Commentaire

Quand j'ai regardé la mère d'un oeil neuf j'ai réalisé qu'elle avait l'air d'avoir un problème personnel grave et quand je lui ai parlé de cela, elle a volontiers admis qu'elle allait souvent mal.
Plus tard, la mère a dit qu'elle était contente que je me sois aperçu, à partir de la façon dont le garçon se comportait, qu'elle était prise de folie devant l'enfant, et elle savait que c'était cela
qui le perturbait. Elle est elle-même en traitement pour son état mental.
Dans cet exemple de consultation thérapeutique, il est possible d'observer un garçon de six ans communiquer un schéma de personnalité complexe et dynamique, non pas un profil mais une représentation en profondeur, intégré dans un continuum espace-temps.

Il donne vite sens aux conditions spéciales de la situation professionnelle et parvient à avoir en moi la con?ance nécessaire. Cela posé, il s'amuse avec sa folie personnelle me mettant à l'épreuve pour voir si je supporte le « drôle ›› d'oeil et les trois narines. Puis il montre comment il a appris à adopter des défenses extrêmes de néantisation ou d'invulnérabilité. Il n'est rien de plus qu'une marque, une marque qu'on peut facilement ne pas remarquer. Il se trouve qu'il a le nom de
Mark et qu'il l'utilise sur le mode ludique.
Maintenant le décor est planté. Il est la en train de jouer avec moi et tout va bien. Il m'avertit que les trains doivent aller sur une voie secondaire pour laisser passer l'express. Du point de vue des details concernant le train å vapeur, il me parle d'un risque immense de destruction : le feu de l'autre côté du monde…
Puis brusquement, il devient fou, mais il est plus exact de dire- qu'il est possédé par la folie. Ce n'est plus lui que j'observe mais une personne folle, une personne qui est complètement imprévisible. Le train express traverse la gare à toute vapeur pendant que le train régional reste à l'arrêt sur une voie de garage. «Rien» n'est pas détruit par «quelque chose».
Puis la folie de la mère passe et le garçon commence à souhaiter utiliser sa mère comme une mère qui parle et dont il a besoin pour rentrer à la maison. Le garçon quitte ma maison
dans un état de contentement. Il a con?ance dans cette mère car il a pu me montrer comment elle devient folle, et la crise qui est celle de sa mère est maintenant objectivée et limitée de par ses propres bornes. Mark est donc devenu quelque chose au lieu de rien et il peut jouer de nouveau, même jouer à des absurdités qui, faisant partie de sa propre folie, ne sont pas tant traumatiques que comiques et risibles.
Je pense qu'il avait besoin de moi dans mon rôle spécial, besoin que je puisse le voir, penser å lui (le cerveau intelligent dans_la tête)› avoir l'expérience d'un contact avec lui reconnaître et respecter ses organisations défensives (ainsi que la défense extrême d'être « rien ››), être alors témoin de ses états de possession par la folie d'une mère lorsque sa propre mère est prise de folie devant lui. Il avait aussi besoin de l'autre contact, celui que j'avais avec sa mère, et par lequel je pouvais savoir que, lorsqu'elle n'est pas folle, elle est bonne comme l'est un parent responsable et elle est une épouse pour son père.
Où est-il quand il est rien? Je pense que dans la consultation, il s'est appuyé sur le fait que j'avais une image mentale de lui dans ma tête qu'il pouvait évoquer, une fois que le train express était passé et que le train régional pouvait sortir de sa voie de garage.

Note additionne?e

Bien que ce ne soit pas le propos de cet exposé, je désire ajouter qu'il y a eu une amélioration clinique considérable à la suite de cette unique consultation psychothérapique. Elle s'est manifestée dans la disparition du blocage scolaire dont se plaignaient les maîtres du garçon; elle s'est aussi manifestée dans l'attitude générale du garçon à la maison, dans le progrès qu'il
a fait vers l'indépendance, avec sa nouvelle capacité å fonctionner normalement à propos des excréments.







La lecture de ce cas à la lumière de tout ce que nous venons de travailler me semble illustrer assez bien ce qui peut se passer lorsqu’un flux d’informations entre chez un enfant sans qu’il ne puisse le dissiper à l’aide d’une construction en résonance avec lui-même et l’extérieur. La séance faite avec Winnicott permet que le chaos intérieur de l’enfant se transforme en organisation dynamique de son énergie, à l'aide d'une nouvelle information. Le gain social et personnel de cette nouvelle énergie dissipatrice mieux organisée abouti ici à un résultat satisfaisant.
On ne peut s'empêcher ici de penser aux fonctions alpha et béta de Bion, le parent fournissant par sa fonction alpha de rêverie positive sur l'enfant la possibilité à ce dernier d'organiser sa pensée et son désir à partir de son chaos béta, ou au contraire le désorganisant.
Au fond, la spécificité du développement de l'humain, sur le plan de la thermodynamique, et singulièrement des avancées de J. England, c'est que le flux qui autorise l'organisation de l'appareil psychique est tout autant de l'énergie entrante, sous toutes formes, alimentaire, sensorielles plus généralement, que l'information, dont il dépend tout autant. Pour parler en termes de Poincaré, le dialogue dans lequel est pris l'enfant lui permet-il d'intégrer, c'est à dire de donner une forme, ou en langage plus mathématique, une fonction linéaire, donc articulable à son désir?
Si au contraire, comme dans l'exemple précédent, l'apport du dialogue parental ne permet pas à l'enfant d'ordonner son désir de façon suffisamment cohérente avec lui-même et les autres, alors le chaos l'emporte sur la structure.
L'analogie est forte avec les mathématiques que nous avons vues plus haut, puisque les limites des fonctions non intégrables, entre le 19° et le 20° siècle, ont fortement reculé avec les progrès des processus statistiques, qui ont permis de résoudre des problèmes insolubles en mathématique linéaire, en particulier grâce aux avancées d'Hamilton et Boltzman. Cette théorie des stades adaptée aux mathématiques permet de mieux comprendre que la complexe avancée de la structuration narcissique nécessite elle aussi des opérateurs fournis par l'entourage au fur et à mesure des besoins du développement. A défaut, des fonctionnement chaotiques, non intégrés à l'univers symbolique, persistent et s'enclavent dans le refoulement ou la forclusion.
Qu'ainsi il n'y ait pas d'auto organisation de l'appareil psychique chez l'humain, voilà qui autorise la place du transfert et de l'interprétation psychanalytique, et plus généralement la place et la fonction de la transmission langagière, familiale et culturelle dans cette lutte sans fin contre l'entropie qu'est la vie humaine et son corolaire de transmission de connaissance. Ceci est lié au fait que le flux informatif, langagier, est une spécificité humaine, supérieure dans son importance vitale au flux énergétique, comme l'indique la pathologie anorexique. La transmission symbolique est ce qui chez l'homme assure essentiellement la lutte contre l'accroissement entropique.
Par contre, s'il n'y a pas d'auto organisation, il existe un auto équilibre, propre à chacun, parfaitement inconnaissable de l'extérieur, sauf à résonner ponctuellement lors de la réception d'informations symboliques qui l'aident à s'organiser. De ce point de vue, le sujet n'est ni prédictible ni manipulable, il ne peut que se rencontrer dans le langage.

Un autre exemple clinique pris dans la littérature, ce qui évite les accrocs au secret dans sa propre pratique…
Jean-Pierre  Bègue.
 "J’ai toujours peur que mon fils prenne froid et qu’il tousse"
Poussée par son mari qui menace de divorcer, Marie, une jeune femme d’une quarantaine d’années, s’est décidée à entreprendre une psychanalyse pour se débarrasser de l’obsession qui lui gâche la vie et celle de sa famille.
Au travers de ces séances, nous comprenons progressivement le sens du symptôme et sa fonction dans l’économie subjective du sujet. Marie surprotège son fils mais cette surprotection dont nous percevons bien le caractère excessif et obsessionnel masque en réalité une très forte agressivité dont l’objet n’est pas son fils mais l’image de son frère refoulée dans l’inconscient. Nous pouvons imaginer que, dans l’inconscient, une substitution s’est opérée : le fils a été mis à la place du frère et les sentiments inconscients liés à la représentation du frère se sont déplacés sur le fils. Marie ne peut accepter ses sentiments agressifs (dont elle n’a pas conscience), elle a donc mis en place, à son insu, un comportement de surprotection qui est le contraire d’un comportement d’agression afin de combattre et de ne pas reconnaître la haine qu’elle éprouve inconsciemment.
L’investissement hostile varie d’intensité selon les circonstances extérieures. Lorsque son fils est malade ou lorsqu’il a de mauvaises notes, il représente beaucoup moins son frère, la surprotection est suffisante pour empêcher l’agressivité de se manifester au grand jour, par contre quand il réussit, quand il est en bonne santé, il devient davantage l’image du frère, le garçon beau et fort qu’elle haït inconsciemment parce que cette image se trouve associée dans l’inconscient au rejet qu’il lui manifestait, dans ce cas la surprotection cède le pas à la critique et à des comportements agressifs remarqués par l’entourage.
D’autre part, Marie n’a sans doute jamais accepté que son frère en ait un, (un phallus), elle exprime clairement sa position psychique par rapport à la castration dans la séance où elle parle des chats et des arbres. Le fils malade ou en échec symbolise aussi pour Marie la castration dans l’inconscient ; si son fils n’en a pas, il est beaucoup moins dans l’inconscient le frère jalousé à cause de son identité sexuelle, elle peut alors se montrer tendre avec lui en le surprotégeant.
L’agressivité refoulée à l’encontre du frère se manifeste au travers des rêves de disparition, de guerres. A l’état de veille, les sentiments d’agressivité sont maintenus dans l’inconscient par la censure morale inconsciente du surmoi, par contre dans le relâchement du sommeil, les sentiments interdits peuvent apparaître a minima dans les images du rêve.
Le rêve de la sorcière est tout à fait explicite car il révèle le secret inconscient de Marie sans que celle-ci ne puisse encore établir le lien entre son fils et son frère ; les 2 représentations avec les affects qui y sont attachés demeurent isolées l’une de l’autre.
Le transfert de Marie sur moi marque une étape importante car c’est à partir de cette séance et au travers de celles qui vont suivre qu’elle va pouvoir exprimer et reconnaître la haine qu’elle porte à son frère. Progressivement, Marie pourra accepter ses sentiments vis à vis de son frère ce qui aura pour effet de rendre moins forte l’isolation entre la représentation du frère et du fils jusqu’au moment où elle pourra enfin reconnaître consciemment le lien qui s’est établi à son insu entre son frère et son fils. A partir de ce moment là Marie comprendra le sens de son symptôme et pourra se libérer de son obsession.


Cette observation a le mérite de proposer un lien entre la compréhension d'un refoulement et la guérison du symptôme. Ainsi, l'auteur pense que le fait que reconnaître le lien entre le fils et le frère est ce qui permet la libération. Les deux objets ne se superposant plus, chacun peut alors être traité pour lui-même. Sans doute, mais un autre effet s'ajoute donc si on suit ce qui s'avance dans le présent travail : la haine du frère, revenue à la conscience, devient par là même remaniable, et n'est plus un bloc fixe dans l'appareil psychique, douloureux par sa rigidité, et dont les affects intacts déplacés sur le fils définissent l'obsession.
Il y a fort à parier que la relation au frère peut éventuellement reprendre une dynamique vivante elle aussi après un tel travail. C'est que l'objet et les affects refoulés étaient maintenus hors des flux de la vie par le clivage, alors qu'ils y reviennent en redevenant conscients.
Ensuite, ce que ce cas amène plus précisément est la présence de phénomènes oscillants. Nous avons vu que ce mécanisme particulier d'organisation est très spécifique du vivant. Je conseille la lecture du beau travail récapitulatif à ce propos de d'Albert Goldbeter. Le modèle de ces mécanismes est le cycle de la glycolyse chez les levures : le sucre est transformé en ATP, utilisable par la levure. Quand la concentration en sucre est suffisante, la réaction a lieu, mais une inhibition est produite par un dérivé de cette réaction. Quand la vitesse de cette inhibition devient supérieure à l'entrée de sucre, celui-ci diminue. Quand il passe au dessous d'un seuil, l'inhibition diminue donc aussi, et le sucre augmente à nouveau, et ainsi de suite dans une série d'oscillations. Le thermostat de nos maison est un cycle oscillant, puisque la température n'est en fait pas stable, mais oscille insensiblement autour de la valeur réglée.
Un trait obsessionnel est lui aussi une oscillation, un phénomène auto régulé, puisque lorsque, dans l'exemple, la patiente couvre son fils d'un manteau, l'angoisse baisse, puis remonte lorsque l'acte est terminé, et que la pensée reprend son mécanisme complexe de déplacement. L'acte régule la pensée, laquelle régule l'acte, et ainsi de suite.