Michel S Levy mslevy@laposte.net Merci de vos critiques et remarques

LA PSYCHANALYSE ENTRE STRUCTURE ET TRANSFERT




Elle se spécifie sur d'autres pratiques, médicales, psychiatriques ou autres en ceci qu'elle s'adresse, certes à travers le symptôme, au désir. Ce dernier peut se définir rapidement comme l'abolition des certitudes face à ce qui manque… Dès lors la question est possible, et l'adresse à l'autre aussi, mais sous forme d'une recherche, d'une quête, et non de l'espoir d'une trouvaille définitive, arrêtée. Ainsi, la pratique analytique expose ses présupposés, puis les engage au risque de la rencontre, au lieu de faire semblant de n'en avoir point, ou, pire de prétendre vouloir le bien, soigner, d'évidence.
C'est une place d'accueil face au réel, de soi, de l'autre, du monde, qui permet de construire, déconstruire, reconstruire, d'avancer dans le mouvement du monde, de s'adapter sans se figer, dans une résonance suffisante entre surface et profond de soi et surface et profondeur du monde...

Cette pratique part du symptôme, qui est constamment, chez chacun, précisément ce qui fait obstacle au désir, donc aussi le limite, et par là même l'humanise.
La spécificité de l'analyse est donc de transformer du solide en liquide, de l'image en mouvement… Son ambition est de passer de la cristallisation du symptôme à la fluidité du désir.
Mais ce mouvement est en fait constamment réciproque… La cristallisation symptomatique fera sans cesse retour. Le fluide désirant sera toujours tenté de se recristalliser, telle est la nature humaine, de constamment resituer son objet. On retrouve là la vieille intuition de l'alchimie… L'espoir humain que le réel le soit aussi l'amène à constamment inventer des objets qui, tels l'objet transitionnel de Winnicot, permettent de supporter l'insupportable.
La question devient de tenter de s'y retrouver suffisamment dans ce mouvement de balancier.

Pour cela, il faut avoir une petite idée des deux plans en jeu : celui de la clinique d'une part, qui est toujours une clinique de l'objet, et du transfert de l'autre, qui met la structure en mouvement, même s'ils sont constamment intriqués.
Ce sont là les deux pôles de l'analyse.

La clinique psychanalytique fonctionne comme une vraie fiction : constamment en défaut, elle reste constamment nécessaire. Elle a exactement la même fonction que les contes d'enfant, d'apprendre énormément, sans rien désigner du sujet. Elle parle d'un être arrêté, émane du patient comme une vérité qui le blesse, tandis que pour l'analyste elle est une fiction qui attend d'être dépassée…
C'est ce qui la différencie de la clinique psychiatrique, qui se veut réalité, échouant par là même à toucher un quelconque sujet en mouvement. Cette obstination à cerner le réel l'amène naturellement à la question biologique, sur le mode d'un singeage de la science facilement démontable en raison de la somme de caricature et de mauvaise foi qui y sont alors nécessaires.

Dans le transfert se rejoue toute l'ontogenèse du désir, selon des répétitions, donc des structures impliquant l'analyste, voire le convoquant. L'homme  s' y voit avec son univers, son objet  apparaissant alors dérisoire, voire manquant.
Sa place est alors d'être le moins dupe possible de ces répétitions qui l'engagent. C'est là que va se jouer l'analyse, où elle va tenir ou non, selon l'opacité ou l'éclairage qui vient à l'analyste dans cette rencontre.

Cette balance entre la clinique de la structure et la réflexion transférentielle est le chemin en psychanalyse.

Les ouvrages de clinique psychanalytique lorsqu'ils font trop de cas de la clinique, tendent à virer vers une sorte de psychiatrisation, d'objectivation du sujet, de délimitation du patient dans un espace projectif qui, de ce fait, devient frontière avec celui du transfert, coupant du même coup l'opérativité de l'analyse. C'est évidemment une dérive dommageable. C'est ce qu'on trouve dans la littérature, y compris chez Freud dans des formulations comme " l'excès de pulsion de mort ", " l'hypertrophie des forces de jouissance ", narcissiques pour la démence précoce de son époque, névrotiques quand au " trop de plaisir " de l'obsessionnel.
Plus près de nous, le concept de forclusion de Lacan joue ce même rôle de frontière infranchissable entre soi et l'autre pour les traits psychotiques, comme je l'ai déjà écrit ailleurs. Ce principe, bloquant par principe la fécondité de la rencontre dans l'esprit même de l'analyste, arrête tout développement de la question psychotique dans le transfert. En fait, même là, la répétition ontogénétique existe, l'analyste pouvant s'y situer s'il entend l'atteinte majeure et ancienne du plaisir de l'autre, de la relation, dont il s'agit toujours.


L'autre extrême est la réflexion exclusive sur la simple situation topologique du transfert et du désir. Cette focalisation sur la question du désir du sujet dans le dispositif analytique abouti à des formulations, des exposés de situation, des clichés topologiques à valeur finalement universelle et qui de ce fait perdent absolument de leur efficacité, de leur efficience pratique, puisque les butées techniques deviennent alors innombrables, toute vraie science étant science du détail, seule voie concrète pour conjecturer du général. On arrive au même problème que ces sciences basées sur un principe unique, même s'il est complexe, en tout cas basées sur un principe inamovible qui est sensé rendre compte de l'ensemble d'un processus complexe. Je pense par exemple, au magnétisme, à l'homéopathie, au cri primal, toutes ces démarches qui laissent entendre qu'il suffit de soulever un point et un seul pour que tout rentre dans l'ordre. Il faut bien dire que poser que l'analyse de l'analyste est la condition nécessaire et surtout suffisante à son entrée dans la pratique est de cet ordre… Si le désir de l'analyste est sans doute conditionné par sa capacité à se déprendre d'un savoir au profit de l'écoute subjective, encore faut-il, pour qu'il se déprenne d'une érudition, qu'il y est déjà été pris !! Qu'à ce titre, s'exige un minimum de culture à l'orée de cette pratique n'est certes pas scandaleux, c'est plutôt le contraire qui pose problème, comme un qui inventerait la sociologie sans rien connaître de l'histoire, qui pourtant la fonde, même s'il faut là aussi s'en déprendre.

Ainsi, finalement entre les deux situations, entre les deux extrêmes, se situe probablement, dans un balancement constant, la vraie question de la pratique psychanalytique.

Elle a affaire, sans arrêt, à cet effet optique bien connue du cube dessiné en plan qui est vu en relief ou en creux. On sait que les deux représentations existent, qu'elles sont équivalentes l'une à l'autre dans leur pertinence, et pourtant elles font fonctionner deux aspects très différents de l'organisation et de la compréhension. Il en est de même pour la question de la clinique et du transfert. Sans cesse, en réalité, dans la cure, dans le travail thérapeutique, l'accent va être posé, soit sur la structure, soit sur la fonction désirante dans le transfert. On peut même être certain que si l'on avance un moment sur une structure, qui se dévoile dans l'analyse, le temps suivant sera un temps transférentiel, nécessaire à ce que le mouvement de découverte reprenne, à ce que le désir reparte. De la même façon, si un temps d'analyse transférentiel se présente, et insiste, c'est sans doute qu'une structure attend de se dévoiler, qui bloque la résolution transférentielle par sa présence encore inconsciente, etc.

Nous allons voir ce que donne l'excès d'accent sur la clinique, puis l'excès sur le transfert, successivement chez des auteurs de la société psychanalytique de Paris, puis chez les lacaniens de l'époque de l'école freudienne de Paris.
Commençons par l'excès de clinique : Dans le N° XX de la revue de la SFP
« L'acte ainsi posé (la suppression d'une séance) prend valeur d'interprétation pour l'analyste autant que pour l'analysant : pour tous deux, la modification du niveau de fonctionnement élaboratif rend compte de l'impact interprétatif de ce moment. Il donne à l'analyste l'occasion d'analyser après-coup les éléments impliqués dans le dialogue transféro-contre-transférentiel. Il objective une « transformation » en ce qu'il ouvre le champ transféro-contre-transférentiel à l'expression psychique de ce qui, jusque-là, était agie.
Dans d'autres circonstances, ce moment de rupture peut être initié par des « agirs » plus discrets qu'un acte aussi évident de l'analyste : ainsi d'une formulation verbale qui lui « échappe », une tonalité inhabituelle de la voix, un état d'esprit insolite qui, quand il les perçoit, alertent sa vigilance et l'incitent à s'interroger sur la nature de l'échange transféro-contre-transférentiel. L'interprétation « classique » elle-même doit être considérée comme un acte posé par l'analyste. L'analysant peut être, lui aussi, l'agent de rupture par un agi, une remarque, une qualité particulière de matériel, un rêve, etc., qu'il reviendra à l'analyste d'entendre et de comprendre.
Il n'est pas dans nos intentions de nous étendre sur la notion d'interprétation, domaine que développe Marie-France Dispaux. Nous nous sommes cependant autorisés à quelques remarques compte tenu du fait que c'est un agir qui prend valeur d'interprétation. L'association de l'agir à la fonction interprétante a évoqué pour nous les positions de J.-L. Donnet (1995) sur l'interprétation dans son rapport à la « répétition agie ». Nous le citons : « C'est sans doute lorsqu'elle doit rencontrer la répétition agie dans le transfert, que l'interprétation trouve son plus grand enjeu, son plus grand défi, et par là sa plus grande portée. Dans certains moments privilégiés, l'intervention du psychanalyste réalise un franchissement crucial où paraît se spécifier l'essence même de son jeu, sa justesse de ton. Ce franchissement n'est pas sans rapport avec l'annulation - et l'interprétation - d'un écart éco-nomico-symbolique mystérieusement optimal » (c'est nous qui soulignons).
L'écart économico-symbolique, outre qu'il correspond à une exigence structurale, désigne, à notre avis, un écart intra-psychique (conflits et tensions au sein de l'organisation fantasmatique, entre régimes différents de fonction-nement psychique, entre objets internes et/ou instances, entre perceptions et représentations...) en articulation dialectique avec ce qui se déploie dans la relation transférentielle. L'écart économico-symbolique peut être « annulé » par une « interprétation » qu'elle soit verbale ou agie. La « réduction » de l'écart économico-symbolique ainsi opérée réalise une transformation psy-chique, une sorte de saut qualitatif vers une complexité psychique plus grande. Ce « saut » mutatif, qui reste mystérieux à notre compréhension, transpose l'écart économico-symbolique au sein de modalités de fonctionne-ment psychique plus différenciées, plus symbolisées, tout en maintenant une qualité d'incertitude et d'hétérogénéité.
J.-L. Donnet explique l'effet de l' « action » (l'interprétation) de l'analyste sur l'analysant par une proximité de fonctionnement psychique. Le fait qu'il s'agisse, dans les faits cliniques que nous considérons, d'un échange agi qui se résout par un « acte-interprétation » nous paraît particulièrement représentatif de cette proximité.
Paradoxalement cependant, l'intervention de l'analyste apparaît comme une rupture dans l'échange qui précède. Nous faisons l'hypothèse d'un effet de tiercéisation, hypothèse que nous ne pourrons argumenter qu'après avoir examiné les diverses composantes qui interviennent dans l'échange agi ainsi que les effets que nous leur attribuons.
(…)
Le travail analytique effectué avec le patient a permis l'accès à l'organisation d'une névrose de transfert, signant ainsi l'importance du travail de transformation effectué. Nous interrogeons les modalités de participation de l' « expérience agie partagée » dans le processus de symbolisation qui conduisit à ce résultat et, tout particulièrement, l'amélioration de la symboli-sation primaire dans le but de cerner davantage les mécanismes psychiques impliqués dans ce que nous considérons comme le « contre-transfert symboli-sant » de l'analyste.
Dans les réponses agies de l'analyste aux demandes de l'analysant, on ne peut que constater que, « sous emprise », l'analyste, pris au dépourvu, répond dans une logique de satisfaction immédiate du besoin de son patient, emporté malgré lui dans un agir, au mépris du respect de la règle d'abstinence. La per-manence des réponses agies de l'analyste témoigne de la puissance de l'identification projective associée aux agirs du patient.
Nous pensons qu'un autre élément inconscient intervient dans la perma-nence des agirs contre-transférentiels chez l'analyste. Nous l'avons souligné, on ne peut méconnaître l'effet symbolisant de pareil agir, au moins tempo-raire, puisqu'il est suivi d'un moment caractérisé par un niveau de symbolisa-tion plus évolué, « bascule » dans un autre registre de fonctionnement psy-chique. On peut faire l'hypothèse que l'analyste enregistre inconsciemment ce bénéfice, raison pour laquelle il « persévère » - là encore, bien malgré lui - dans ce qui serait non pas une erreur mais un bienfait pour l'analysant.
Il nous semble pouvoir évoquer les manifestations d'un ajustement inconscient de l'attitude contre-tranférentielle de l'analyste aux « besoins »  basaux de l'analysant, assurant ainsi une sécurité de base par l' « échange agi ». En d'autres termes, notre hypothèse consiste à créditer les « façons d'être à l'autre » de l'analyste d'une fonction de régulation par l'instauration d'un « échange de base » sécurisant, terreau propice au déploiement de la symbolisation. Le style que l'analyste constate avoir adopté avec son patient répond, lui aussi, à une « demande » qui s'exerce selon une pression certes plus subtile mais tout aussi efficace de la part de l'analysant et contribue, dès lors, à la même fonction.
« L'expérience agie partagée » aurait ici un rôle différent de celui sur lequel nous avions insisté dans notre rapport : il ne s'agirait plus de « déstabi-liser» pour permettre, dans un second temps, d'élaborer psychiquement l'expérience agie nouvelle. Il s'agirait d'expérimenter une interaction rassu-rante, « dialogue de base » entretenu par les agirs de l'analyste. Sous un autre éclairage, nous rejoignons ainsi les positions soutenues par Marie-France Dispaux qui souligne l'importance du travail de liaison quand on a affaire aux fonctionnements psychiques marqués par l' « au-delà du principe de plaisir ».
Ce travail est pour elle assuré, en partie, par la « co-esthésie ». Nous mettons l'accent, pour notre part, sur la fonction de liaison de l'échange agi qui contribuerait ainsi à pallier les carences de la symbolisation primaire.
Mais il y a plus : nous proposons l'hypothèse qu'outre l'effet de sécurisa-tion de base assuré par les échanges agis, leur exercice dans la rencontre transféro - contre-tranférentielle participe à la constitution d' « images d'action », concept qui avait retenu toute notre attention. Les échanges agis donneraient lieu à l'inscription de traces, « images d'action » indices de l'esquisse d'un processus de symbolisation primaire.
Pour promouvoir ce processus, il est requis que l'analyste soit à même d'offrir un support transformationnel par un travail élaboratif contre-transférentiel inconscient. De ce travail on ne peut rien appréhender, si ce n'est à travers une élaboration « après coup » susceptible de révéler certains indices propres au fonctionnement du « temps de comprendre » (Maurice Khoury). Ainsi, en réfléchissant avec recul aux séances, l'analyste s'est repré-senté, consciemment cette fois, différents avatars des enjeux de l' « image d'action » qu' « agissait » la forme initiale de l'inter-agir transféro - contre-transférentiel : représentations de nourrissage, d'échange anal, de séduction homosexuelle... On peut penser qu'inconsciemment, ces représentations sont présentes dans le psychisme de l'analyste durant les moments d'échange agis et qu'elles participent du potentiel transformationnel de ce que nous appelons « contre-transfert symbolisant ». Outre le potentiel structurant que nous prê-tons aux représentations de l'analyste, ajoutons que leur qualité « sexuelle » témoigne de l'élan libidinal conféré au travail transféro - contre-transférentiel par les spécificités de l'investissement de l'analyste.
On ne peut réduire le moteur de la symbolisation primaire au seul exer-cice de l'expérience de la « satisfaction du désir ». Certes, on peut penser qu'il faut (re)passer par cette expérience fondatrice pour que se créent les condi-tions de restauration de la symbolisation primaire en admettant la participa-tion d'une composante temporaire de « communauté du déni ». Cependant, autre chose doit s'agir dans la rencontre transféro - contre-transférentielle qui procède davantage d'un décalage (hiatus, césure) entre analyste et analysant, inadéquation partielle de la réponse de l'analyste à l'analysant qui signe la présence de la « tiercéïté », dirait André Green, dont l'analyste est le garant.
Toujours est-il qu'au terme de l'échange que nous avons décrit, nous assistons à la preuve cette fois tangible du dégagement de la part de « communauté du déni » de l'échange agi par l'intervention de l'analyste quand il oppose un refus à son patient. Ce refus signe l'advenue d'un moment maturatif en ce qu'il conjugue la capacité de l'analyste d'exprimer la séparation et la différence et, pour l'analysant, de la supporter. Nous pouvons considérer cet aboutissement comme ce que nous avons appelé un « acte interprétation ». Il sera marqué, dans la cure, par un « saut » dans un mode de fonctionnement différent, témoin de l'incontestable gain dans la symbolisation dont nous attribuons une certaine part à l'échange agi.
La vignette clinique présentée nous permet de prendre en considération un autre élément laissé en friche, celui de clivage évoqué par Jean Guillaumin qui estime que « les clivages du moi et sans doute tous les clivages, ont un rapport essentiel avec l'agir ».
Il n'est évidemment pas question ici de nous permettre de longs dévelop-pements sur ce concept. D'autres l'ont fait avant nous et nous pensons, par-ticulièrement, au rapport de Gérard Bayle. Chacun s'accorde à reconnaître l'existence de modalités diverses de clivage, de défenses variées contre l'émergence du clivé, de formes différentes d'issues du clivage. Parmi ces modalités, soulignons l'intéressante contribution de Michèle Van Lysebeth qui postule l'existence d'un « moi inconscient clivé » dont l'activité psychique est élaborative mais coupée du moi conscient/préconscient. Pour notre part, nous nous référons à l'existence d'enclaves clivées du moi, secteurs trauma-tiques inélaborés, témoins de troubles de l'appareil à symboliser, dont une des expressions possibles est l'agir, manifestation donc d'un clivage du moi. Cette position est proche, pensons-nous, de celles développées par Jean Guillaumin et René Roussillon.
Le fonctionnement « limite » de Jacques et l'omniprésence des agirs, aussi bien dans la vie que dans l'analyse, évoquent l'existence de clivages qui, dans ~ 1a cure, s'expriment, notamment, dans ses sollicitations concrètes et abruptes. Et les réponses de l'analyste illustrent une observation essentielle à notre pro-pos, celle de l'induction, chez l'analyste, d'un fonctionnement lui aussi clivé. Dans ces moments relationnels particuliers, l'analyste s'éprouvait déchiré entre deux courants paradoxaux, aspect du clivage pertinemment relevé par Évelyne Séchaud, dont il tentait l'élaboration sans succès immédiat.
Cette constatation clinique rejoint celle des auteurs qui se sont penchés sur le clivage: « Tu cliveras ton prochain comme toi-même », dit Gérard Bayle. Pour Jean Guillaumin, l'analyste, exposé aux clivages du patient, est soumis à une économie en inter-agir : « Il est alors lui-même fonc-tionnellement clivé intérieurement », dit cet auteur. Sans doute notre hypo-thèse selon laquelle « l'acte appelle l'acte » trouve-t-elle ici une pertinence toute particulière. Clivé, l'analyste répond par l'acte aux sollicitations de son patient, selon un fonctionnement destiné à répondre temporairement à l'impact traumatisant des inductions transférentielles. »

On constate bien dans ce texte où mène l'excès de vision clinique : sous estimer le constant travail de fondation de nouvelle logiques subjective, dépendant de la qualité même du transfert, amène à ne plus différencier les actes du patient qui en quelque sorte demandent légitimement l'engagement de l'analyste de ceux qui témoignent d'un processus inconscient propre au patient… J'ai le sentiment que l'engagement trop distant de l'analyste, dans ces cas, provoque littéralement les passages à l'acte des patients, qui demandent eux ce que j'appelle les rencontres axiomatiques des logiques subjectives nouvelles dont ils ont besoin.
Patient et analyste restant constamment séparés, par les termes mêmes de transfert et de contre-transfert, les rencontres fondatrices sont toutes vécues du côté de la construction ou du symptôme de façon indifférenciées, si ce n'est par l'évolution du patient lui-même, qui en décide au hasard...  On mesure là la pertinence de Lacan à répéter qu'il n'existe qu'un transfert !
Aussi, faute de cet outil des logiques subjectives, la confusion est constante entre le registre des pulsions primaires et celui des axiomes premiers des logiques subjectives.
Enfin et surtout, étant donné que la place du plaisir de la rencontre n'est pas faite à la théorie de la reconstruction, comme la condition même du remaniement subjectif, il est pris clandestinement, presque avec honte, en tout cas du côté de l'analyste… Ce qui ne doit pas faciliter ce travail de remaniement.
Et le clivage finalement constaté n'est que celui de deux systèmes logiques, celui du patient et de l'analyste, qui, faute de place faite au plaisir dans le corpus théorique du second, ne peuvent en fonder un troisième, qui pourrait faire articulation entre les deux, avec les deux plutôt.

Maintenant, un mot quand à l'excès de vision transférentielle : M Safouan, Le transfert et le désir de l'analyste.

Notre propos (écrit Lacan) est d'en poser une équation dont la constante est l'agalma.
Le désir du psychanalyste, c'est son énonciation, laquelle ne saurait s'opérer qu'à ce qu'il y vienne en position de l'x : de cet x même dont la solution au psychanalysant livre son être et dont la valeur se note (- (p), la béance que l'on désigne comme la fonction du phallus dans le complexe
, de castration, ou (a) pour ce qui l'obture de l'objet qu'on reconnaît sous la fonction approchée de la relation pré-génitale.
Ces lignes résument la conception lacanienne des phases du développement de la libido. En ramenant le complexe de castration, au-delà de l'imagerie qui s'y véhicule, à son fon-dement symbolique, Lacan assoit le désir sexuel non pas sur l'intégration des pulsions dites partielles, mais sur une béance. Et, si ce que Lacan dit dans le Séminaire XI a un sens, alors la régression réside dans le retour du manque de l'aliénation comme recouvrant le manque de l'Autre. Ce retour, ou ce recouvrement, est une obturation, et la régression aux phases antérieures de la libido, qui ne sont que des phases de la relation à l'Autre correspondant aux premières demandes qui la scandent, ne s'opère qu'à partir du complexe de castration. Nous trouvons dans le fantasme rapporté par Lacan de la fin de l'analyse d'un obsessionnel (ci-dessus, p. 181) un bon exemple de régression phallique.
La structure ainsi abrégée nous permet de nous faire une idée de ce qui se passe au terme de la relation de transfert, soit « quand le désir s'étant résolu qui a soutenu dans son opération le psychanalysant, il n'a plus
envie à la fin d'en lever l'option, c'est-à-dire le reste qui, comme déterminant sa division, le fait déchoir de son fantasme et le destitue comme sujet ».
Cette « destitution subjective » s'est prêtée à maintes inter-prétations. Pourtant, si l'on se rappelle qu'il était ci-dessus question de « décrotter le sujet du subjectif », et que ce subjectif désignait plutôt le mouvement d'objectivation par où le sujet voudrait se rendre transparent à lui-même (conscience de soi), alors il n'y a guère de doute que « destituer le sujet »
revient à le destituer de sa dignité, avec l'équivoque que ce mot reçoit en français de son homophonie avec l'allemand das Ding, autrement dit l'objet « a », enfin repéré comme le point d'où le sujet se voyait causé comme manque. La destitution est la levée de l'identification d}i sujet à cet objet, pour autant qu'il en faisait une réponse au manque de l'Autre. La géné-ration du transfert, peut-on dire, s'apparente au moment de la certitude sur lequel repose la réponse au ché vuoi ?... Mais non sans que le savoir qui se dérobe par là à la disposition du sujet fasse retour dans la figure du sujet supposé savoir. Sa résolution est liée au moment où le che vuoi ? résonne de nouveau... mais, cette fois, comme dans un lieu nettoyé de la jouissance, de tout ce qui, jusque-là, donnait au sujet sa certitude et son angoisse : que l'objet du désir de l'autre serait en lui.
Avec le repérage de a, le sujet « voit chavirer l'assurance qu'il prenait de ce fantasme où se constitue pour chacun sa fenêtre sur le réel » : celui qui le fait constituer le sujet supposé savoir comme le contgnant, ingrat ou pas, de l'objet de son manque.
Ce qui s'aperçoit dans ce virage, « c'est que la prise du désir n'est rien que celle d'un désêtre ». De fait, la fin de l'analyse est marquée non pas par les sentiments d'effusion dépeints par Balint, mais, comme le note Melanie Klein, par une dépression qui est deuil. Seulement ce deuil ne se rapporte pas, comme elle dit, à la séparation ou à la perte de l'objet lui-même, mais à la perte de son manque dans l'Autre : celui où le sujet prenait appui pour se proposer comme aimable. Aussi cette perte équivaut-elle à une dés-obturation, où le manque s'aperçoit comme manque d'être.
Avec cette aperception dont on peut dire que le sujet y est lui-même la structure symbolisée par (- (p)...
"se dévoile l'inessentiel du sujet supposé savoir, d'où le psychanalyste à venir se voue à l'agalma de l'essence du désir, prêt à le payer de se réduire, lui et son nom, au signifiant quelconque.
Car il a rejeté l'être qui ne savait pas la cause de son fantasme, au moment où enfin ce savoir supposé, il l'est devenu".
Nous avons vu Lacan définir la liquidation du transfert comme celle de la tromperie qui s'exerce dans le sens d'une fermeture de l'inconscient. Cette opération, nous le voyons maintenant, va de pair avec la reconnaissance du trou qui marque le lieu de l'Autre, et que recouvre le rien qui s'ignore dans la requête du désir. Ce qu'un psychanalysant exprima en introduisant, au terme de son analyse, cette distinction : « Si tant est qu'il est question d'identification, alors il s'agit de s'identifier non pas au choix de l'Autre, mais à sa liberté. » Entendez : à l'inconnue de sa liberté. Sous cet angle, le terme de « liquidation » paraît futile « pour ce trou où se résout le transfert ». Lacan ne voit, dans ce terme, contre l'apparence, que dénégation du désir du psychanalyste : puisque la ter-minaison de la psychanalyse didactique n'est pas une simple évacuation, mais passage à ce désir justement.
Nous ne saurions terminer l'exposé de ces thèses sans souligner l'ambiguïté de ce « passage au désir de l'analyste », lequel peut vouloir dire :
aJ ou bien passage à un désir qui serait averti de l'inessentiel du sujet supposé savoir, ou de la réalité de l'inconscient, en tant qu'elle ne se réduit pas à un domaine privé, qui m'est propre ; en ce sens, ce passage est la condition nécessaire pour que le désir de l'analyste vienne en position de x, c'est-à-dire, comme on s'exprimait tant que l'on méconnaissait que le désir de l'analyste est l'axe de l'analyse, pour mettre l'analyste à l'abri du « contre-transfert » ;
bJ ou bien il signifie que celui qui fait l'expérience de la psychanalyse jusqu'à son terme reprend immanquablement cette expérience qu'il a parcourue comme psychanalysant, en la répétant comme analyste au niveau de l'inconscient d'au-trui ; auquel cas la psychanalyse serait une condition non seulement nécessaire, mais encore suffisante du devenir ana-lyste.

L'erreur de Lacan de voir le sujet épinglé par le signifiant, produit exclusivement par lui et ses déroulements, néglige le fait que si le sujet est effectivement saisi par ce signifiant, il s'en ressaisit activement le temps suivant, ce que montre toute la clinique du nourrisson et de ses interactions avec l'entourage. Cette erreur eut des conséquences funestes…. En effet, si le signifiant n'est que trompeur, étranger au désir du sujet, l'assomption de ce désir laisse alors en panne totale de signification. La structure du transfert ainsi isolée du mouvement, du vivant, du changement, et portée aux nues de l'idéal de l'analyse induit la catastrophique identification au désêtre qui suit logiquement, face au gouffre inhumain qu'elle propose, et provoque alors l'identification hystérique à Lacan, dans un mouvement d'identification à l'agresseur, ici théorique, au lieu d'une identification au mouvement de savoir, provoqué par l'opération de démoyautage, à travers il est vrai la découverte de l'absence de l'objet (a) en l'autre, qui amène au plaisir d'être ensemble, au plaisir du remaniement, de la découverte, de la mobilité, du changement. C'est tout autre chose. Puisque le sujet peut se réapproprier la chaîne signifiante, simplement débarrassée de ses encombrants signifiants maîtres… Mais il en est d'autres…







L'articulation transfert désir
Alors, il faut avancer un peu plus pour comprendre précisément comment ces deux fonctions s'articulent et en quoi elles sont nécessaires l'une à l'autre surtout. L'une ne peut en effet pas fonctionner sans l'autre.

 Henry Atlan Entre le cristal et la fumée.

 Il existe un apprentissage non dirigé qui est une espèce de va-et-vient entre des patterns qui sont créés, puis projetés sur des stimuli aléatoires, et ceux-ci, qui, dans la mesure où ils ne peuvent pas coïncider exactement avec les premiers, modifient alors la classe de patterns qui va servir de référence, et ainsi de suite. Autrement dit, tout se passe comme si notre appareil cognitif était une espèce d'appareil créateur, une fois de plus, d'ordre de plus en plus différencié, soit de complexité à partir du bruit.
Encore une fois, ces processus se déroulent normalement de façon inconsciente, à la façon de ce qui se passe par exemple dans une machine de type Informon qui sélectionne elle-même les patterns qu'il s'agit pour elle d'apprendre à reconnaître; mais leur affichage en mémoire, c'est-à-dire leur émergence à la conscience, aboutit à cette activité d'interprétation qui consiste à intégrer les événements nouveaux du présent et de l'avenir au contenu de notre connaissance du passé mise en mémoire. Cette intégration s'effectue par reconnaissance de formes (pattern recognition), c'est-à-dire que les nouveaux stimuli sont classés et associés aux formes préexistantes, grâce à quoi ils sont reconnus. En général, comme on l'a dit, cette reconnaissance n'est pas parfaite : les nouveaux stimuli ne peuvent pas coïncider exactement - dans la mesure même où ils sont nouveaux -. Ils sont donc reconnus approximativement avec une certaine quantité d'ambiguïté. Et cette ambiguïté va pouvoir jouer là aussi un rôle positif enrichissant, en modifiant, faisant dériver la forme de référence, ou plus exactement la classe de formes qui constitue la référence des nouvelles formes à reconnaître. Et ainsi de suite. C'est donc de cette façon que le principe de complexité par le bruit peut aussi fonctionner au niveau de l'organisation de notre système cogni-tif. Là aussi du nouveau et de l'aléatoire sont intégrés à l'organisation évolutive et lui servent même de nourriture. Là aussi tout se passe comme si nous fabriquions sans cesse de l'organisé à partir du chaos. L'interprétation n'est ainsi que l'affichage en mémoire de mécanismes de fabrication de sens à partir du non-sens, qui, sans cela, se dérouleraient de façon quasi automatique, et évidemment inconsciente.
Mais ces mécanismes de fabrication de sens là où il n'y en avait pas, ne sont-ils pas ce par quoi on a l'habitude de caractériser les consciences délirantes? Et n'est-ce pas cela qui se retrouve d'ailleurs dans la signification ambiguë de l'idée d'interprétation et dans la réserve qu'on a, à priori, quant à la vérité de tout système interprétatif?
Or nous venons de voir que ces mécanismes obéissent à une logique de l'apprentissage adaptatif qui semble enracinée dans les principes mêmes de l'organisation biologique en tant qu'il s'agit d'auto-organisation, et par là, ils semblent donc être liés à notre fonctionnement normal de systèmes auto-organ,isateurs.
C'est donc que nous situons mal le délire quand nous y voyons un trouble de la relation réel-irréel, une projection illégitime de l'imaginaire dans le réel. Il n'y a en effet de connaissance évolutive que grâce à de telles projections. Mais alors, où se situe donc le passage entre conscience délirante et conscience qui ne le serait pas, entre interprétation délirante et interprétation « correcte », si le critère n'est plus le degré du « coller à la réalité », autrement dit la précision et le manque d'ambiguïté dans la reconnaissance des formes? Probablement non pas dans le contenu des interprétations, mais dans leur mode de fonctionnement. Le détire serait la fixation, dans un stade, du processus d'interprétation qui resterait bloqué sur des patterns immuables à travers lesquels les événements nouveaux seraient reconnus sans feed-back modificateur, de telle sorte que, petit à petit, la distance - l'ambiguïté - entre patterns de référence servant à la reconnaissance et événements nouveaux à reconnaître deviendrait de plus en plus grande, au point que le processus lui-même de reconnaissance et d'interprétation serait arrêté, et qu'il ne se survivrait alors qu'en se refermant sur lui-même.
Cela pourrait expliquer qu'un même contenu interprétatif puisse avoir une fonction délirante chez un individu, organisatrice et créatrice chez l'autre. Si ce contenu est un stade d'un processus ouvert, non bloqué, d'interprétation, il contribuera à enrichir l'organisation du système; tandis que, s'il est figé, sous l'influence de mécanismes de mémoire trop actifs, en patterns immuables qui ne sont plus susceptibles de se modifier au cours du processus d'interprétation lui-même, alors ce processus devient celui du délire, apparemment organisé - surorganisé - autour de ce contenu interprétatif précis - trop précis -, fixé une fois pour toutes.
Toute hypothèse scientifique vraiment nouvelle est en fait de l'ordre du délire du point de vue de son contenu, en ce qu'il s'agit d'une pro-jection de l'imaginaire sur le réel. Ce n'est que parce qu'elle accepte à priori la possibilité d'être transformée ou même abandonnée sous l'effet de confrontations avec de nouvelles observations et expériences qu'elle s'en sépare finalement. En particulier, on peut comprendre comment l'interprétation psychanalytique peut jouer elle-même le rôle d'un délire organisé, ou au contraire celui d'une création libératrice, suivant qu'elle est vécue soit de façon fermée comme le modèle central - le pattern immuable -, pôle organisateur, soit de façon ouverte comme une étape fugace dans le processus auto-organisateur. Pourtant, dans tous les cas, le contenu d'interprétation consiste toujours eu ce qu'on appelle d'habitude « une projection de l'imaginaire sur le réel ». Ainsi la « marque du délire » ne serait pas la présence de l'imaginaire dans l'appréhension du réel; ce serait, au contraire, la conservation trop systématique et trop rigide d'états d'auto-organisation qui devraient normalement se succéder en se modifiant. Une mémorisation excessive, c'est-à-dire une émergence trop précise à la conscience, de ces stades d'auto-organisation qui gagneraient à rester inconscients, pourrait être responsable de ces fixations conduisant à la fermeture du système. Le fonctionnement délirant de l'imaginaire n'est pas délirant parce qu'il se projette sur le réel, mais parce qu'il cesse de fonctionner comme un système ouvert, cessant de se nourrir des interactions en retour avec ce réel source d'aléas, donc de nouveauté. Au lieu de rester caché et souterrain, condition de son mouvement d'auto-organisation, il apparaît trop tôt ou trop précisément à la conscience, et il se fixe alors sur une projection particulière conservée en mémoire comme un moule inaltérable sur lequel viennent se plaquer les événements ultérieurs... de moins en moins nombreux, d'ailleurs, dans la mesure où la coïncidence se fait de plus en plus difficilement. Jusqu'à ce que la tension soit trop grande et que ces patterns, qu'une mémoire en quelque sorte abusive a trop fidèlement conservés, soient remplacés par d'autres, ainsi qu'ils auraient dû l'être depuis longtemps, mais cette fois de façon brutale et dans une crise majeure alors qu'ils auraient dû l'être de façon progressive et dans des crises mineures sans cesse rattrapées. C'est leur inscription intempestive en mémoire qui, en les y fixant, a arrêté puis fait éclater les processus d'auto-organisation cognitive.
Si l'on accepte l'idée de Morin suivant laquelle l'apparition d'Homo sapiens est caractérisée autant par ses délires que par sa sagesse, et si l'on reconnaît la part de responsabilité dans les mécanismes du délire de mémorisations excessives, c'est-à-dire d'émergences excessives à la conscience des va-et-vient normalement inconscients des projections de l'imaginaire sur le réel, alors on peut comprendre que ce débordement de l'imaginaire inconscient dans le conscient n'ait pu se faire qu'à partir du moment où des capacités de mémoire suffisantes étaient disponibles. Le trait caractéristique de la mutation du gros cerveau consisterait ainsi en une extension des capacités de mémoire, obtenue par simple répétition de structures déjà existantes, par simple création de redondance (dont on a vu par ailleurs le rôle dans la détermination de ce qu'on pouvait appeler un potentiel
d'auto-organisation [Atlan 1972, 1974]). Dans cette perspective, on peut comprendre alors que ce dévoilement du délire chez Homo sapiens, latent parce qu'inconscient chez ses prédécesseurs, ait été concomitant du développement du langage symbolique dans la mesure où celui-ci a impliqué et permis justement une augmentation considérable des capacités de mémoire, par rapport à celles qui lui préexistaient.

La question de la structure du désir dans le transfert ? Bien évidemment, l'on peut constater son impasse, qui motive l'analyse, puisque le désir chez le patient, dans son histoire actuelle et passée, est pris dans une impasse transférentielle. J'appelle transférentiel l'ensemble des relations d'objets, des relations affectives du patient.
Cet ensemble du patient et de ses relations affectives dessine donc une structure dont il va falloir s'approcher pour pouvoir, à nouveau, cheminer et éventuellement en trouver la sortie subective. C'est à ce niveau que l'approche clinique se situe et on a intérêt à rentrer le plus possible dans le détail de ce que j'ai appelé les logiques subjectives. J'en fais, dans un travail précédent, des avatars des multiples relations d'objet du patient. Le travail de l'analyste, à travers d'autres cas, à travers ses lectures, sa formation, fait là gagner un temps précieux pour que des résonances positives dans le transfert analytique permettent l'exploration de ces structures conscientes et inconscientes, dans lequel se débat un désir immobilisé, englué.
Une fois ce travail fait, pendant qu'il se fait, se configure une nouvelle logique subjective, celle qui est en cours dans l'analyse et au centre de laquelle, le désir du patient, dans l'immédiat, dans le réel du travail va être l'enjeu. Alors en même temps que s'accomplit ce travail d'analyse, d'explicitation des logiques subjectives douloureuses dans lequel est pris le patient, se construit une nouvelle logique subjective transférentielle, fondée sur la mutuelle sympathie du travail engagé, qui en est la condition la plus forte, dans laquelle la place du désir du patient a intérêt à être claire et bien repérée comme l'autre objectif du travail.
C'est ainsi qu'à la suite d'une intervention favorisant un dévoilement, une autre sera éventuellement bienvenue, qui relancera la dynamique désirante, si besoin. Ainsi ce patient pris dans un trait hystérique excessif, qui, lorsqu'il se dit devant moi "homme à femme", s'entend proposer : homme "afemme", avec un a privatif. C'est à dire qu'il ne se définit que de n'être pas une femme… Lorsque ensuite il me signale qu'il voit où je veux l'emmener, il me faudra alors lui glisser qu'il s'agit de ce qu'il veut lui, et non de moi, qui n'en veux, bien entendu, qu'à son argent !! Cette réponse, possible en ce cas, différencie nettement mon approche de celle de Lacan, qui aurait peut-être répondu qu'il ne voulait rien, lui, ou plus probablement, qui aurait gardé simplement le silence. En le situant le plus clairement où est mon plaisir, et pas seulement mon désir, j'autorise ainsi très explicitement la reconstruction subjective.
Un tel dispositif montre que des contradictions peuvent se situer entre les deux plans. Parfois des renforcements. Au fond, il n'est pas toujours possible, lorsqu'on est dans ce travail d'explicitation des structures du patient, de laisser la place à la dynamique désirante, mais ce n'est pas très grave, à mon avis, si on le sait et si on sait qu'il s'agit d'un temps du travail. Mieux vaut que quelqu'un puisse repérer, circuler à nouveau, se déterminer, éventuellement sortir de logiques subjectives douloureuses avec l'aide du regard, de la présence et de la parole du psychanalyste, quitte à rejouer à ce moment une dépendance transférentielle qui ira à l'encontre de l'exploration de son propre désir par le patient, mieux vaut cela si c'est reconnu, repéré par l'analyste, que de patauger dix ans ou quinze ans dans une impossibilité du patient seul à faire le tour de ses structures subjectives faute d'aide suffisante de l'analyste, j'ai bien dit aide à un certain moment dans la cure. Il est des temps différents dans l'analyse, le temps de comprendre par exemple, et le temps de comprendre seul ensuite, pourquoi pas… En fait, l'oscillation est possible et souhaitable, presque toujours.
Lorsque l'élaboration du désir du patient dans le processus transférentiel devient à nouveau la priorité, l'aspect actuel de la problématique, l'aspect transférentiel immédiat, va favoriser une dynamique qui peut emmener à la fin de l'analyse par exemple. Mais cela peut être au détriment, si c'est fait trop vite et trop tôt, de nombreuses logiques subjectives qui n'ont pas été explorées qui n'ont été localisées, identifiées et dans lesquelles le patient risque de retomber rapidement malgré son avancé transférentielle. Alors, dans ce domaine là, pas de leçon, pas de mot d'ordre, tout est affaire de nuance, de temps, de patience, mais en tout cas, là encore de complexité.
Il n'est pas simple de faire une analyse en tenant compte des ces deux dimensions, de ces deux versants, on va dire le versant analytique au sens de l'analyse d'un problème, le versant désirant dans le sens de l'appropriation par le patient de son énergie psychique.

Ainsi, une rencontre transférentielle est une rencontre dans laquelle une nouvelle structure s'ajoute aux structures habituelles du patient. En termes de logiques subjectives, une rencontre thérapeutique est une logique subjective de plus ajouté à ce qui est préexistant à la rencontre.
C'est à dire que la structure du patient n'est jamais aperçue de façon pure, elle est toujours compliquée de la structure de la névrose de transfert qui vient se mettre en place. Donc, on observe jamais rien, mais on participe toujours à quelque chose. C'est le propre de la psychanalyse. Au fond ce que l'on va mettre en évidence est déjà partiellement faux, puisque du moment qu'on le met en évidence c'est qu'on a dessus un regard, une appréhension, une subjectivité qui déjà transforme la structure que l'on vient de voir par le biais de la force transférentielle.
Cette création continuelle, dans l'instant de la séance, d'un élément structurel supplémentaire est ce qui va déterminer le travail et l'opérativité de l'analyse. Cette structure supplémentaire amenée par la rencontre thérapeutique va pouvoir servir d'abri, de creuset, de façon à ce qu'une histoire se déroule et se déroulant s'aperçoive et se modifie. Elle va aussi impliquer que le désir du patient s'inscrive autrement, dans un temps individualisé, dans cette structure nouvelle développée par le transfert.
Alors, ne jamais oublier ces deux plans qui consistent, comme il a été dit précédemment, à intervenir sur un problème en sachant que l'on en crée un autre par cette intervention même.

Rappelons ici ce qu'est une séance de psychanalyse idéale : une histoire circule, dont je ne sais si elle est vraie ou fausse, d'un patient qui a l'impression tout à coup d'avoir un discours qui se libère, un désir qui circule à nouveau, une vision claire de son histoire. Ses projets se remettent en place, une sérénité active s'empare de lui. Chemin faisant, il se retourne et se rend compte que son analyste était mort…
Il est tout à fait certain qu'une séance d'analyse idéale implique cette configuration, c'est à dire la mort réelle de l'analyste : à ce moment là, effectivement une structure peut cheminer dans un transfert totalement virtuel qui permet l'appréhension la plus rigoureusement proche du désir du patient, dans un simple effet de retour de la parole sur elle-même.  Le discours se déconstruit alors lui-même à simplement s'entendre…
Alors, si dans la pratique évidemment on ne fait pas toujours aussi bien (!), il convient d'avoir en tête que notre propre désir de vie va toujours, constamment, encombrer le trajet du patient. Cet encombrement sera la force même du transfert actif, le plus pointu du travail de reconstruction, du côté de l'analyste. Comment encombrer et désencombrer son patient ? Cette question, avant tout éthique, fait tourner autour d'un chemin fort étroit : en quoi les interventions de l'analyste perturbent ou facilitent la reconstruction désirante du patient ?
Ce travail, complexe, totalement ascientifique en réalité et constamment approximatif est la seule réalité à laquelle nous pouvons parvenir dans le vivant d'une analyse. C'est un concept de bricolage entre soi et l'autre, qui est le véritable habitus du désir. Cette allée et venue, sans cesse, entre la structure étudiée et le vivant du transfert, laisse à ce métier une part d'improvisation et d'art qui est sa force et sa faiblesse.
En fin de compte cette alternance entre l'élément structurel et l'élément transférentiel trouve sa clef d'être une suite sans fin. Cela forme effectivement une fonction, une suite divergente. Dès que l'analyste observe une structure dans son travail, par la présence et l'écoute qu'il incarne au travers de l'observation de cette structure, il permet au patient de créer une nouvelle logique subjective qui va immédiatement s'intégrer dans la pensée d'une manière agoniste ou antagoniste, en tout cas qui va compliquer le problème. Au fond, dès que l'on observe quelque chose, on le transforme, en psychanalyse comme en physique. Voilà une autre façon de dire que l'effet de l'interprétation est incalculable : c'est que l'interprétation elle-même ajoute une logique subjective aux structures déjà existantes et va ainsi amener à modifier la donne, sans cesse, en tout cas tant que dure l'analyse. L'analyse est donc, tant qu'elle existe, une complication subjective du patient, dans laquelle il va ou non trouver des espaces nouveaux de circulation.

La fin de l'analyse est, alors, la capacité qu'a acquis le patient de trouver chez tout autre les renouveaux référentiels dont la vie a constamment besoin. Et non pas de retrouver une structure fixe, établie, arrêtée, immobile, bloquée et liée à un interlocuteur imaginaire unique, le fameux grand Autre isolé par Lacan, projeté sur l'analyste, et fossilisé sous le fantasme de "moi renforcé". Le fait même de demander une analyse implique en réalité une position de grand Autre dont le patient a à se déprendre. Cette affaire d'un "moi fort" en fin d'analyse n'en est que le retour sous une forme déguisée…
Structure et transfert sont intriqués dès la demande d'analyse… et le restent à la fin ! Seul l'interlocuteur changera, variera, et ouvrira à une nouvelle variété de transferts et de structures, plus adaptée au mouvant de la vie. Au fond, structure et transfert sont deux plans d'analyse différents, successifs, mais dont l'intrication fait le vivant même de la psychothérapie et de la vie tout court.

Il faut, quant on étudie la dynamique même du transfert, différencier le problème du blocage transférentiel de celui de son avancée. Je m'explique : le blocage transférentiel va être, au fond l'énoncé du symptôme, c'est le vécu et la description par le patient d'une butée de son désir, qui prend la forme de telle ou telle manifestation symptomatique. Bien entendu, s'il vient nous voir, c'est qu'il n'a pas réussi avec sa simple énergie et avec celle de ceux qui sont autour de lui, à trouver une issue, un contournement de son problème. Aussi, faut-il faire le bilan de la capacité que va avoir le patient à se diriger dans les voies de sortie de son impasse puis de son impossibilité à le faire, soit de son désir conscient de guérir et de son désir inconscient de ne pas le faire.  Ma fois, s'il suffisait de se taire et de se poser derrière quelqu'un pour qu'il trouve une solution plus économe en angoisse et en symptôme à son existence, la formation de l'analyste ne demanderait plus que peu d'études et de travail, simplement un solide narcissisme qui permette de naviguer silencieusement à l'écart de toute souffrance. Certes, on l'a vu, " faire le mort " n'est déjà pas rien. Cependant, un tel positionnement est heureusement insuffisant. La question de l'interprétation vient alors aider à démonter une configuration complexe et largement inconsciente. Dans ce cas, l'avancée de l'analyste, sa présence active, le soutien qu'il propose, quelle que soit sa technique, vont lui donner immédiatement cette position du sujet supposé savoir, qui va en elle-même poser le problème que l'on sait dans un deuxième temps. La dynamique même du transfert fait que lorsque l'analyste s'en mêle, s'emmêle, il va prendre une position vitale pour le patient et, dès lors, casser l'énergie que ce sujet met, lui-même, à se positionner dans son existence.
Aussi, est-il probablement rigoureux de poser que toute intervention de l'analyste vient remplacer la dynamique désirante du patient par un recourt imaginaire à l'analyste. Il n'y a ainsi, de ce point de vue, pas de bonne interprétation, mais des moments où on s'emmêle avec le patient, suivi d'autres où on se démêle… Que l'interprétation émane de freudien qui insiste sur les instances psychiques ou de lacaniens qui interviennent sur le manque de l'objet (a) ou le statut signifiant, le résultat, de ce point de vue, est le même… On passe constamment, qu'on le veuille ou non, de l'organisation au bruit, puis du bruit à l'organisation…
L'analyse est ainsi faite de temps qui se succèdent et qui sont contradictoires les uns avec les autres, qui sont dans un rapport là encore, d'hétérologie. Le temps d'interprétation est donc hétérologue au temps de l'élaboration du désir. Le temps de l'élaboration du désir sera à son tour hétérologue au temps d'interprétation. Ils sont d'une autre nature, contradictoires, la seule sortie possible de cette mécanique complexe étant contenue dans le temps de l'analyse pour le patient et l'analyste.
En arriver à une notion d'hétérologie dernière, c'est à dire à l'idée que le complexe, l'imprévisible et au fond le mobile, produits de l'action, du choix, du temps, sont les habitats du désir du patient dans une transmission incontrôlable, voilà une chose qui n'est pas claire, certes, mais qui, du fait qu'elle n'est pas claire, laisse la voie ouverte, évidemment, au multiple possible du désir. Une telle phrase renvoie, pour ceux qui l'on lu à "L'homme sans qualité" de Musil qui, au fond, est le texte fondateur de l'analyse même si personne ne le savait, ni Freud, ni Musil à l'époque où ils se côtoyaient.
C'est dans ce texte, pour ceux qui voudraient le relire que se retrouvent, au mieux, ces articulations mutuellement opaques entre structure et désir, dont je vous parle aujourd'hui.

    La question du transfert et de la structure s'éclaire énormément si l'on y pose donc que le moi est une notion mouvante qui s'étend et se modifie avec les relations du sujet. Si l'on peut dire que la psychanalyse est une entreprise de démoyautage, c'est d'abord pour libérer l'idée d'une subjectivité dynamique, d'un mouvement et non d'un état, d'un moi autonome d'un côté (freudiens), ou d'un sujet en désêtre de l'autre (lacaniens), existant solidement à distance des humains, ce qui est démentit de toute part. La désubjectivation dont se plaignent alors parfois les lacaniens victimes de leur propre dogmatisme, est en fait une méconnaissance de la fécondité de cette séparation fondamentale entre le moi et le sujet. Le terme de désêtre introduit par Lacan induit en fait cette erreur, car il s'agit plutôt d'un être en constant mouvement, en constant changement, comme l'indique pourtant la formule qu'un signifiant représente ce sujet … pour un autre signifiant, que d'un état du désir de l'analyste, lequel serait de son vivant dévolu à la mort !
    Au fond, le moi est une notion extrêmement dynamique qui se mobilise à chaque rencontre transférentielle. Aussi, c'est cette mobilisation elle-même qui représente le sujet. Si le sujet est représenté par un signifiant pour un signifiant, comme disait Lacan, c'est effectivement entre deux configurations du moi que la dynamique subjective se repère. Ainsi, dans le trait psychotique, dire qu'il n'y a pas de sujet, revient à dire qu'il y a un moi stable, fixe, rigide, ou au contraire totalement déstructuré, mais dans les deux cas qui est devenu presque indépendant des relations objectales. Tout est dans le "  presque "…
    On voit ainsi que le travail transférentiel en analyse est, par définition, constamment du côté du remaniement du moi, puisque n'importe quelle relation objectale nouvelle créant une logique subjective nouvelle, va avoir des effets sur l'intégration de cette logique à celles qui préexistent.
    Ainsi, structure et transfert, sont indissolublement liés. Ils font partie d'un même ensemble, mais d'un même ensemble dynamique. Lorsque le transfert existe, la structure se modifie, et, au fond, toute modification de structure, du côté analyse du transfert, va emmener à une modification de la structure elle-même observée
    Rien n'est fixe en analyse, c'est d'ailleurs ce qui est recherché. Toute visée structurelle, du côté de l'analyste, qui méconnaîtrait que le simple fait d'apercevoir cette structure modifie la donne, serait risquée, de la même façon que toute position de l'analyste exclusivement du versant du transfert qui serait supposé subsumer la structure, sur le modèle idéal du désêtre lacanien,  méconnaîtrait les persistances obligatoires et toujours pesantes des structures, on l'a vu.
Au fond, dans cette affaire, seul le trait psychotique aurait un mode de fonctionnement différent quant à cette alternance sans fin du point de vue structurel et du point de vue transférentiel. Si l'on a vu que l'un des traits psychotiques majeur était lié à la disparition de la dimension de l'autre qui amène soit à une explosion des logiques préexistantes, soit à une absence de canalisation des désirs et pulsions du patient, dans un cas comme dans l'autre, au fond, on peut dire que le trait psychotique se défini du fait qu'il n'y a pas de remaniement structurel dans la rencontre transférentielle. A l'extrême, il n'y a pas de rencontre transférentielle proprement dite, elle est empêchée par une extrême difficulté de réminiscence.
Mais bien loin dans conclure que le travail analytique est ainsi fondamentalement différent ou impossible, il faut simplement réfléchir aux causes de ces disparitions de la relation d'objet, momentanée parfois, les repérer, tenir compte du traumatisme qu'a représenté l'autre à un certain moment pour le patient, et restaurer, par la qualité, le plaisir et le tact de la relation, cette dimension d'altérité dont va en retour bénéficier le patient pour réinvestir ses relations d'objets dans l'analyse d'abord et hors analyse dans un deuxième temps.
    Alors, là, effectivement, la question de la structure et du transfert se pose différemment. Dans la question du trait psychotique, bien sûr, la structure est totalement seconde, et ce qui va occuper le terrain est la qualité du transfert et le respect, le tact de ce transfert. C'est particulièrement sensible dans le travail avec le trait autiste qui nécessite une présence, une disponibilité, un silence, une attention à la demande de l'autre extrêmement précise et une abstention lorsque cette demande est absente, tout à fait rigoureuse. Ce maniement transférentiel permet de restaurer la relation d'objet et donc de  restaurer aussi la capacité du sujet à commencer à reconstruire ou construire ses logiques subjectives. La structure s'apercevant ensuite dans l'effet même de transfert.   
    On peut prendre aussi l'exemple d'une bouffée délirante à  l'adolescence ou les paradoxes axiomatiques dans lesquels sont pris ces jeunes adultes ou ces adolescents, sont tels que les logiques s'annulent les unes les autres, explosent l'une après l'autre. La position du thérapeute est là, tout simplement d'essayer de faire tenir quelque chose, un lien qui ne soit incompatible ni avec le lien familial, ni avec le lien social de l'enfant, de manière à lui permettre de reconstruire, un peu plus solidement, quelques logiques d'êtres à valeur narcissique.
    Là encore, la priorité, va être à la refondation axiomatique de ce transfert, les axiomes de la logique subjective transférentielle nouvelle qui se crée dans la relation thérapeutique devant encore une fois là, être tout simplement compatible avec le familial et le social, ce qui n'est pas toujours simple. Et explique à soi tout seul les cas positifs et les cas négatifs.
    Alors donc, pour résumer, dans le trait psychotique, l'accent est mis, majoritairement sur l'aspect transférentiel, puisque la structure ne va pas s'inscrire. Elle viendra s'inscrire dans un second temps en raison de la qualité de ce lien.  Ou, autrement dit, si la structure se voit, reste fixe, indépendante de l'autre, c'est que le lien transférentiel du thérapeute n'est pas encore au point…

Pour les autres traits, le travail est constamment sur l'un ou l'autre bord d'une façon logiquement nouée. Pour ceux qui aiment les métaphores, on peut dire que la question du transfert et de la structure est d'ordre quantique, c'est à dire relie deux mécanisme, l'un repérable en terme de solution de continuité, la structure, l'atome, les configuration électronique avec les effets de spin etc… et un autre, qui accompagne le précédent, mais sur des modes d'analyses différents, d'ordre ondulatoire, transférentiels, beaucoup plus difficile à analyser, beaucoup plus ubiquitaire, mais en fait, lié aux modifications du premier plan par des effets de seuils successifs. Sans arrêt, la physique quantique passe de l'analyse ondulatoire continue à l'analyse énergétique discontinue dans des effets mêlés. Il y a là, quelque chose de très analogique avec ce que j'essaye de décrire entre le transfert et la structure.
    C'est évidemment un peu différent des exemples lacaniens, de la bouteille de Klein ou de la bande de Mœbius puisque qu'il s'agit là de la même structure prise d'un bord ou de l'autre alors qu'il s'agit chez moi de différences de domaines importantes.

Conditions du transfert
La qualité de transfert, en elle-même, implique autre chose que des éléments de structures. Elle implique de l'attention, de la reconnaissance de l'autre, du temps bien sûr, je ne vois pas comment ce travail peut être fait sans un temps minimum, que je situe pour ma part autour d'une demi-heure en moyenne dans les séances avec mon mode de fonctionnement, mon style personnel. Je ne dis pas qu'il faut faire comme cela. Mais cela nécessite de toute façon de l'investissement, de la chaleur, de la proximité, parfois du respect, parfois de la froideur, parfois de la distance. Enfin, tout cela est affaire de tact, il faut vraiment résonner avec ce que l'on entend que l'autre supporte ou demande du côté du plaisir du lien.
Dans la théorie de Lacan, place est faite à la jouissance, pas au plaisir….  Laquelle jouissance est connue pour poser problème plus que pour en résoudre. De la jouissance effrénée du psychotique à la simple jouissance du symptôme, il conviendrait plutôt de s'en méfier. Ceci pour aboutir à ce que la femme n'existe pas, comme chacun sait, dont une variante est de dire que le lien social n'existe pas non plus… Ne resterait alors, du désir de l'analyste posé comme une sorte de point oméga du désir, qu'un désêtre morne, seul ou vibrionnant dans un lien social dont il n'y aurait rien à attendre, une fois débarrassé du bonheur, de la jouissance et du plaisir. Quel programme !
Et pourtant, j'ai fait, comme certains ici, partie de ceux que Lacan a fasciné, passionné, guidé souvent. C'est, bien entendu, qu'il y a du vrai, dans tout cela. Dans le destin humain, mieux vaut être sans illusion : il paraît que cela finit toujours mal, m'a-t-on dit. Et il est vrai que les amours se fanent, les enfants partent, le corps se désorganise. Bref, le réel auquel nous avons affaire n'est pas exactement superposable à notre désir, cela paraît indubitable. Mieux vaut le savoir que le dénier, c'est encore plus vrai, et la méconnaissance de ceci est grande pourvoyeuse de traits psychopathologiques.
Mais, bon, en examinant les choses de plus près, il en reste à dire ! Ce n'est pas de sa jouissance, comme il est trop souvent dit, dont souffre tel patient aux prises avec un trait psychotique, mais bien qu'elle soit déliée… Là dessus, tout le monde est pourtant d'accord. Si elle apparaît au premier plan, c'est qu'elle est seule, loin du réel, loin du symbolique qui en permet l'accès dans l'espèce humaine. De même, les traits névrotiques qui mettent nos patients à l'épreuve de plaisirs dits régressifs, ou vécus comme honteux, comme celui de rester au lit tout au long du jour, avec tout le cortège des conduites masturbatoires, tous ces plaisirs volés au social, au familial, qui entraînent l'imaginaire dans des idéaux dont tout le monde ne fait pas un roman qui marche ou un film, tous ces plaisirs ne sont accompagnés de souffrance que dans la mesure où ils ne s'intègrent pas dans une toile de projets, de désirs partagés, de constructions qui relient le sujet aux autres dans le plus authentique possible de son désir. Nous savons bien que là est le chemin, en même temps que doit s'éclairer ce qui y a fait obstacle.
En fait, dans la pratique, nous savons tous que le trajet passe par les retrouvailles du plaisir du lien, du lien entre le plus profond de nous-même et ce qui se montre à nous, et aussi entre ce que nous sommes et les autres. Nous savons aussi que ce chemin passe par le transfert, que l'accès à la structure du symptôme est transférentiel.
Dans cet espace protégé qu'est la cure, la pesée du désir de l'autre sur soi est normalement neutralisée par le paiement du patient, sous entendu que l'analyste n'en veut qu'à son argent. C'est cette neutralisation financière du désir de l'analyste qui ouvre la voie à un nouveau plaisir du lien. Ce plaisir transférentiel est le creuset, la condition qui va permettre le remaniement des logiques subjectives du patient, qui va faire qu'en deux plaisirs, celui du symptôme et celui de l'analyse, le sujet va choisir, intégrant en lui les structures nouvelles produites par le travail thérapeutique. Si le transfert est le vecteur du changement psychique, c'est par le plaisir de lien dont il est porteur. L'accès à la structure inconsciente passe aussi et surtout par le plaisir de la rencontre avec le thérapeute… Ce plaisir inclus le tact, ce qui veut dire qu'il ne s'agit pas de se taper sur le ventre !!
C'est ensuite seulement que le travail avance, progresse, lorsque les logiques subjectives se compliquent, se socialisent, que les traits de jouissance acceptent de se tempérer, de se différer, permettant peu à peu au plaisir d'investir, en lien avec la profondeur de l'être, les plans qui faisaient jusqu'alors défaut :  l'autre, le social.
Il ne faut pas craindre là un effet d'analyse interminable, de transfert fusionnel, bien au contraire. C'est lorsque ces conditions ne sont pas remplies que l'analyse n'en finit pas, parce que rien ne se remanie vraiment, dans un attachement qui risque de virer à l'identification à l'agresseur sur laquelle est fondée toute secte.
Au contraire, une fois que le patient a recouvert une capacité suffisante de circuler en lui et avec les autres, il n'est pas d'inquiétude à avoir : le rapport analytique n'est pas l'idéal de la rencontre humaine, ce dont tout patient se rend compte quand il en a fini avec son trop d'aliénation… Bien entendu, ceci est largement conditionné par l'analyse de l'analyste, de sorte qu'il soit suffisamment à l'abri d'une utilisation névrotique personnelle du plaisir de ses patients, favorisant au contraire la circulation authentiquement personnelle et sociale de ces énergies transférentielles. Il convient d'être bien engagé dans ces chemins de transmission que propose, in finé, l'éthique.

    Cette notion n'est pas complètement quantifiable, pas plus que la théorie ondulatoire du versant quantique, mais permet la mise en place de structures repérables, permet leur analyse, parfois leur reconstruction, virant alors au versant atomique de la métaphore quantique. Comme le physicien d'une mathématique à l'autre, l'analyste a à savoir passer d'une logique à l'autre.





Retour aux logiques subjectives

    On repère mieux, en tout cas dans ce travail l'intérêt du concept de logique subjective. Je vous rappelle que cette logique est fondée sur un axiome, comme toute logique. Que cette axiome est lui-même dépendant d'une rencontre réelle et fondé sur ce que l'on peut appeler un stade du miroir généralisé : en supposant qu'à chaque fois qu'une rencontre humaine se produit, une espèce d'ontologie du stade du miroir recommence, avec les bases d'un nouvel apprentissage, d'une nouvelle logique d'être avec l'autre. Et cette logique relationnelle, cette logique subjective s'inscrira avec les précédentes d'une manière plus ou moins congruente. L'espoir est que l'analyste aura une certaine propension à aider à faire fonctionner de nouvelles logiques subjectives qui vont dénouer, relier ou séparer, selon la problématique rencontrée, des problématiques conscientes et inconscientes chez le sujet, qui occasionnait la souffrance pour laquelle il est venu.
Ceci implique qu'il n'existe pas de logique humaine qui ne soit liée à la subjectivité. Nous sommes toujours lié à l'autre, à tel point que les structures mentales, quelles qu'elles soient, ne se développent que  grâce à nos partenaires de vie, de toujours et pour tout le monde. Je renvois au dernier livre de Gérard Pommier à ce sujet " Quand les neurosciences démontrent la psychanalyse". Bien que je me sois fort éloigné de ce lacanisme zélote qu'il illustre trop souvent, les thèses qu'il expose sont fort convaincantes par ailleurs : ni le cerveau comme organe, ni le sujet comme pensée ne se conçoivent sans l'interaction structurante et décisive de l'autre.      
 
Reste à voir que l'essor des neurosciences annonce la fin de l'effet placebo : nous aurons les moyens de constater maintenant que les soins qu'apportent un être humain à un autre ont des effets cérébraux, que l'attention, l'écoute soigneuse, la prise en compte de l'autre modifient des fonctionnements cérébraux… L'effet placebo sera alors remplacé par la fonction thérapeutique du lien humain, quand il est de qualité, dès que les neurosciences s'en seront aperçue. Ce sera tout de même plus doux que la psychochirurgie. L'effet symbolique de la présence de l'autre réel va se voir, se mesurer.

Ainsi, le transfert est-il le creuset des logiques subjectives thérapeutiques.
 Voilà ce qui fait jouer la question du transfert et de la structure d'une manière toujours dynamique, constamment mobile. Au fond, étant donnée par ailleurs l'impossibilité de repérer l'ensemble des liens qui vont se créer lors de la constitution d'une nouvelle logique subjective, on comprend mieux en quoi l'effet de l'interprétation est incalculable la plupart du temps et comment la souplesse, l'humilité  et la capacité de replis, de silence et d'attention de l'analyste sont les conditions de l'écoute de cette complexité du patient, les conditions de l'adaptation de l'analyste à cette complexité toujours singulière, toujours infiniment variée du patient. Etant lui-même pris dans la structure qu'il observe, d'une manière absolument patente avec ce mode de description du phénomène transférentiel, on comprend que l'humilité devienne sa principale qualité...

Le point le plus important est que c'est autour de cette oscillation entre transfert et structure que se dessine le désir.
En effet, que ce soit un excès de l'un ou de l'autre, et la mécanique désirante tombe en panne, on l'a vu : -excès de transfert, dans une dynamique fusionnelle ou hystérique, et voilà le désir du sujet obscurci, aveuglé par le désir de l'autre, dans un repérage dont la vacuité est garantie par un retour identitaire épinglé du sceau de l'autre, à la demande même du sujet …
                                                        -excès de structure, et voilà le sujet pris dans l'illusion d'une maîtrise de son désir, dans l'imaginaire d'une possession de l'objet, de la chose, dans les acceptions lacaniennes de ces termes. La barre entre signifiant et signifié tombe, la dynamique signifiante elle-même coagule entre un magmas revendicatif et défensif propice à toutes dérives préoccupantes. La vérité étant atteinte, elle devient vite à défendre, dans un combat sans fin, puisqu'il est alors situé entre le symbolique et le réel, qui dès lors ne s'articulent plus. Le trait pervers ou paranoïaque se signale là.

Au contraire, lorsque l'un représente la frontière du l'autre, lorsque la structure, qui on le sait s'appelle pour moi logique subjective, vient trouver sa limite par la présence du transfert, alors la dynamique psychique est relancée, l'enjeu est renouvelé, l'envie repart et réinvente. Que l'autre soit la limite de notre savoir, et voilà notre désir d'apprendre qui s'abreuve aux mêmes sources que notre désir de l'autre…
Une telle dynamique procède souvent par crises, qui préludent aux changements rendus nécessaire par le flux de la vie, le mouvement des autres. Il y faut donc cette condition majeure, souvent négligée par les auteurs qui ont remarqué ce mouvement perpétuel du psychisme : le plaisir de l'autre. S'il n'est pas suffisant, alors le risque est grand que le sujet en reste à ce qui l'anime, sans rien sacrifier à un autre qui ne représente pas suffisamment de plaisir pour lui. Le désir va peu à peu s'effacer devant une défense de soi de plus en plus rigide, car de plus en plus décalée avec le mouvement du monde, au fur et à mesure du temps qui passe.
A d'autres moments, c'est le transfert lui-même qui va se trouver borné par la structure. Il s'agit alors de ce qu'on appelle trop vite résistance en psychanalyse, qui est en fait l'insistance de soi face à la pression de l'autre, psychanalyste ou pas, qui veut toujours notre bien, cela va de soi. Justement, lorsque cela ne va plus assez de soi, lorsque l'analyse devient trop éloigné des logiques subjectives qui ont fondé le patient, alors la structure fait obstacle au transfert, obligeant désormais celui-ci à s'adapter, au risque d'une rupture dommageable à soi et à l'autre. La résistance est d'abord à entendre ainsi, comme une incitation forte à ce que le partenaire transférentiel, et singulièrement l'analyste, remanie son mode de penser et d'être avec son interlocuteur. Elle implique un travail de remise en question de l'analyste, afin que son patient continue à accepter de montrer, ouvrir ses logiques d'être. Là encore, l'enjeu est du côté du plaisir d'être ensemble, de l'attention que chacun porte à l'autre, de la qualité adaptative de la relation. La résistance est d'abord et avant tout la marque du désir irréductible du patient, en ce qu'il n'est pas entendu par l'analyste.

Transfert et fin d'analyse

Une telle vision du psychisme, de la structure et du transfert  pose en d'autres termes le problème de la fin de l'analyse : si pour le Freud de la première topique, l'éclairage suffisant du plan de l'inconscient, et en particulier du surmoi, permet d'élargir la fonction du moi à une conscience qui permet à nouveau le choix éclairé, alors un terme de l'analyse existe, qui se relie à un dévoilement de l'inconscient. La supposition explicite de Freud est donc que l'enfance est le temps de la constitution de la névrose, l'interprétation de l'analyste participant au dévoilement de celle-ci. Une telle issue est impossible dans une définition incluant une dimension constamment  axiomatique de l'inconscient : quelque soit l'âge, l'inconscient persiste, et la fin de l'analyse ne peut coïncider avec sa mise à plat, qui est donc impossible.
Pour Lacan, l'issue de l'analyse est la traversée du fantasme, et l'assomption du désêtre. Sans même parler de la passe, dont Marc Thiberge fait une critique qui me convient bien dans son séminaire, qu'on peut résumer comme la manipulation d'une parole en vue d'une réduction à une idéologie scolaire, là non plus, on n'est pas vraiment dans l'humain : l'expérience et le bon sens montrent que l'on ne traverse un fantasme que pour s'embarquer dans un autre, d'une part, et d'autre part que le désêtre, comme son nom l'indique, ne se rencontre pas chez l'humain, et, si je puis dire, encore moins chez les analystes. La rigueur oblige à soutenir que Lacan proposait une sortie inhumaine à l'analyse…
Alors, que reste-t-il ? Le séminaire de Marc Thiberge ouvre une troisième voie : que le travail de l'analyse rappelle, renforce, ou recrée, selon les cas, la désintrication libidinale originelle (ce que Freud avait indiqué comme l'identification primaire au père, dont l'œuvre de Lacan fut au fond l'exploration, amenant au primat du symbolique à travers l'invention du signifiant), dégageant ainsi une issue sociale et culturelle à la marmite pulsionnelle familiale. Cette voie est plus humaine, plus à portée, car elle maintient, le disant sans le dire, une condition réciproque d'hétérogénéité entre le lien social et le sujet. Mais il me semble justement que la radicalité de la différence de nature que pose le séminaire de Marc entre ces deux plans ne facilite pas le maniement de cette vision de la fin de la cure. La sublimation, sous-jacente à cette théorie, même si elle n'est pas à confondre avec elle (le social est du côté de l'acte, pas seulement de la pensée), implique une désincarnation, une dé subjectivation du social qui ne me paraît pas très maniable, et qui risque donc de revenir dans le réel…
En effet, ce que je propose, c'est que le social et le sujet, s'ils sont de nature hétérologue, restent cependant ainsi noués : l'hétérologie, si elle radicalise la différence, maintient aussi le lien. Et celui-ci tient tout bonnement d'une refondation réciproque et discontinue. Réciproque, car la famille qui fonde le sujet, est une émanation du social, en fait partie intégralement. Il faut relire à ce propos le travail sociologique et historique de Philippe Ariès….  Plus tard, le statut social et professionnel soutient constamment le sujet, le remodèle, le fait évoluer, comme le montre hélas toute la pathologie de carence sociale liée au déchaînement actuel du néolibéralisme. On dit qu'il faut deux ans de soutien pour quinze jours de rue, pour rattraper quelqu'un!!! Il est vrai que quand on a connu cela, pour refaire confiance…
 A l'inverse, le discontinu, c'est bien le sujet qui mobilise à son tour le social, dans son risque et son invention : qui mesurera jamais l'impact politique et social de ce jeune chinois qui arrêta à lui seul le pouvoir central, sous la forme de cette colonne de char immobilisée ? En réalité, la Chine, pour cela et beaucoup d'autres choses, n'est plus la même depuis, et plus personne ne parle de danger à propos de ce pays, en dehors de la compétition économique. Ce jeune homme a autorisé le débat interne en Chine même, supprimant par là même la condition universelle  fondamentale de la dictature. (Il semble qu'il ait fait ensuite partie des morts dans fusillade qui a suivi.)
L'idée d'hétérologie, à ce niveau, permet de saisir en quoi des dimensions fort différentes, aussi éloignées par exemple que le narcissisme d'un côté, la raison d'état de l'autre, s'articulent parfois dans des refondations réelles, puis imaginaires dont les effets se développent ensuite séparément. Chaque domaine reprend ses droits, une fois la rencontre passée. Les logiques subjectives reposent sur un arbitraire qui est le témoin de l'hétérogénéité des domaines de rencontre.
Alors, l'analyse n'aurait donc pas de fin, puisque les structures subjectives se remanient sans cesse, au gré des rencontres plus ou moins fortes, plus ou moins structurantes, qui sont la vie même. Ces arbitraires qui nous entraînent, nous structurent, de gré ou parfois de force, impliquent un fourmillement axiomatique qui fera toujours le lit des manifestations inconscientes du sujet.
Simplement, un jour, peut-être a-t-on moins besoin d'un analyste particulier, incarné, si l'on sait apercevoir la fonction analytique que chacun d'entre nous représente pour l'autre. Il y faut, pour cela, une moindre souffrance, qui autorise l'ouverture, la mise en question continuelle. S'il n'y a, j'espère, pas de fin d'analyse, il peut n'être plus besoin d'un analyste au singulier quand le bricolage avec les autres suffit à nous éclairer…


On comprend mieux, avec ces outils, certaines limites des théories existantes en analyse ou en thérapie. Il faut pour cela revenir sur la question du contre-transfert. Lacan n'est faisait plus un élément dans un ensemble à deux voix, mais un effet de la structure même de la langue…, bientôt totalement désincarné, fixé et donc incompatible de ce fait avec ce que je développe.
Du coté des freudiens actuel, les théories de Bion ont fécondé un concept d'espace analytique dans lequel la genèse de l'interprétation fonctionnerait sur le modèle de l'effet alpha et bétha de l'auteur anglais. Le problème dans la technique de la cure, on l'a vu, est alors la confusion chez l'analyste entre les instances primaires, archaïques, supposées fixes et les bases axiomatiques, elles constamment remaniées.


Les idées que je propose permettent de simplifier tout cela, en gardant ce qui est commode… Simplifier : chaque rencontre crée une nouvelle logique subjective, un nouvel inconscient, si elle contient suffisamment de plaisir et de force. Il s'ensuit que la dimension de l'inconscient ne se dévoile pas, mais qu'elle se déplace, puisque la fonction axiomatique reste constamment présente pour toute logique, d'une part, et que d'autre part les compatibilités des logiques entre elles n'étant jamais que partielles, elles ne s'articulent jamais non plus complètement. Gardons cette idée lacanienne : si le désir ne cesse de se dévoiler, il ne cesse pas non plus d'être voilé…
Le contre-transfert est alors remplacé par le rôle, résultat de ce théâtre qu'est la rencontre avec l'autre, créateur d'un texte qui se fait à plusieurs : si, comme le soutien Marc Thiberge, il n'y a pas d'auteur, j'ajoute qu'il ne reste alors que des acteurs… Les deux sens de ce terme permettent de s'y retrouver, sans faire le contre-sens de Sartre, qui pensait qu'un acteur ne faisait que répéter : en fait, plus justement, il interprète… et, grâce à cela, renouvelle sans cesse…








Pourquoi cette cécité, dans les théories analytique, de l'acte de rencontre, fondateur dans le plaisir ? C'est que l'horreur de l'acte, souvent constatée, est l'hésitation devant ce qui nous engage.
Or, ce qui nous engage, c'est simplement de voir et entendre, puisque cela fonde le statut de témoin. Et le témoin fonde la preuve, laquelle fait loi, peut-on dire. Rendre justice à quelqu'un est le plus grand plaisir qu'on puisse lui faire, puisqu'on le resitue ainsi dans le lien humain. Si l'analyste ne fait pas la loi, fort heureusement, il est néanmoins constamment dans cette position de témoin, et participe ainsi à fonder le sujet qu'il écoute.
Les trois singes, voilà la tentation forte pour chaque analyste, chaque homme, de s'abstraire de la destinée qu'il constate. Ainsi Lacan, à l'annonce d'un des nombreux suicides de ses patients, dit-il "Et que vouliez-vous qu'il fît d'autre…"
N'être pas engagé dans la rencontre est ainsi parfois un désir de l'homme, et aussi ce qui l'éloigne le plus de l'humain.