Et l'oedipe freudien dans tout ça ?
Freud est sans aucun doute de l'âge du Père. Il a fait beaucoup pour sauver le Père. L'Eglise a d'ailleurs fini par s'en apercevoir et laisse ses théologiens les plus avancés le célébrer. Lacan a suivi la voie frayée par Freud, mais elle l'a conduit ailleurs. L'expérience analytique montre que le Père est lui-même un symptôme. Le désir du Père, le désir pour le Père se laisse interpréter. Dans ce livre, Lacan le montre sur l'exemple de "Hamlet", de Shakespeare. Le prince Hamlet est mis au pied du mur par le fantôme du Père. La parole du Père le rend littéralement malade, le rend fou, elle est son symptôme. Le désir de Hamlet, captif du Père, finit par s'en émanciper, mais c'est au prix de la mort. Ce "séminaire 6" est à la fois un grand livre de théorie et un grand livre de clinique. Lacan donne aussi une clinique inédite de l'exhibitionnisme et du voyeurisme. On comprend en quoi tout désir a un noyau pervers.
Le "séminaire" se termine même par un éloge de la perversion !
Ce que l'on a couramment retenu de Lacan, c'est l'accent mis sur l'oedipe, la mise en évidence de la fonction du "Nom-du-Père", la mise en formules du montage freudien. Cela, c'est le point de départ de Lacan. Mais, dès son "Séminaire VI", le concept de désir déplace les choses. L'oedipe n'est pas la solution unique du désir, c'est seulement aussi sa forme "normale", normalisée, sa prison. L'oedipe lui aussi est pathogène. Le destin du désir ne limite pas à l'oedipe. D'où l'éloge de la perversion qui termine le volume. La perversion au sens de Lacan traduit une rébellion contre l'identification conformiste qui assure le maintien de la routine sociale. Puisque, selon Freud, la pulsion peut parfaitement se satisfaire dans la sublimation, c'est-à-dire dans des activités dites culturelles, elle ne se confond pas avec la "substance de la relation sexuelle". Vidée de la jouissance sexuelle, la pulsion subsiste comme forme culturelle, où se coule cette jouissance de la lettre que donnent l'art et la littérature.
Lacan annonçait "le remaniement des conformismes antérieurement instaurés, voire leur éclatement". Nous y sommes ?
(Ce séminaire parle de 2013. Les partisans du Père défilent dans les rues au nom de la tradition, tandis que ceux de "Pépère"* entendent créer des normes qui se substituent à cette tradition. Le psychanalyste n'a pas vocation à se faire le gardien de l'ordre ancien, le chevalier d'une cause perdue. Il ne peut pas croire non plus aux lendemains qui chantent : la voie du désir, ce n'est pas une partie de plaisir. Donc, il interprète. S'il doit choisir, le choix est forcé. Car tout retour en arrière est impossible.
 
Si l’extériorité constitutive du signifiant est dans ce texte bien posée, l’absence de réflexion sur le plaisir, si ce n’est pour signaler son absence, en constitue clairement la butée. Son abandon aboutit à un non sens absolu de l’univers symbolique, ce qui plus tard sera la conclusion logique de cette pensée, à travers le concept de désêtre, voire une certaine promotion de la perversion, dont la définition est bien notée dans ce texte, et correspond à la réalité clinique que j'ai repérée dans les cures de traits pervers : pas de rapport dans l'histoire de ces sujets entre leur désir et le plaisir en tant que résonance intime avec le familiale et le social. C'est bien de cette clinique que les lacaniens font la promotion sans trop le savoir, faute de place adéquate dans cette théorie pour la fonction du plaisir dans l'univers signifiant et symbolique. Raison de plus pour remanier cela.
 
En effet, si la dissociation des plans internes et externes est constitutive du signifiant, ce que Lacan appelait à juste titre la spaltung, ou le fading, une suffisante résonance entre ces plans ne l'est pas moins, ce que j’appelle le plaisir, faute de quoi la pathologie s'installe vite, y compris à travers une révolte contre cette dissociation quand elle est trop radicale et douloureuse, quand elle manque des plaisirs de résonance entre ses plans. Dès lors ce qu’on dénommait plus haut dans ce travail le « reste » de la symbolique, l’hypercomplexe singularité du sujet reste en rade et cause donc de souffrances symptomatiques.
 
[2] Rimbaud à Paul Demeny (Lettre du Voyant, 15 mai 1871)
[4] Le coeur conscient, Robert Laffont, 1960.
[5] « Boiter n’est pas pêcher « 
[6] 1. Olausson H, Lamarre Y, Backlund H, et al. Unmyelinated tactile afferents signal touch and project to insular cortex. Nat Neurosci 2002; 5: 900-4.
[7] https://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2006-2-page-405.htm#
[9] Empan 2016/1 (n° 101), pages 12 à 20
[10] https://www.lepoint.fr/culture/lacan-professeur-de-desir-06-06-2013-1688542_3.php