Du symbole au signifiant

 

Définition
 
Le signifiant est ce qui représente le sujet dans la langue. Il ne s'agit pas simplement que du nom et du prénom, comme chez les dauphins, mais aussi du récit de quelqu'un, c'est à dire l'ensemble des symboles que s'approprie un sujet pour parler singulièrement de lui, dans le contexte social. C'est ainsi que l'identité de quelqu'un dépasse largement son nom et son prénom, c'est aussi la parole qui est la sienne, son récit, son style, en lien avec celle des autres.
Cette définition est une dérive du sens purement linguistique, saussurien, de départ, en prolongement de ce qui fut construit par le travail de Lacan. Elle est donc à proprement parler psychanalytique.
Il tient largement du contrat, dans la mesure où il engage plusieurs êtres dans le jeu familial et social, dans un échange réciproque de droits et devoirs.
 
L'entrée dans le signifiant : le sacrifice du primaire.
 
L'entrée dans le contrat signifiant est essentiellement l'abandon de la toute puissance de l'univers instinctuel et de l'exploration du monde à partir simplement de son propre corps, de son génie génétique et instinctuel, au profit d'une identité altruiste.
Il faut donc que l'avantage en terme de plaisir soit considérable pour accepter le sacrifice de ce qu'en psychanalyse on a identifié sous le nom du domaine du primaire. Ce dernier n'est pas simplement la toute puissance du plaisir, qui serait absente dans le secondaire, ce qui se discutera plus tard dans ce travail, c'est surtout le domaine de l'instinct et du rapport exclusif du plaisir avec le fonctionnement du corps.
Cela ne veut pas dire que le corps est stupide et n'est pas capable de différer un plaisir en raison d'un déplaisir qui surgirait : ainsi cette expérience des perches en bassin, qui sont soumises à la tentation d'un appât qui leur est lancé. Au bout de deux ou trois prises, plus personne ne mord à l'hameçon ! Ces animaux apparement frustres ont appris à différer leur tentation de mordre la scintillante cuillère, en raison du contexte. Mais cet apprentissage reste lié à l'expérience intime de chaque poisson, il n'est pas transmis de l'extérieur de lui par l’acquisition culturelle d'un langage.
 
D'emblée, ce principe propose quelque chose de mystérieux : la notion de sacrifice est inhérente à la naissance même du signifiant. Au nom de l'entrée dans cet univers, le sujet, peu à peu, abandonne, sacrifie des pans entiers de son fonctionnement biologique, jusque sa vie enfin en bien des circonstances.
Toute la théorie des stades est une revue des sacrifices, d'un plaisir ancien au profit d'un autre qui lui est supérieur, que fait l'enfant pour entrer de plus en plus dans cet univers signifiant. Il oublie son instinct de dévoration pour maintenir sa mère intacte, puis il abandonne les plaisirs du sein pour satisfaire ce qu'on lui offre comme autres nourritures, refrène son soulagement d'évacuation des excrétats pour satisfaire à la demande de l'autre, abandonne son investissement libidinal familial pour explorer l'univers fantasmatique, puis social, et enfin s'éloigne de la (parfois..!) rassurante famille pour entre dans ce statut de citoyen qui peut l'amener à même sacrifier sa vie au bénéfice des siens.
 
Non que le sacrifice soit absent du comportement animal. Il va souvent jusqu'à la vie aussi, mais essentiellement en raison de paradigmes biologiques ou instinctuels, c'est à dire internes à l'animal. Au contraire du signifiant, qui est un élément fondamentalement externe. C'est ainsi, que, pour reprendre l'exemple de Dictyostelium discoideum, on sait que cette amibe, en période de sècheresse, est capable de former  avec une multitude de ses congénères de manière éphémère une sorte de limace, dont la partie émergente produit des spores qui partent à la bonne aventure dans le vent, mais dont la partie basse est sacrifiée et sèche sur place. Ou encore,[1] "Les spécialistes de l’évolution sont à peu près d’accord sur un point : pour qu’il y ait renoncement d’un individu à sa propre survie, il faut qu’il en tire bénéfice d’une manière ou d’une autre. Ce bénéfice est génétique et passe par la transmission d’un certain nombre de ses gènes (ce qui valut à Richard Dawkins un beau succès de librairie avec son livre « le gène égoïste »). Nul besoin, semble-t-il, que cette transmission soit abondante : il suffit que le bénéfice existe, si faible soit-il. L’individu compte bien moins que les gènes qu’il transmet.
Les comportements altruistes existent dans toutes les espèces.
Afin de comprendre le mieux possible cette notion d’altruisme dans la nature, j’ai pris l’exemple le plus emblématique, celui des insectes sociaux, parce que la rigidité de ces sociétés permet le mieux l’application de modèles mathématiques (c’est d’ailleurs historiquement chez eux que les études ont été les plus poussées) mais, dans toutes les espèces, de tels comportements existent : le rongeur qui signale en criant à ses congénères l’apparition d’un prédateur au risque de se faire immédiatement repérer, l’oiseau femelle qui attire sur elle l’agresseur pour l’éloigner de son nid, le lion qui tue les lionceaux issus du mâle qu’il vient d’évincer (il pourrait perdre leur mère qu’il vient de conquérir), etc. Autant de cas d’altruisme, autant d’explications diverses qui vont toujours dans la même direction : la recherche d’un bénéfice secondaire à l’insu de l’acteur lui-même, ce bénéfice étant la transmission d’une partie la plus importante possible de son patrimoine génétique.
 
 
Mais ces sacrifices sont constamment inscrits dans le corps propre de l'animal, au niveau biologique ou instinctuel. On voit alors l'importance immédiate de tous ces éléments éthologiques qui paraissent un peu éloignés de notre sujet, mais nous permettent à travers ces exemples de mieux connaître comment nous-même sommes si peu différents de ces animaux : même s'ils sont des automatismes biologiques propres à l'animal, ces processus de sacrifice individuels amènent tous un avantage pour l'espèce. Il en est de même pour l'investissement du langage, à l'évidence, ce qui explique son succès évolutif pour l'humain.
 
Sauf que ce point commun du sacrifice individuel au profit de l'espèce, qui est donc à la fois présent dans le monde animal et humain, diffère ensuite sur un plan considérablement important : pour l'homme, cet présence et cette opérativité du monde symbolique signifiant ne sont pas inscrites biologiquement ou instinctivement. Elles sont parfaitement externes à son corps, n'ont pas de rapport direct à sa physiologie. Nous verrons qu’autisme, mélancolie aigüe et poésie ont sans doute un rapport avec ce fait massif.
 
Dès lors, l'investissement par le sujet de cette représentation de lui-même extérieure à lui ne va pas du tout de soi. S'il a à y gagner, il a aussi à y perdre, en particulier pratiquement l'ensemble des processus dits primaires, en fait proprement biologiques pour être plus exact donc : tout le fonctionnement de son corps, ou peu s'en faut, va passer par ce filtre de l'autre et de son langage. Est-ce l’explication des pleurs immotivés et inconsolables qui surviennent autour du 3° mois de la vie des nourrissons ? Sont-ils dus à l’évidence qui s’imposent à eux qu’ils ont à passer par l’autre pour l’essentiel de leurs besoins et désirs ? Est-ce le signe du deuil de la toute puissance d’un fonctionnement purement interne ?
 
Cette aliénation extraordinaire, qui n'est plus déterminée biologiquement comme dans le reste du monde animal, pour qu'elle se produise, nécessite un puissant vecteur. Nous retrouvons là le plaisir qui est au centre de ce travail. En effet, si le registre symbolique secondaire est l'investissement du culturel et de l'accès ainsi médiatisé au plaisir du signifiant, encore faut-il que ce plaisir là soit supérieur au plaisir primaire pour que le sujet y vienne, et ensuite s’y maintienne...
 
[2] Rimbaud à Paul Demeny (Lettre du Voyant, 15 mai 1871)
[4] Le coeur conscient, Robert Laffont, 1960.
[5] « Boiter n’est pas pêcher « 
[6] 1. Olausson H, Lamarre Y, Backlund H, et al. Unmyelinated tactile afferents signal touch and project to insular cortex. Nat Neurosci 2002; 5: 900-4.
[7] https://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2006-2-page-405.htm#
[9] Empan 2016/1 (n° 101), pages 12 à 20
[10] https://www.lepoint.fr/culture/lacan-professeur-de-desir-06-06-2013-1688542_3.php