ultérieure, ce qu'il fera d'ailleurs, mais dès lors dans un cadre qui lui sera plus profitable, le groupe étant clairement au service du questionnement de ce médecin dans cette étape ultérieure.
 
En fait, toute question posée est aussi le témoin d'une projection sur le récit entendu, projection dont la validité ne sera toujours que partielle, de ce fait même. Cet aspect troublant, confusionnant, du flux des questions qui viennent enrichir le récit en train de se dérouler n'est en réalité pas évitable. La seule chose qui puisse empêcher trop de dérives de ce fait est de le savoir, ce qui permet de ne pas se prendre aux mots de toutes ces questions, pour simplement en constater les effets, enrichissants ou confusionnants, c'est selon et en tout cas jamais prévisible.
 
 
 
[1] Le médecin le malade et sa maladie, Ed Payot, P 143.
 
[1] Le médecin le malade et sa maladie, Ed Payot, P 143.